Ville de Montréal c. Technologies pétrolières Heavy2light, 2019 QCCA 751
La Loi sur fiscalité municipale prévoit, à son article 204, un ensemble de situations dans lesquelles un immeuble (et donc son propriétaire) est exempté de taxes foncières. Il en est ainsi des immeubles appartenant aux gouvernements provincial et fédéral, des hôpitaux, des établissements d’enseignement et des lieux de culte, par exemple.
La LFM prévoit également que, lorsque l’immeuble exempté, ou une de ses parties, est loué ou occupé par un tiers non exempté, les taxes foncières peuvent être réclamées de ce tiers. On comprend que le législateur n’a pas voulu que l’exemption de taxes bénéficie à d’autres activités que celles qui sont visées par la loi.
Finalement, la Loi sur les cités et villes prévoit, à son article 498, que les taxes municipales impayées peuvent être réclamées de tout propriétaire subséquent de l’immeuble (en langage courant, les taxes « suivent l’immeuble »). Ces dispositions nous mènent à la question posée à la Cour d’appel dans l’affaire Ville de Montréal c. Technologies pétrolières Heavy2light, c’est-à-dire de savoir si les taxes impayées par le locataire peuvent être réclamées du propriétaire qui, lui, en est en principe exempté.
Les faits sont simples. De 2009 à 2011, l’Université du Québec à Montréal loue à Technologies pétrolières Heavy2light des locaux dans son pavillon situé au 225, rue du Président-Kennedy, à Montréal. En 2011, la locataire quitte les lieux sans préavis et sans avoir acquitté les taxes foncières, et est radiée peu après du Registre des entreprises. La Ville de Montréal poursuit donc l’UQAM et Heavy2light pour les taxes impayées.
La Cour municipale condamne Heavy2light au paiement des taxes, mais rejette le recours à l’égard de l’UQAM. La Cour d’appel renverse cette dernière décision, jugeant que les taxes impayées peuvent être réclamées de l’UQAM.
Les différents régimes d’exemption applicables
Dans son arrêt, la Cour d’appel fait la distinction entre les immeubles qui sont exemptés parce qu’ils appartiennent à l’État (provincial ou fédéral), dont l’exemption est d’origine constitutionnelle, et ceux qui sont visés par les autres exemptions prévues par l’article 204 LFM :
[26] L’article 204 L.F.M. prévoit que certains immeubles sont exempts de toute taxe foncière, municipale ou scolaire. C’est le cas de l’immeuble compris dans une unité d’évaluation « inscrite au nom de l’État ou de la Société québécoise des infrastructures » (paragr. 1 o) ou « inscrite au nom de la Couronne du chef du Canada ou d’un mandataire de celle-ci » (paragr. 1.1o) ou encore, comme c’est le cas pour l’UQAM, « inscrite au nom […] d’un établissement universitaire […] » (paragr. 13o).
[27] À noter donc que, strictement parlant, ce sont les immeubles qui sont imposables et qui, selon le cas, sont exempts de toute taxe foncière, et non leur propriétaire.
[28] L’article 208 L.F.M. traite de situations où l’un ou l’autre des immeubles exempts de toute taxe foncière aux termes de l’article 204 L.F.M. est occupé par un autre qu’une personne mentionnée dans cet article.
[29] Le premier alinéa traite des immeubles décrits aux paragraphes 1o et 1.1o de l’article 204 L.F.M. alors que le deuxième alinéa traite des immeubles visés par les autres paragraphes du même article, sauf le paragraphe 10o :
[30] L’immeuble compris dans une unité d’évaluation inscrite au nom d’un établissement universitaire (paragr. 13o), par exemple l’UQAM, est donc visé par le deuxième alinéa.
[31] Or, comme je l’ai déjà dit, les deux alinéas sont rédigés de façon bien différente l’un de l’autre.
