Service Sauvetage Animal c. Ville de Longueuil, 2023 QCCS 3354
La saga entourant le cheptel de cerfs de Virginie du Parc Michel-Chartrand se poursuit de plus belle. Des organismes ont demandé à la Cour supérieure d’annuler une résolution adoptée par la Ville de Longueuil qui visait à obtenir un permis du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs afin de procéder à une chasse contrôlée d’un maximum de 100 cerfs ayant élu domicile dans le parc municipal.
Un argument avancé par les demandeurs était un manquement à l’obligation d’équité procédurale envers les organismes de protection des animaux et… les cerfs eux-mêmes! En effet, avant d’adopter la résolution susmentionnée, la Ville de Longueuil aurait fait défaut de mettre en place un processus transparent, notamment afin de consulter les citoyens et les experts en bien-être animal.
Le manque d’équité procédurale commanderait ainsi l’annulation de la résolution.
Existe-il une obligation d’équité procédurale en l’espèce?
Quelques mots, d’abord, sur la notion d’équité procédurale. La Cour supérieure mentionne ce qui suit :
[34] L’équité procédurale est un principe fondamental du droit administratif canadien dont l’objectif primordial se conçoit aisément : dans l’exercice de ses pouvoirs publics, le décideur administratif doit agir avec équité lorsqu’il rend une décision touchant les droits, les privilèges ou les biens d’un administré.
[35] Toutefois, l’existence de l’obligation d’équité procédurale ne détermine pas quelles exigences s’appliqueront dans des circonstances données. En effet, la notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas.
Il faut comprendre que la notion d’équité procédurale trouve application lorsqu’une municipalité prend une décision à portée individuelle qui affecte particulièrement les droits, les privilèges ou les biens d’un administré. Tel est le cas, par exemple, du refus d’une demande de dérogation mineure présentée par un propriétaire.
Or, lorsque la municipalité adopte un règlement à portée générale qui n’affecte pas les droits, les privilèges ou les biens d’un administré en particulier, par exemple règlement de zonage, le processus décisionnel est alors encadré par la loi et il n’existe donc pas d’obligation «additionnelle» d’équité procédurale.
Dans la mesure où l’équité procédurale s’applique, la jurisprudence dégage certains critères afin de déterminer, dans chaque cas, l’intensité de cette obligation. L’administré peut avoir le droit de faire valoir son point de vue auprès du décideur lors d’une audience ou encore, bien souvent, par l’envoi d’une simple lettre.
En l’espèce, la Cour supérieure détermine que les organismes de protection des animaux ne peuvent revendiquer des droits et des garanties procédurales, n’étant pas eux-mêmes personnellement affectés par la décision de Longueuil :
[51] Somme toute, la preuve ne permet pas de conclure que la Résolution et la délivrance du Permis SEG affectent les droits, privilèges ou les biens propres de Meney, de SSA ou de la SPCA. Tout au plus, ils se font les porte-voix de l’intérêt des cerfs et du public, ce qui ne leur permet pas de revendiquer de garanties procédurales.
Et les cerfs de Virginie, eux?
Les demandeurs proposaient également qu’en application du nouvel article 898.1 C.c.Q., les cerfs ont dorénavant un statut juridique qui fait en sorte que les élus devaient prendre en considération «leur» point de vue avant d’adopter la résolution en litige. Or, la Cour supérieure dispose ainsi de l’argument :
[53] L’article 898.1 C.c.Q. prévoit que les animaux ne sont pas des biens, qu’ils sont des êtres doués de sensibilité et qu’ils ont des impératifs biologiques. Ce nouveau statut juridique appelle donc un processus décisionnel qui prend en compte leurs intérêts.
[54] Ainsi, lorsqu’un organisme public envisage prendre une décision qui touche les intérêts des animaux, la procédure qui y mène se doit d’être équitable et permettre la présentation de faits et d’arguments pertinents par des experts en bien-être animal.
[55] Séduisant au premier regard, l’argument ne résiste pas à l’analyse.
[56] D’abord, l’obligation d’un organisme public d’agir équitablement existe en faveur de toute personne physique ou morale sujette de droit. Or, les animaux ne sont pas des personnes et leur octroyer le bénéfice de l’équité procédurale aurait pour effet de leur conférer ce statut.
[57] Certes, ils ne sont plus des biens et on reconnaît qu’ils sont doués de sensibilité et qu’ils possèdent des impératifs biologiques. Toutefois, ils demeurent assujettis au régime juridique des biens. Ainsi, ils en conservent plusieurs attributs dans leurs rapports avec les personnes. Par exemple, ils peuvent être hypothéqués et leurs propriétaires sont tenus de réparer le préjudice qu’ils causent.
[58] C’est pourquoi les tribunaux concluent que l’obligation d’agir équitablement s’impose à l’égard du propriétaire de l’animal par opposition à l’animal lui-même.
[59] Or, les cerfs qui occupent le Parc sont des animaux sauvages auxquels on attribue généralement le statut de biens sans maître : (…)
Dans tous les cas…
La Cour supérieure termine son analyse en mentionnant que dans tous les cas, par le biais de correspondances et de procédures judiciaires envoyées avant l’adoption de la résolution en litige, les organismes ont amplement eu l’opportunité de faire valoir leur point de vue aux élus, ce qui constitue le cœur de l’obligation d’équité procédurale:
[70] Somme toute, pour leur compte et celui des cerfs, les demandeurs et l’intervenante ont eu l’occasion de faire valoir leur point de vue tout au long du processus suivi par la Ville et menant à l’adoption de la Résolution. Leur position est demeurée inchangée : quels qu’en soient les motifs, toute solution létale sera considérée comme déraisonnable.
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