Droit pénal, Environnement, Urbanisme

Une preuve circonstancielle suffit à condamner un propriétaire pour une coupe à blanc

4080467 Canada inc. c. Ville de Mirabel, 2023 QCCS 2752

Au début du mois de décembre 2018, l’appelante fait l’acquisition d’un lot à bois sur le territoire de la Ville de Mirabel. Un mois plus tard, le 7 janvier 2019, les inspecteurs en environnement de la Ville constatent une coupe à blanc de plus de 11 hectares sur le lot susmentionné.

Un constat d’infraction est émis contre le propriétaire pour avoir effectué une coupe à blanc en contravention du règlement de zonage de la Ville de Mirabel. Le propriétaire est trouvé coupable devant la Cour municipale et fait appel de sa condamnation devant la Cour supérieure.

L’enjeu principal devant la Cour supérieure est que les inspecteurs n’ont pas directement constaté la commission de l’infraction, à savoir la coupe des arbres. Cependant, plusieurs indices permettent de conclure que la coupe d’arbres est très récente. La preuve de la Ville est donc circonstancielle :

[40] Il est vrai qu’au moment de l’inspection du 7 janvier 2019, il n’y a pas de travaux en cours sur le lot qui appartient à l’appelante, mais le juge d’instance conclut néanmoins qu’il y a eu coupe de bois, aux alentours du 7 janvier 2019, à partir des éléments suivants qu’il retient de la preuve circonstancielle :

− La parcelle de terrain déboisée sur l’immeuble de l’appelante est pratiquement dépourvue d’une couverture de neige comparativement aux autres parcelles adjacentes;

− Il y a présence de traces fraîches de machinerie sur un sol sablonneux récemment scarifié;

− On retrouve dans le littoral et à l’intérieur de la bande riveraine du ruisseau des souches déchiquetées, des branches et des résidus de coupe d’arbres;

− Sur le lot adjacent, situé sur le territoire de la municipalité de Saint-Placide, on retrouve un important lot de billots, de la machinerie pour procéder au débitage de billots et des camions pour effectuer le transport;

− Ce lot adjacent était déjà déboisé, bien avant le 7 janvier 2019[8];

− Selon le témoignage de l’expert Goulet, une photographie aérienne de 2018 qu’il a utilisée dans le cadre de son expertise démontre la présence d’un couvert boisé sur la parcelle du lot ici en cause.

De son côté, le représentant de l’appelante n’a pas témoigné et n’a présenté aucune preuve disculpatoire, se contentant plutôt de plaider que la preuve circonstancielle de la Ville ne satisfait pas au fardeau qui lui incombe, à savoir une preuve hors de tout doute raisonnable. Or, la Cour supérieure a confirmé ainsi le raisonnement de la Cour municipale :

[45] En définitive, le juge d’instance conclut que la coupe est survenue très peu de temps avant l’inspection du 7 janvier 2019 et qu’il n’y a aucune possibilité raisonnable que les gestes aient été posés avant l’achat de l’immeuble le 3 décembre 2018 (…). La conclusion du juge d’instance est appuyée par les éléments constatés et rapportés par M. Duguay de même que par l’évaluation de ce dernier selon laquelle les travaux dataient de quelques jours seulement, estimant la période maximale entre une à deux semaines tout au plus.

(…)

[47] Le Tribunal rappelle aussi qu’il est loisible à un tribunal d’appel de tenir compte du silence d’un défendeur lorsqu’il évalue le caractère raisonnable ou déraisonnable d’une déclaration de culpabilité. Force est de constater que l’appelante n’a fait entendre aucun témoin au procès mis à part M. Rouleau, dont le témoignage se limitait à son expertise.

L’appelant plaide également que le seul fait d’être propriétaire du lot à bois ne devrait pas entraîner sa responsabilité pénale. Encore ici, cet argument est rejeté, tout portant à croire que l’appelant avait effectué (ou avait laissé être effectuée) une coupe à blanc sur son terrain :

[60] Il va de soi, dans le cas d’une personne morale, qu’elle ne peut agir elle-même directement comme « bûcheron » et qu’elle doit nécessairement agir par l’entremise de personnes physiques. Exiger que le défendeur coupe lui-même des arbres pour être trouvé coupable de coupe à blanc dénaturerait de tout son sens l’article 16.2.1.c du Règlement de zonage no U-947 de la Ville de Mirabel.

[61] Le juge d’instance n’était pas non plus confronté à une situation où on pouvait s’interroger sur un acte commis par un tiers pour lequel l’appelante ne pouvait raisonnablement avoir ni influence ni contrôle, à moins d’imaginer que l’appelante n’ait été victime d’un vol de bois sur son immeuble et que les voleurs aient pris le soin d’enlever les souches et de niveler le terrain après leur délit, scénario qui relève de la spéculation et sur lequel le juge d’instance n’avait pas à se pencher.

[62] C’est ce qui amène le juge d’instance à énoncer que « l’opération de coupe à blanc sur l’immeuble en cause a été effectuée, à tout le moins avec la permission de la [l’appelante] ». Le Tribunal ne peut voir dans cette affirmation que le juge d’instance aurait commis une erreur, d’autant plus que ce constat est raisonnable eu égard à la preuve présentée au procès.

[63] La preuve telle que présentée au procès permettait au juge d’instance de conclure que l’appelante, le ou vers le 7 janvier 2019, avait illégalement effectué ou permis que soit effectuée une coupe à blanc sur un immeuble dont elle est la propriétaire.

Il s’agit là d’un jugement important eu égard aux sanctions pénales contenues dans la réglementation municipale. Écarter une preuve circonstancielle ou exiger une preuve directe de l’implication personnelle du propriétaire aurait considérablement amoindrie les chances de succès des municipalités en pareilles circonstances.

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