Aménagement et urbanisme, Contrôle judiciaire

Dérogations mineures : l’importance pour le conseil municipal d’analyser tous les critères prévus par la loi

Tobin c. Municipalité de Dunham, 2024 QCCA 69

Le mécanisme de dérogation mineure, comme nous l’avons expliqué dans un billet précédent, est un outil couramment utilisé pour pallier la rigidité excessive de la règlementation d’urbanisme dans des cas où, en raison de la configuration d’un terrain ou d’une construction, elle cause un préjudice sérieux à un propriétaire. La Cour d’appel rappelait récemment que l’octroi d’une dérogation mineure est un pouvoir discrétionnaire du conseil municipal et que les tribunaux doivent se garder de substituer leur avis à celui des élus municipaux.

Toutefois, l’arrêt récent de la Cour d’appel dans l’affaire Tobin c. Municipalité de Dunham nous rappelle que les membres du conseil municipal doivent appuyer leur décision sur l’ensemble des critères prévus par les articles 145.2 à 145.4 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme.

L’omission d’évaluer le respect d’un critère pertinent et de justifier correctement la décision à l’égard de ce critère a mené la Cour d’appel à annuler la décision octroyant la dérogation mineure et renvoyer le dossier au conseil municipal pour qu’il rende une nouvelle décision en considérant tous les critères applicables.

Les faits

Monsieur Giroux est propriétaire d’un terrain situé en front de la rue Wilkinson, près du lac Selby dans la municipalité de Dunham, qu’il souhaite subdiviser en trois lots. Or, les deux lots projetés en façade de la rue Wilkinson n’auraient qu’une largeur de 22,86 mètres, alors que le règlement de lotissement exige une largeur de 30 mètres. Monsieur Giroux demande donc une dérogation mineure pour permettre son projet.

Madame Tobin, dont le terrain est situé à proximité de celui de monsieur Giroux, s’oppose à la demande, exprimant des préoccupations environnementales relatives à la santé du lac Selby et à la préservation des milieux humides, et des craintes quant à l’augmentation de la densité de population du quartier et de la circulation automobile.

Le 5 août 2021, madame Tobin communique à la Ville ses observations écrites, conformément à la procédure mise en place dans le contexte de la pandémie de Covid-19. Le 23 août 2021, sans bénéficier des observations de madame Tobin, le Comité consultatif d’urbanisme rend une recommandation favorable à la demande de dérogation. Enfin, le 14 septembre 2021, après un atelier de travail lors duquel ils ont pris connaissances des observations de madame Tobin, les élus municipaux approuvent, en séance publique du conseil municipal, la demande de dérogation.

En première instance, la juge Johanne Brodeur rejette la contestation de madame Tobin, jugeant que le processus de traitement de la demande, même s’il se situait « à la limite inférieure du spectre de l’acceptabilité en matière de rigueur et de transparence » (paragraphe 40), était conforme aux exigences de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme.

De plus, si la juge « considère qu’il aurait été souhaitable que la Municipalité discute, dans la résolution, de chacun des critères qu’elle doit considérer » (paragraphe 55), elle juge qu’il transparaît de l’ensemble du processus que le conseil a tenu compte de l’ensemble de ces critères.

L’omission d’analyser le critère relatif à la qualité de l’environnement

La Cour d’appel conclut plutôt que rien dans la preuve ne montre que le conseil municipal a tenu compte du critère relatif à l’absence d’atteinte à la qualité de l’environnement :

[25]        En l’espèce, les critères dont le Conseil devait tenir compte et qu’il devait appliquer scrupuleusement sont ceux que l’on retrouve aux articles 145.2 et 145.4 de la Loi :

145.2.    Une dérogation mineure aux règlements de zonage et de lotissement doit respecter les objectifs du plan d’urbanisme

Dans un lieu où l’occupation du sol est soumise à des contraintes particulières pour des raisons de sécurité ou de santé publiques, de protection de l’environnement ou de bien-être général, une dérogation mineure ne peut être accordée à l’égard de dispositions réglementaires adoptées en vertu des paragraphes 16 ou 16.1 du deuxième alinéa de l’article 113 ou des paragraphes 4 ou 4.1 du deuxième alinéa de l’article 115.

145.4.    Le conseil d’une municipalité sur le territoire de laquelle est en vigueur un règlement sur les dérogations mineures peut accorder une telle dérogation.

La dérogation ne peut être accordée que si l’application du règlement a pour effet de causer un préjudice sérieux à la personne qui la demande. Elle ne peut non plus être accordée si elle porte atteinte à la jouissance, par les propriétaires des immeubles voisins, de leur droit de propriété ou si elle a pour effet d’aggraver les risques en matière de sécurité ou de santé publiques ou de porter atteinte à la qualité de l’environnement ou au bien-être général.