[32] Dans le cas de l’immeuble inscrit au nom de l’État québécois ou de la Couronne fédérale (premier alinéa), si celui-ci est occupé par un tiers non mentionné dans les exemptions énumérées à l’article 204 L.F.M., « les taxes foncières auxquelles cet immeuble serait assujetti sans cette exemption sont imposées au locataire ou, à défaut, à l’occupant, et sont payables par lui ».
[33] Dans le cas de l’immeuble visé par un autre paragraphe que les paragraphes 1o et 1.1o (sauf le paragraphe 10 , deuxième alinéa), si celui-ci est occupé par un tiers non mentionné dans les exemptions énumérées à l’article 204, « il [l’immeuble] devient imposable et les taxes foncières auxquelles il est assujetti sont imposées au locataire ou, à défaut, à l’occupant, et sont payables par lui » [Soulignement ajouté].
[35] Je souscris sans réserve à cet avis, mais je rappelle que ce n’est pas la situation qui nous occupe ici.
[36] Dans son ouvrage, Droit municipal québécois, le professeur L’Heureux écrit :
Lorsqu’un immeuble appartenant à la Couronne du chef du Québec, mais non administré ou géré par une société qui est mandataire de celle-ci, est occupé par une personne non mentionnée à l’article 204 de la Loi sur la fiscalité municipale, les taxes foncières auxquelles cet immeuble serait assujetti sans cette exemption sont imposées au locataire ou, à défaut, à l’occupant, et sont payables par lui. L’immeuble est alors inscrit au rôle d’évaluation au nom de celui qui doit payer ces taxes. En un tel cas, toutefois, ces taxes perdent leur caractère de véritables taxes foncières puisqu’elles n’affectent pas l’immeuble lui-même, lequel est non imposable. Elles deviennent des taxes personnelles.[9]
[Soulignements ajoutés]
[37] Il n’en va pas de même pour le deuxième alinéa, puisque celui-ci précise qu’en cas d’occupation de l’immeuble par un tiers non mentionné dans les exemptions décrites à l’article 204 L.F.M., « l’immeuble devient imposable » et les taxes « imposées au locataire ou, à défaut, à l’occupant, et sont payables par lui ». L’immeuble étant dorénavant imposable, il s’agit ici de « véritables taxes foncières » affectant l’immeuble lui-même, et non de « taxes personnelles », pour reprendre les mots du professeur L’Heureux. Et le motif pour ne pas tenir le propriétaire de l’immeuble responsable du paiement de ces taxes foncières, à défaut par le locataire ou l’occupant de les acquitter, ne tient plus.
L’application de l’article 498 de la Loi sur les cités et villes
La Cour d’appel conclut donc que, comme l’immeuble est redevenu imposable et que les taxes sont imposées sur l’immeuble et non contre le propriétaire personnellement, l’article 498 de la Loi sur les cités et villes peut trouver application :
[44] Toujours dans PGQ c. Ville de Québec, la Cour ajoute que l’exercice par la municipalité du droit de récupérer les taxes impayées de différentes personnes, dont le propriétaire et l’occupant, est sujet à ce que « ces personnes ne soient pas exemptées du paiement de la taxe ». Cela va sans le dire, mais ce n’est pas le cas ici, contrairement à ce qui était le cas dans cette affaire. Les terres ou propriétés de la Couronne fédérale ou des provinces ne sont pas sujettes à la taxation, selon l’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867. Ce n’est pas le cas de l’immeuble compris dans une unité d’évaluation inscrite au nom d’un établissement universitaire lorsque loué à, ou occupé par, un autre qu’une personne mentionnée dans l’article 204 L.F.M. Dans ces cas, l’immeuble « devient imposable », tel que le prévoit le deuxième alinéa de l’article 208 L.F.M. Ce fut le cas ici, l’immeuble loué par l’UQAM à Heavy2light était imposable, et ce, même s’il continuait à être la propriété de l’UQAM.
[45] Avec égards, je ne vois rien ici qui fait obstacle au droit de la Ville de Montréal de s’appuyer sur l’article 498 L.C.V. pour réclamer de l’UQAM, propriétaire d’un immeuble devenu imposable par l’effet de la loi, le paiement des taxes foncières.