Action collective, Procédure civile, Responsabilité civile

L’avis de réclamation pour des dommages matériels: une exigence incontournable

Ville de Ste-Marthe-sur-le-lac c. Lauzon, 2021 QCCA 1791

Les municipalités gèrent de nombreuses infrastructures, qu’il s’agisse de routes ou de réseaux d’aqueduc et d’égout et cela fait en sorte qu’elles sont particulièrement susceptibles d’être poursuivies pour des dommages matériels causés par le bris ou le mauvais fonctionnement de ces infrastructures urbaines.

Dans ce contexte, l’article 585 de la Loi sur les cités et villes (LCV) impose à toute personne qui subit des dommages matériels à la suite d’un accident et qui entend poursuivre une ville l’obligation de transmettre un avis écrit au greffier dans les 15 jours de l’accident. L’absence ou l’insuffisance d’un tel avis, soulevée en temps utile, peut entraîner le rejet pur et simple de la poursuite intentée.

L’article 1112.1 du Code municipal prévoit des exigences similaires (pour mieux comprendre la portée de l’exigence d’un avis de réclamation et les distinctions entre les exigences de la Loi sur les cités et villes et celles du Code municipal, le lecteur intéressé pourra se référer aux jugements récents de la Cour supérieure dans les affaires Promutuel Chaudière-Appalaches c. Ville de Sainte-Marie et Royer c. Ville de Laval).

La portée de l’article 585 LCV, qui vise aussi les dommages corporels, a toutefois été atténuée par les termes de l’arrêt Doré c. Ville de Verdun rendu par la Cour suprême du Canada, où il a été décidé qu’un tel avis n’est pas requis lorsqu’il s’agit d’un recours pour un préjudice corporel.

Bien que la rigueur de cette exigence et la sévérité de la sanction aient été remises en question, la Cour d’appel a récemment rappelé que la transmission de cet avis constitue une condition essentielle pour toute personne qui a subi des dommages matériels et qui souhaite poursuivre une municipalité.

Les faits

En avril 2019, une demande d’action collective est intentée par des résidents de la Ville de Sainte-Marthe-sur-le-lac (« Ville ») à la suite des dommages matériels subis à la suite d’importantes inondations causées par la rupture de la digue qui retenait les eaux du lac des Deux-Montagnes. La demande d’autorisation est déposée à peine treize jours après la rupture de la digue.

La Ville demande à la Cour supérieure de rejeter, de façon préliminaire, la demande parce que le demandeur n’a pas respecté toutes les conditions de l’article 585 LCV, dont les trois premiers alinéas se lisent ainsi:

1. Si une personne prétend s’être infligé, par suite d’un accident, des blessures corporelles, pour lesquelles elle se propose de réclamer de la municipalité des dommages-intérêts, elle doit, dans les 15 jours de la date de tel accident, donner ou faire donner un avis écrit au greffier de la municipalité de son intention d’intenter une poursuite, en indiquant en même temps les détails de sa réclamation et l’endroit où elle demeure, faute de quoi la municipalité n’est pas tenue à des dommages-intérêts à raison de tel accident, nonobstant toute disposition de la loi à ce contraire.

2. Dans le cas de réclamation pour dommages à la propriété mobilière ou immobilière, un avis semblable doit aussi être donné au greffier de la municipalité dans les 15 jours, faute de quoi la municipalité n’est pas tenue de payer des dommages-intérêts, nonobstant toute disposition de la loi.

3. Aucune telle action ne peut être intentée avant l’expiration de 15 jours de la date de la notification de cet avis.

En l’espèce, bien que la Ville reconnaisse avoir reçu des avis de réclamation dans les premiers jours suivant la rupture de la digue, elle demande le rejet de la demande au motif que l’action a été intentée avant l’expiration du délai de 15 jours prévu au troisième alinéa de l’article 585.

