Procureur général du Québec c. Ville de Drummondville, 2024 QCCA 5 .
En juin 2022, la Cour supérieure annulait le décret 1235-2021 édicté par le gouvernement qui a créé une zone d’intervention spéciale (ci-après « ZIS ») afin de permettre l’aménagement et la poursuite de l’exploitation d’un lieu d’enfouissement technique (ci-après « LET ») sur certains lots situés sur le territoire de la Ville de Drummondville.
Ce décret a été adopté dans le contexte d’une longue saga judiciaire, en matière de d’urbanisme, impliquant la compagnie Waste Management et la Ville de Drummondville concernant l’agrandissement du LET de Waste Management. À la suite d’un jugement de la Cour supérieure[1] rendu en février 2021, tout agrandissement du LET devenait impossible à ce moment, malgré le fait que le gouvernement avait donné des autorisations pour ce faire en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement[2][par. 39].
En réponse à cette situation, le gouvernement a adopté le décret 1235-2021 afin de créer, en vertu de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[3] (ci-après « LAU ») une ZIS sur tous les terrains de Waste Management situés à l’intérieur du périmètre d’application identifié dans le décret. Ce périmètre d’application est supérieur à l’aire sur laquelle l’agrandissement du LET était autorisé. (Le pouvoir de création de ZIS existe dans la LAU pour permettre au gouvernement, par voie de décret, de superposer ses propres règles et normes d’urbanisme à celles adoptées par une municipalité locale ou une municipalité régionale dans le périmètre d’application qu’il définit, pour la période qu’il détermine, dans des situations graves ou urgentes en matière d’aménagement ou d’environnement ([par. 64].) Étant donné que la capacité maximale du LET était sur le point d’être atteinte, le gouvernement a, par ailleurs, publié en même temps un autre décret d’urgence (le Décret 1236-2021) en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement pour autoriser l’exploitation verticale du site d’enfouissement le temps que des travaux additionnels d’aménagement du LET soient complétés.
La Ville de Drummondville a contesté la validité de ces deux décrets en déposant un pourvoi en contrôle judiciaire. Elle soutenait notamment que ceux-ci n’étaient pas conformes à leur loi habilitante, qu’ils avaient été adoptés de mauvaise foi, à d’autres fins que celles prévues dans la loi et sur la base de considérations hypothétiques [par. 44].
La juge de première instance a rejeté plusieurs des moyens présentés, elle a toutefois accueilli la demande de pourvoi en contrôle judiciaire en lien avec le décret 1235-2021 en considérant que celui-ci était déraisonnable parce que :
- « Le périmètre de la ZIS dépasse le périmètre des décrets antérieurs qui ont autorisé l’exploitation et l’agrandissement du LET et est largement supérieur au territoire requis pour les fins de la ZIS. La décision de créer la ZIS aurait donc été déraisonnable en ce qu’elle n’aurait pas été conforme à la LAU et qu’elle aurait été prise à des fins impropres.
- Le décret ne prévoit pas de durée, ce qui, selon la juge contreviendrait à la LAU. » [par. 53 et 54].
La Cour d’appel s’intéresse en profondeur à la norme de contrôle applicable dans ce contexte. Elle souligne que cette norme, depuis l’arrêt Vavilov[4], est présumée être celle de la raisonnabilité en rappelant que la jurisprudence antérieure demeure applicable et « que les arrêts établissant la manière de procéder au contrôle selon la norme de la décision raisonnable gardent leur utilité, mais doivent cadrer avec les principes énoncés dans Vavilov ». [par. 56] Elle cite avec approbation les arrêts Catalyst Paper[5] et Katz Group Canada[6] et souligne notamment qu’un décret doit être conforme « à la raison d’être et à la portée du régime législatif sous lequel il a été adopté et doit tenir compte de toute contrainte plus spécifique clairement imposée par le régime législatif applicable, tel que les définitions, les formules ou les principes prévus par la loi qui prescrivent l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire » [par. 59]. Il faut également ajouter à ce cadre d’analyse la présomption de validité qui se rattache aux règlements et aux décrets gouvernementaux [par. 62].
Selon la Cour d’appel, la juge de la Cour supérieure a choisi la bonne norme de contrôle, mais elle a fait des erreurs dans son application. Elle a essentiellement, dans ce contexte, fait une interprétation trop restrictive des pouvoirs habilitants prévus à la LAU pour la création de la ZIS.
Ainsi, selon la Cour d’appel, la Cour supérieure a erré en soutenant que le décret était déraisonnable puisqu’il prévoit un périmètre d’application supérieur à la superficie autorisée du LET par les autorisations environnementales. La juge de la Cour supérieure, en s’appuyant sur des témoignages de fonctionnaires du MELCCFP, est arrivée à la conclusion que le décret comportait un motif occulte, soit de permettre l’agrandissement du LET au-delà des autorisations existantes au moment de l’adoption du décret. Elle a ainsi conclu que le gouvernement n’avait pas justifié son choix de façon transparente et que le décret devenait donc déraisonnable dans les circonstances.
La Cour d’appel indique que le décret ne fait pas de mystère que le LET arrivera sous peu à sa pleine capacité. La LAU permet au gouvernement de déterminer le périmètre utile pour atteindre son objectif et rien dans cette loi ne limite ce périmètre à celui du LET autorisé en vertu de la LQE au moment de l’adoption du décret. Le gouvernement, en adoptant ce décret, n’est pas allé au-delà des pouvoirs habilitants et n’a pas excédé son mandat législatif.
Qui plus est, la Cour d’appel souligne également que les conclusions de la juge de première instance sont, en partie, inférées d’explications fournies par des témoins, après l’adoption du décret 1235-2021, explications qui étaient absentes par ailleurs du dossier fourni au gouvernement [par. 100]. Dans ce contexte, on ne peut s’appuyer sur ces explications pour les imputer aux membres du gouvernement qui ont pris la décision d’édicter le décret. « Les objectifs et intentions du gouvernement sont ceux des ministres qui le composent et non ceux des fonctionnaires d’un de ses ministères.» [par. 70]. La Cour souligne le fait qu’il est périlleux de s’aventurer à déterminer les raisons ayant motivé un organisme composé de plusieurs membres à prendre une décision discrétionnaire qui peut s’appuyer sur une multitude de motifs politiques ou économiques. [par. 98] Il ne revient pas au juge réviseur de sonder « le coeur et l’esprit » des décideurs. [par.69]
Finalement, la Cour d’appel soutient également que la juge a commis une erreur en annulant aussi le décret 1235-2021 parce qu’il ne comportait pas de durée. Elle y voit encore ici une interprétation trop restrictive des pouvoirs habilitants.
L’appel a donc été accueilli avec les frais de justice. La validité du Décret 1235-2021 a été confirmée puisqu’il est « conforme à la raison d’être et à la portée du régime législatif sous lequel il a été adopté ». [par. 107]
[1] Voir les développements en appel de ce jugement à WM Québec inc. c. Ville de Drummondville, 2023 QCCA 4.
[2] RLRQ, c. Q-2
[3] RLRQ, c. A-19.1
[4] Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Vavilov, 2019 CSC 65
[5] Catalyst Paper Corporation c. Corporation of District North Cowichan, 2012 CSC 2
[6] Katz Group Canada inc. et al. c. Ministre de la Santé et des Soins de longue durée et al., 2013 CSC 64