Droits et libertés

Pantalons de camouflage et casquettes rouges

Fédération des policiers et policières municipaux du Québec c. Procureur général du Québec, 2023 QCCS 3333

Historiquement, au fil des différents conflits de travail, les policières et les policiers ont manifesté leur mécontentement en altérant leur uniforme à titre de moyen de pression. En 2016, protestant contre la Loi favorisant la santé financière et la pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal[1], les policières et les policiers arboraient des pantalons de camouflage et des casquettes rouges durant leur prestation de travail, et ce, notamment lors des funérailles d’état de l’ancien premier ministre Jacques Parizeau. Cette situation a suscité de vives critiques. En octobre 2017, l’Assemblée nationale adoptait une loi modifiant la Loi sur la police qui introduisait l’obligation pour les policières, policiers et constables spéciaux de porter l’uniforme et l’équipement fourni par l’employeur « sans y substituer aucun élément » ou « les altérer, les couvrir de façon importante ou de façon à en cacher un élément significatif ni nuire à l’usage auquel ils sont destinées ». Des dispositions pénales étaient prévues dans cette loi en lien avec ces interdictions.

Les associations syndicales ont contesté la constitutionnalité des dispositions en cause en se fondant sur les chartes. Après l’analyse de différents moyens préliminaires qui ont tous été rejetés, le tribunal a convenu qu’il y avait atteinte à la liberté d’expression et atteinte substantielle à la liberté d’association.

Dans le cadre de l’analyse du test de l’arrêt Oakes, le tribunal, tout en exprimant certaines réserves, a reconnu qu’il existait des objectifs urgents et réels aux interdictions en cause à savoir « la sécurité publique, l’importance de préserver la confiance de la population et d’éviter toute situation de confusion en cas d’incident sur le terrain » [para. 191], et qu’un lien rationnel pouvait être inféré entre les interdictions et les objectifs poursuivis.

Toutefois, les dispositions n’ont pas survécu à l’analyse des deux derniers critères du test de l’arrêt Oakes. Le tribunal conclut que l’atteinte aux droits protégés n’était pas minimale puisque l’interdiction avait une portée excessive et arbitraire. Ainsi, le tribunal souligne notamment que l’interdiction totale de substituer « parce qu’elle englobe tous les éléments de l’uniforme sans distinction, même ceux qui n’ont pas d’impact sur l’identification, la confiance ou la sécurité invoquée » [par 227] est excessive à la lumière des objectifs recherchés. Le mot « altérer » a également été jugé imprécis dans le contexte de la disposition à la lumière de la définition de celui-ci.

Finalement, le tribunal a considéré que les effets préjudiciables sur les droits et libertés étaient disproportionnés par rapport aux effets bénéfiques allégués. D’une part, les policières et les policiers se voyaient privés d’un moyen de pression historiquement reconnus dont ils font usage depuis quarante ans [para. 257]. D’autre part, le tribunal a constaté en analysant la preuve que ni les expériences passées, ni la recherche empirique ne démontraient que la substitution ou l’altération de l’uniforme avait un effet manifeste sur la sécurité publique ou le service à la population [para. 266].

Les dispositions n’ont pas été considérées justifiées dans une société libre et démocratique en vertu de l’article premier de la Charte canadienne ni de l’article 9.1 de la Charte québécoise. Elles ont donc été invalidées.

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