Élus municipaux, Règlement

Un conseiller municipal doit-il inclure dans sa déclaration annuelle d’intérêts les immeubles que possède sa compagnie?

Me Pascal Marchi

Gendron c. Ville de Châteauguay, 2018 QCCA 1358

Afin de favoriser la transparence dans la prise de décisions municipales, le législateur québécois impose aux élus de déposer, dès leur élection, une déclaration de leurs intérêts pécuniaires et de mettre à jour cette déclaration à chaque année. Dans ce document, qui est public, l’élu doit notamment faire état des intérêts pécuniaires qu’il possède dans des immeubles situés dans la municipalité et dans des personnes morales, sociétés ou entreprises susceptibles de faire affaire avec la municipalité.

Dans sa décision récente dans l’affaire Gendron c. Ville de Châteauguay, la Cour d’appel précise toutefois que l’élu n’a pas l’obligation d’y inclure les immeubles dont est propriétaire une société dont il est actionnaire.

Les faits

L’appelant Michel Gendron, conseiller municipal de Châteauguay, est l’unique administrateur et actionnaire de Gestion Mike Gendron inc., une société de gestion immobilière, qui est elle-même propriétaire de deux immeubles situés dans la ville.

Suite à sa réélection, en 2013, monsieur Gendron dépose une déclaration d’intérêts pécuniaires dans laquelle il mentionne son statut d’administrateur et d’actionnaire de Gestion, mais sans faire état des immeubles que cette dernière possède dans la ville. Il fait de même en décembre 2014 et 2015.

Après avoir tenté en vain de convaincre monsieur Gendron d’inclure dans sa déclaration les deux immeubles, la Ville dépose à son endroit une demande de déclaration d’inhabilité.

Le juge Marc G. Peacock, de la Cour supérieure, conclut que les déclarations de monsieur Gendron sont incomplètes parce qu’elles n’incluent pas les deux immeubles, mais qu’il ne doit pas être déclaré inhabile parce qu’il ne savait pas que les déclarations étaient incomplètes (ayant agi ainsi sur les conseils de son avocat). Par contre, il ordonne à monsieur Gendron de compléter ses déclarations.

Cour d’appel : les motifs majoritaires

Les juges majoritaires, France Thibault et Claude C. Gagnon, sont d’avis que l’obligation de divulgation prévue à l’article 357 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (LERM) ne vise pas les immeubles détenus par une société dont l’élu est actionnaire.

Leur analyse est fondée, d’une part, sur les différences textuelles entre les dispositions qui concernent la déclaration d’intérêts pécuniaires (357 LERM) et l’obligation de divulgation au moment où l’élu est effectivement appelé à se prononcer sur une question dans laquelle il a un intérêt « direct ou indirect » (361 LERM) :

[64]      L’article 357 de la Loi fait partie d’un ensemble de règles.

[65]      D’une part, cette disposition crée une obligation de déclaration limitée. Comme je l’ai écrit précédemment, le conseiller municipal doit divulguer les intérêts pécuniaires « qu’il a » dans des immeubles situés sur le territoire de la municipalité en déposant une déclaration écrite devant le conseil municipal. Un manquement à cette obligation entraîne l’inhabilité pour une période de cinq ans suivant les conditions de l’article 303 de la Loi.

[66]      D’autre part, l’article 361 de la Loi est plus exigeant. Il crée une obligation plus étendue en ce qu’il oblige la divulgation par le conseiller municipal de l’intérêt « direct et indirect ». Le membre du conseil municipal appelé à se prononcer sur une question dans laquelle il a « directement ou indirectement » un intérêt pécuniaire particulier doit divulguer la nature générale de cet intérêt avant les délibérations sur cette question et s’abstenir de participer à celles-ci, de voter ou d’influencer le vote sur cette question. Un manquement à cette obligation entraîne aussi l’inhabilité pour une période de cinq ans suivant les conditions de l’article 303 de la Loi.

[67]      L’article 304 de la Loi utilise un langage similaire. Il empêche le membre du conseil municipal d’avoir un intérêt « direct et indirect » dans un contrat avec une municipalité. Une transgression de cette interdiction entraîne aussi l’inhabilité pour une période de cinq ans suivant les conditions de l’article 304 de la Loi.

[68]      Il s’ensuit que, lorsque le législateur a voulu donner une portée large à certaines règles, il a utilisé un langage clair. En recourant aux expressions « direct et indirect » ou « directement et indirectement », le législateur englobe un grand éventail de situations pour empêcher que les décisions soient prises par des élus en conflit d’intérêts.

Résumons ce raisonnement : les termes utilisés par le législateur aux articles 304 et 361 LERM impliquent l’existence de deux catégories d’intérêts, les directs et les indirects. Par conséquent, lorsqu’il n’utilise pas ces termes à l’article 357 LERM, le législateur ferait uniquement référence aux intérêts directs.

La juge Thibault note, d’autre part, que la portée étendue des obligations prévues aux articles 304 et 361 LERM a entraîné l’adoption d’exceptions visant des situations où le risque de conflits d’intérêts est faible, ce qui n’est pas le cas de l’article 357 LERM :

[71]        La portée étendue de ces obligations (art. 361 de la Loi) et interdictions (art. 304 de la Loi) a nécessité l’adoption de tempéraments en raison des conséquences importantes attachées à un manquement.

[72]        À titre d’exemple, l’interdiction de contracter édictée à l’article 304 de la Loi ne s’applique pas si l’intérêt de la personne consiste dans la possession d’actions d’une société commerciale qu’elle ne contrôle pas, dont elle n’est pas un administrateur ni un dirigeant et dont elle possède moins de 10 % des actions comportant un droit de vote (art. 305 de la Loi). L’obligation de divulgation prévue à l’article 361 de la Loi ne s’applique pas non plus dans le cas où l’intérêt est tellement minime que le membre du conseil ne peut raisonnablement être influencé par lui (art. 362 de la Loi).