Décision de la Cour d’appel

En première instance, la demande en irrecevabilité est rejetée et la Ville porte la décision en appel.

Les juges majoritaires de la Cour d’appel concluent également au rejet de la demande de la Ville. Ceux-ci mentionnent que l’avis de réclamation est nécessaire afin de permettre aux ville de mener une enquête sur les faits à l’origine de l’action. Cependant, ils considèrent que la sanction applicable au défaut d’avoir attendu 15 jours après l’envoi de la réclamation, avant d’intenter la demande, ne devrait pas être le rejet du recours, mais plutôt la suspension de celui-ci pour une durée de 15 jours.

Cette conclusion s’appuie avant tout sur des motifs de saine administration de la justice.

Pour sa part, le juge Bachand, dissident sur l’issue de l’appel, rappelle les principaux jalons de l’interprétation de l’exigence de transmettre un avis de réclamation depuis près de 90 ans.

Dans un premier temps, il reprend les propos tenus par la Cour suprême en 1934, dans l’arrêt Cité de Québec c. Baribeau:

[21] Bien qu’elle ait retenu la position de la partie demanderesse, la Cour suprême a pris soin de souligner l’importance de l’exigence de transmettre un avis de réclamation en mentionnant elle « ne constituait pas une simple mesure de procédure » ni « une simple formalité sans importance, dont le réclamant peut être dispensé ou que l’on peut remplacer par une autre formalité quelconque que le tribunal jugerait suffisante pour en tenir lieu », mais qu’il fallait plutôt y voir une « condition préalable et essentielle à l’existence du droit d’action ». La Cour a ajouté que cette exigence « ne [pouvait] être mise de côté sous prétexte d’absence de préjudice » ou encore par « la connaissance de l’accident que certains employés ou certains officiers de la corporation ont pu acquérir individuellement. »

Dans un second temps, le juge Bachand note que les enseignements de la Cour suprême ont été repris par la Cour d’appel :

[23] En 1999, dans l’arrêt Ville de Châteauguay, notre Cour a réitéré les enseignements de l’arrêt Baribeau (…). Puis, (…) la Cour a décrit de la manière suivante la raison d’être de l’avis:

Cet avis est conçu afin d’informer la municipalité et lui permettre de conduire les enquêtes nécessaires pour vérifier dans un délai raisonnable le fondement de la demande et les circonstances pouvant engager sa responsabilité. Il a pour but de protéger les corporations municipales contre des réclamations tardives et abusives, de donner aux officiers accès aux personnes qui entendent réclamer des dommages, d’autoriser la visite des propriétés mobilières et immobilières pour lesquelles on réclame, de favoriser tout préliminaire de conciliation ou tentative de règlement, ou encore de préparer une contestation. (…)

[24] La Cour a également souligné (…) qu’il n’appartenait pas aux tribunaux d’atténuer l’exigence de l’avis de réclamation au motif que le contexte socio-économique n’était peut-être plus le même qu’à l’époque où le législateur a commencé à l’imposer (…)

À la lumière de ces précédents, le juge Bachand actualise la portée à donner aux exigences de l’article 585 LCV en ces termes:

[26] (…) il est permis de croire que l’exigence d’un avis de réclamation revêt une pertinence renouvelée depuis l’entrée en vigueur du Code de procédure civile de 2016 en raison de l’importance que celui-ci accorde à la déjudiciarisation des conflits, notamment par l’imposition d’une obligation incombant à toute partie de considérer le recours aux modes privés de prévention et de règlement de leur différend, et ce, avant même de s’adresser aux tribunaux.

Conclusion

Depuis les dernières années, les poursuites intentées contre les municipalités en vue de réclamer des dommages matériels ne cessent de se multiplier, notamment en raison des conditions climatiques de plus en imprévisibles. Dans ce contexte, le rappel par la Cour d’appel de l’exigence de la transmission d’un avis de réclamation est certainement de nature à rassurer les municipalités.

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