Contrôle judiciaire, Procédure civile

Procédures abusives : un citoyen condamné à rembourser près de 50 000 $ en frais d’avocats à sa municipalité

Bouchard c. Municipalité de Saint-Nazaire, 2024 QCCS 4409

En raison de leur rôle, en première ligne de la plupart des services offerts aux citoyens, les municipalités sont souvent impliquées, malgré elles, dans les chicanes de voisinage (et parfois, dans les chicanes de famille).

Lorsqu’elles se transforment en litiges, souvent hors de proportion avec l’enjeu initial, ces chicanes peuvent entraîner des honoraires juridiques importants pour les municipalités et monopoliser le temps et l’énergie des élus et des employés, qui devrait être consacré à desservir l’ensemble des citoyens.

Or, le seul fait que les procédures soient ultimement rejetées ne permet pas à la municipalité, comme à tout autre défendeur, d’obtenir automatiquement le remboursement de ses honoraires d’avocats. Pour qu’un tel remboursement soit ordonné, il faut que les procédures soient déclarées abusives, c’est-à-dire des procédures qu’aucune personne raisonnable n’aurait pu déposer, révélant une mauvaise foi, une intention de nuire ou une témérité blâmable dans l’utilisation de la procédure judiciaire (pour paraphraser la Cour d’appel dans l’arrêt El-Hachem c. Décary rendu en 2012).

Par expérience, les procédures qui prennent des proportions indues et contiennent des allégations excessives ou non pertinentes sont souvent (bien que pas toujours) déposées par des citoyens qui se représentent seuls, peu familiers avec les règles de procédure. Bien que les tribunaux aient une certaine tolérance envers les citoyens non représentés, il arrive qu’ils sanctionnent l’utilisation abusive de la procédure judiciaire lorsque celle-ci entraînent des coûts importants pour la municipalité.

Dans un jugement récent, la Cour supérieure a sanctionné le caractère abusif des procédures entreprises par un citoyen à l’encontre de la résolution octroyant une dérogation mineure à ses voisins (également ses frère et sœur) en le condamnant à rembourser la somme de 47 831,87 $, soit 75% des honoraires d’avocats encourus par la municipalité.

Les faits sont relativement simples. Le demandeur, ses frères et ses sœurs sont propriétaires de terrains adjacents, riverains à rivière Saguenay. Comme il était initialement prévu que les terrains soient desservis pas un réseau d’eau potable privés, ils sont d’une dimension trop petite pour y permettre la construction en tant que terrains non desservis. Or, la construction du réseau n’a jamais été approuvée par le gouvernement, de sorte que les terrains ne sont pas constructibles.

Pour remédier à cette situation, le frère et la sœur du demandeur présentent à la municipalité une demande de dérogation mineure pour relotir leurs terrains en quatre lots constructibles, sans inclure le terrain du demandeur et de son autre sœur, qui se trouvent ainsi coincés, sans possibilité de développer leurs terrains.

La dérogation mineure est approuvée par le conseil municipal, dans le respect de la procédure applicable.

Dans son jugement, la Cour conclut que le demandeur n’a pas exercé son recours dans un délai raisonnable suite à la décision du conseil municipal. Sur le fond, elle conclut que la municipalité a respecté de façon stricte la procédure applicable, incluant les avis et consultations prévus par la loi. Finalement, la décision d’approuver la dérogation mineure était raisonnable eu égard aux critères prévus par la loi.

L’utilisation abusive de la procédure

Sur cette question, la Cour conclut que, si le demandeur avait le droit de contester en justice les résolutions adoptées par le conseil municipal, il se devait de le faire dans un délai raisonnable et en respectant le principe de proportionnalité des actes de procédure :

[71]        Le Tribunal considère que l’ensemble des interventions judiciaires de Martin, du dénigrement à l’égard des employés de la Municipalité se continuant même lors de l’audience où il a été nécessaire de le ramener à l’ordre, démontrent amplement le caractère abusif des procédures initiées et de l’usage des tribunaux judiciaires.

[72]        Pour l’ensemble de ces motifs, le Tribunal déclare abusives les procédures initiées par le demandeur.