Malgré le deuxième alinéa, le conseil peut accorder une dérogation, même si elle a pour effet d’accroître les inconvénients inhérents à la pratique de l’agriculture.

145.2.    Every minor exemption from the zoning and subdivision by-laws shall respect the aims of the planning program.

In a place where land occupation is subject to special restrictions for reasons of public safety or public health, protection of the environment or general well-being, a minor exemption may not be granted in respect of by-law provisions adopted under subparagraph 16 or 16.1 of the second paragraph of section 113 or subparagraph 4 or 4.1 of the second paragraph of section 115.

145.4.    The council of a municipality in whose territory a by-law concerning minor exemptions is in force may grant such an exemption.

The exemption may be granted only if the application of the by-law causes a serious prejudice to the person who applied for the exemption. Moreover, it shall not be granted where it hinders the owners of the neighbouring immovables in the enjoyment of their right of ownership or increases the risks with regard to public safety or public health or adversely affects the quality of the environment or general well-being.

Despite the second paragraph, the council may grant an exemption even if it increases the inconvenience caused by the practice of agriculture.

[26]        Ces critères sont cumulatifs.

[27]        L’appelante a raison d’affirmer que l’un d’eux a échappé à l’analyse effectuée par le Conseil. Il s’agit de celui ayant trait à l’atteinte à la qualité de l’environnement.

[28]        En effet, nulle part ne retrouve-t-on dans la preuve la moindre trace que les membres du CCU ou du Conseil se seraient interrogés sur une possible atteinte à la qualité de l’environnement découlant de la dérogation demandée. De fait, la Résolution est silencieuse à cet égard et les représentants de l’intimée entendus en première instance n’en ont pas fait état. […]

Le caractère déraisonnable de la décision et le renvoi du dossier au conseil municipal

La Cour d’appel conclut donc que la décision du conseil municipal d’approuver la dérogation mineure était déraisonnable, puisqu’il a omis de considérer l’un des critères applicables :

[34]        Certes, il appartenait au Conseil de déterminer, en fonction des circonstances propres au cas qui lui était soumis, si les critères des articles 145.2 et 145.4 de la LAU étaient satisfaits. En retour, la cour de révision lui devait alors déférence. Encore fallait‑il que le Conseil s’assure que tous ces critères avaient été pris en compte. Faute de l’avoir fait, sa décision est déraisonnable puisque rendue sans égard aux contraintes juridiques applicables. Comme l’indique notre Cour dans Municipalité de Saint-Elzéar c. Bolduc, « [s]i l’un de ceux-ci n’est pas satisfait, cela est suffisant pour que la dérogation accordée soit […] annulée ».

[35]        L’intimée plaide que le fait que les observations écrites de l’appelante ont été portées à l’attention des membres du Conseil durant l’atelier de travail ayant précédé la séance du 14 septembre 2021 permet de présumer que tous les critères applicables ont été pris en considération et appliqués.

[36]        La Cour n’est pas d’accord.

[37]        En l’espèce, elle ne peut en inférer que le Conseil a scrupuleusement pris en compte chacun des critères applicables.

[38]        Il faut donc conclure que la juge d’instance n’a pas appliqué correctement la norme de contrôle de la décision raisonnable. La Résolution aurait dû être annulée. La Cour prononcera donc le jugement qui aurait dû être rendu en faisant droit, en partie, au pourvoi en contrôle judiciaire mais sans toutefois se prononcer sur la demande de suspension ou d’annulation « de tout permis de lotissement ou de construction émis en vertu de la résolution 363-21 ». Il en est ainsi étant donné que Giroux, qui est le bénéficiaire du permis de lotissement qui a été délivré à la suite de l’adoption de la Résolution, n’a pas été mis en cause.

[39]        La demande de dérogation n’est pas pour autant annulée. Une suite devra y être donnée.

On note ici que la Cour d’appel a choisi de renvoyer le dossier au décideur initial plutôt que de rendre elle-même la décision d’accorder ou non la dérogation mineure, ce qui est la règle générale en contrôle judiciaire afin de respecter le choix de législateur de confier la décision à un décideur spécialisé.

Il est donc possible que le conseil municipal, suite à sa nouvelle analyse, en arrive au même résultat, mais il devra avoir considéré sérieusement le critère relatif à la qualité de l’environnement (le conseil pourrait par exemple conclure que la dérogation accordée quant à la largeur des lots, en soi, ne porte pas atteinte significativement à la qualité de l’environnement).

Afin d’éviter ce genre d’aller-retour devant les tribunaux  et de sécuriser les droits découlant de leurs décisions, les municipalités devraient s’assurer que leur processus décisionnel, de même les résolutions qui en découlent, permettent de constater que le conseil municipal a réellement pris en considération tous les critères prévus par la loi.

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