Finalement, citant l’auteur Pierre Laurin, la juge Thibault s’interroge sur l’absence de limites précises à l’obligation qu’imposerait aux élus une obligation de divulgation étendue aux biens des sociétés dont ils sont actionnaires :

Où s’arrêtera donc l’obligation de déclarer? L’élu qui possède des intérêts minimes dans une société détenant un important portefeuille immobilier doit-il vérifier ce portefeuille afin de déclarer, le cas échéant, tout immeuble situé dans la municipalité, la M.R.C. ou la Communauté urbaine? Devrait-il faire cet exercice même s’il s’agit d’une société publique? On reconnaîtra facilement qu’une réponse positive à cette question imposerait à l’élu une obligation beaucoup trop lourde, dans plusieurs cas sans commune mesure avec l’objectif visé par le Législateur. Mais alors, où faut-il tirer la ligne? Dans quels cas l’élu doit-il considérer que sa participation dans une société par actions est telle qu’il doive déclarer les immeubles dont elle est propriétaire?

Cour d’appel : les motifs minoritaires

Dans ses motifs dissidents, la juge Claudine Roy opine au contraire que, au lieu d’être distingués, les articles 357 et 361 doivent être lus ensemble, la déclaration prévue par le premier permettant au public de vérifier le respect des obligations prévues par le deuxième :

[39]      M. Gendron prétend que l’interprétation de l’article 357 de la Loi doit être plus restreinte que celle de l’article 361 puisque, dans le premier cas, le législateur oblige à déclarer « l’existence des intérêts pécuniaires qu[e le conseiller] a dans des immeubles », alors que, dans la deuxième disposition législative, il utilise les termes « il a directement ou indirectement un intérêt pécuniaire particulier ». Je ne crois pas qu’il y ait lieu de faire une telle distinction.

[40]      L’article 357 impose une obligation de divulgation. Les déclarations des élus municipaux sont publiques et les citoyens peuvent en prendre connaissance. Ils sont ainsi en mesure de vérifier si les élus respectent l’article 361 qui empêche le conseiller de participer aux délibérations et de voter sur une question dans laquelle il a directement ou indirectement un intérêt pécuniaire particulier. Les dispositions sont plutôt le miroir l’une de l’autre, l’une imposant une obligation, l’autre, une prohibition. Elles doivent être lues ensemble, comme l’illustre la jurisprudence analysée plus loin.

La juge Roy est également d’avis qu’une interprétation restrictive de l’article 357 LERM permettrait aux élus de contourner trop facilement l’exigence de transparence qu’il impose :

[55]        Certains auteurs de doctrine sont plutôt d’avis contraire et ils présentent un argument que l’on peut résumer ainsi : la personne morale possède une personnalité juridique distincte. Lorsqu’elle seule est propriétaire d’un immeuble, le conseiller municipal n’a pas à déclarer cet immeuble. Il ne détient alors pas un droit de propriété dans l’immeuble, mais plutôt des actions de la société.

[56]        Il faut aller au-delà de cette rhétorique et se rappeler que le législateur vise la transparence dans la prise de décisions municipales. Le législateur exige que l’élu dévoile une partie de sa vie privée. Il s’agit d’obligations rattachées à une charge publique. Il est dans l’intérêt public que la population et l’administration municipale soient au courant des intérêts pécuniaires des élus. Ces informations sont nécessaires à la transparence.

[57]        Ici, seul M. Gendron peut bénéficier des profits que Gestion peut réaliser grâce à ses immeubles puisqu’il est l’unique actionnaire et administrateur de Gestion. Si l’article 357 de la Loi ne trouvait pas application dans une situation comme celle en litige, tous les élus municipaux n’auraient qu’à transférer leurs immeubles à une société de gestion pour éviter d’avoir à les déclarer. Vu l’étendue de l’obligation de divulgation prévue à l’article 357 de la Loi et vu l’objectif de transparence, je conclus que le législateur a voulu couvrir tous les intérêts pécuniaires personnels qui pourraient être touchés par une décision du conseil municipal et que cet objectif inclut dans les termes « intérêts pécuniaires dans un immeuble » les immeubles qui appartiennent à une personne morale dont le membre du conseil municipal est actionnaire et administrateur.

Quelles implications?

Il faut reconnaître à la position des juges majoritaires l’avantage de la clarté et de la certitude : en s’appuyant sur des notions de droit civil bien connues, les élus savent précisément ce qu’ils doivent déclarer ou non. En effet, l’élu qui est actionnaire minoritaire d’une société, sans en être dirigeant ou administrateur, pourrait ne même pas connaître les immeubles que possède la société et pourrait donc difficilement respecter une obligation de divulgation plus étendue.

Cependant, cette interprétation pourrait compromettre l’objectif de transparence qui est celui de la déclaration d’intérêts pécuniaires. En effet, de nombreux immeubles sont détenus, la plupart du temps pour des raisons légitimes, par des sociétés de gestion. Ne pas les assujettir à la même obligation de divulgation que les immeubles détenus personnellement par les élus crée une brèche importante dans ce régime.

Outre un éventuel pourvoi à la Cour suprême, la solution à ce problème pourrait passer par une intervention législative visant à clarifier la notion d’intérêts pécuniaires. Le législateur aurait avantage à y prévoir les cas dans lesquels l’intérêt est si minime ou lointain qu’il n’a pas à être divulgué, afin de créer un régime à la fois efficace et clair.

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