[73]        Toutes ces démarches judiciaires ont coûté à la Municipalité des honoraires professionnels s’élevant à 63 775,82 $ dont 52 561,39 $ ont été payés au jour de l’audience.

[74]        Dans l’ensemble, les honoraires et déboursés détaillés semblent raisonnables mais auraient pu être beaucoup moins importants si Martin avait respecté les règles de la proportionnalité.

[75]        Dans ces circonstances, il s’avère du devoir du Tribunal de sanctionner le défaut de respecter les règles de rédaction de procédure prévues à l’article 99 du Code de procédure civile se lisant comme suit :

99.      L’acte de procédure doit indiquer sa nature, exposer son objet, énoncer les faits qui le justifient, ainsi que les conclusions recherchées. Il doit indiquer tout ce qui, s’il n’était pas énoncé, pourrait surprendre une autre partie ou soulever un débat imprévu. Ses énoncés doivent être présentés avec clarté, précision et concision, dans un ordre logique et être numérotés consécutivement.

[…]

[76]        Certes, Martin pouvait soumettre à la Cour une demande de révision des deux résolutions; encore fallait-il initier le recours dans un délai raisonnable, et en respect des règles de la proportionnalité, ce qu’il a négligé.

[77]        Cette ligne de conduite du respect des ressources judiciaires et de la procédure aurait permis de cheminer avec diligence et sans encourir pour la Municipalité, laquelle compte environ 2 000 habitants, des honoraires aussi faramineux.

[78]        En surplus des frais et honoraires juridiques encourus, les employés et les élus de la Municipalité ont été sollicités par Martin au-delà de ce qu’une corporation municipale de cette taille est en droit de s’attendre et des moyens dont elle dispose afin de répondre et de transmettre à un citoyen, en l’occurrence, Martin, moultes documents requis lors de gestions devant la Cour ou directement au personnel.

[79]        Malgré l’encadrement judiciaire, les demandes étaient disproportionnées à un point tel que les employés n’étaient plus en mesure de respecter les délais de transmission imposés par le Tribunal n’ayant pas uniquement le demandeur à servir.

[80]        Uniquement la pièce intitulée «D-12» mais déposée par le demandeur intitulée « Règlements d’urbanisme Municipalité de Saint-Nazaire », nécessite un cartable de 8 cm d’épaisseur dans lequel sont joints douze règlements, alors que le seul utile et nécessaire lors de l’audience auquel autant Martin que la Municipalité réfèrent le Tribunal, concerne le « Règlement sur les dérogations mineures 333-15 », Projet # 2721502 juin 2016, à savoir un document comportant douze pages.

[…]

[83]        Pour l’ensemble de ces motifs, le Tribunal retient que 75% des honoraires encourus auraient été évités si le comportement de Martin avait été celui d’un justiciable raisonnable, et il doit en conséquence rembourser la Municipalité.

Ici, c’est la démesure dans les procédures et pièces déposées, de même que les allégations frivoles et calomnieuses (que le Tribunal reproduit dans le jugement) qui rendent les procédures abusives. Le Tribunal conclut que les honoraires auraient été considérablement moins élevés si la procédure avait été conduite dans le respect des règles de pertinence, de concision et de proportionnalité.

Le comportement du demandeur auprès des employés de la municipalité est également pris en compte

Le Tribunal tient également compte du comportement agressif et impoli du demandeur lors de ses visites à l’hôtel de ville :

[81]        Bisson et Tremblay témoignent avec sincérité et transparence quant au stress qu’ils ont vécu depuis octobre 2022 lors des visites de Martin à l’Hôtel de Ville, alors que ce dernier se montrait agressif et impoli puis en lisant l’ensemble des commentaires disgracieux, voire grossiers, rapportés dans les procédures judiciaires initiées par ce dernier et résumées dans le présent jugement.

[82]        Aucun employé municipal ou élu ne devrait être confronté à pareil comportement d’un citoyen.

Comme on le sait, les incivilités envers les élus et les employés municipaux sont malheureusement monnaie courante, un phénomène auquel les tribunaux ne sont pas insensibles.

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