Déneigement Fontaine Gadbois inc. c. Ville de Montréal, 2018 QCCS 4492
Ce jugement rendu il y a quelques jours par la Cour supérieure nous rappelle que l’hiver est à nos portes… et qu’il amène avec lui la question de l’octroi et la gestion des contrats de déneigement pour les municipalités québécoises.
Les faits
En 2015, l’un des arrondissements de la Ville de Montréal (la Ville) lance un appel d’offres pour le déneigement de deux secteurs, lesquels comportent respectivement des quantités prévisionnelles de 44 779 et 48 467 mètres linéaires à déneiger.
Au même moment, les cols bleus de la Ville font pression afin que celle-ci cesse de sous-traiter le déneigement : ils souhaitent faire le travail.
Déneigement Fontaine Gadbois inc. (Fontaine) remporte l’appel d’offres pour les deux secteurs susmentionnés, pour un montant global d’environ 10 M$.
Or, quelques jours avant le début de la saison hivernale, la Ville retire certaines rues des secteurs susmentionnés pour les confier à ses cols bleus, réduisant les quantités de quelques milliers de mètres linéaires.
Il s’agit respectivement d’une diminution de 8,9% et 4,8% des quantités prévisionnelles prévues aux contrats. Fontaine conteste cette diminution de quantité, qui entraînera bien sûr une diminution corrélative de ses paiements attendus de 10 M$.
Décision : un contrat à prix unitaire dont les quantités peuvent varier
La Cour résume bien les tenants et aboutissants du contrat à prix unitaire :
[71] Les parties reconnaissent que le contrat P-2 est un contrat à prix unitaire.
[72] Contrairement au contrat à prix forfaitaire qui est fixe et invariable, le contrat à prix unitaire comporte un prix global pour un élément particulier qui peut varier au total suivant la quantité requise pour cet élément, sans que les parties ne soient liées par les quantités approximatives contenues aux estimations ayant servi de base à l’octroi du contrat.
[73] Ainsi, dans un contrat à prix unitaire, l’entrepreneur (Déneigement) est rémunéré en fonction des travaux effectués ou des services réellement rendus.
[74] Sous réserve de ce qui est prévu au devis, toute modification doit être accessoire au contrat et ne doit pas en altérer la réalité. En d’autres termes, il ne faut pas que les changements remettent en cause les choix et décisions de l’entrepreneur de façon à dénaturer les règles d’adjudication des contrats municipaux.
[75] Les tribunaux considèrent raisonnable une variation de l’ordre de 15 % d’une quantité évaluée de façon approximative dans un contrat qui, de cette façon, demeure accessoire et ne change pas la nature du contrat.
En somme, bien que Fontaine a remporté les deux appels d’offres pour environ 5 M$ chacun, elle doit facturer la Ville et sera payée pour la quantité réelle de mètres linéaires qui seront déneigés. Par exemple, si la Ville décide de fermer certaines rues, Fontaine ne déneigera pas celles-ci et ne recevra donc aucun paiement.
Le fait pour la Ville de retirer 8,9% et 4,8% des quantités prévisionnelles prévues aux contrats obtenus par Fontaine est donc permis suivant la logique du contrat à prix unitaire. La Cour supérieure insiste sur le fait qu’il s’agit d’une modification inférieure à 15 % du coût des contrats.
[78] L’interprétation littérale de l’article 14 du devis proposée par Déneigement aurait pour effet d’empêcher toute modification des quantités pendant une période de 5 ans.
[79] Une telle interprétation conduirait au résultat irrationnel de retirer à la Ville tout pouvoir de modification des quantités prévues pour les contrats à prix unitaires, ce qui irait à l’encontre de ce que prévoit le devis, la loi et la jurisprudence.
[80] En l’espèce, la modification faite par la Ville ne change pas la nature du contrat qui demeure un contrat de service à prix unitaire, et ce, malgré la modification et le retranchement de certains secteurs de rue.
[81] De plus, cette modification qui occasionne des diminutions de métrage de 4,76% et 8,86% respecte les variations de l’ordre de 15 % établies par la jurisprudence.
[82] Enfin, la modification s’inscrit dans le cadre des obligations contractuelles prévues dans le devis qui prévoit, à plusieurs endroits, que les quantités ne sont que prévisionnelles.
Notes sur la modification accessoire au contrat principal
Tel que mentionné par la Cour supérieure, les quantités ne peuvent varier de façon trop importante. En effet, si les variations sont si importantes qu’elles dénaturent le contrat, il faudra prévoir un nouvel appel d’offres.
La question de la modification simplement accessoire au contrat – par opposition à celle qui dénature le contrat – fait couler beaucoup d’encre et trouve ses origines de l’arrêt Adricon ltée c. Ville d’East Angus rendu en 1977 par la Cour suprême. Encore aujourd’hui, cet arrêt est largement cité par les tribunaux.
Concernant la variation de l’ordre de 15 % mentionnée par la Cour supérieure – seuil à partir duquel la modification ne serait plus simplement accessoire – elle devrait uniquement être considérée comme un indicateur et non une règle absolue. Il faut également considérer la nature de la modification, tel que mentionné dans le jugement Construction Irebec inc. c. Montréal (Ville de) :
[100] Les nuances apportées par le juge Beetz indiquent que la modification doit être accessoire par rapport à l’ensemble du contrat, qu’il doit y avoir à l’évidence une contrepartie et surtout que l’intention des parties ne soit pas de contourner la loi en altérant par exemple la nature forfaitaire du contrat.
[101] Dans l’affaire Adricon, il s’agissait d’une question de chauffage qui devait être à l’origine aux frais de l’entrepreneur mais en raison de l’octroi tardif en automne du contrat, l’architecte et la Ville avait convenu avec l’entrepreneur que la Ville absorberait les coûts de chauffage. Le juge Beetz conclut :
[…] La modification du contrat relative au chauffage, s’il en est, ne pouvait être conçue autrement que comme partie du contrat. Elle est l’accessoire mineur d’un devis élaboré. Elle n’a pas de raison d’être sans le contrat. Elle doit donc être régie par les dispositions générales du contrat […].
[102] Ce n’est manifestement pas le cas en l’espèce. Comme l’a mentionné précédemment le Tribunal, il ne s’agissait pas d’une modification mais d’ajouts au contrat sans rapport avec le contrat original et délestant les sommes provisionnées au montant de 947 875 $ d’une somme de 154 396,70 $ alors même que la limite de 90 000 $ pour les travaux contingents était dépassée et que Mivela a pu obtenir ces contrats sans aucun appel d’offres.
Ainsi, une modification qui entraîne une hausse de 5 % du prix du contrat mais qui est sans lien avec le contrat initial ne sera pas considérée comme une modification accessoire. Au surplus, le quantum du contrat devrait être considéré : une modification de 15 % pour un contrat de 100 000 $ ne devrait pas nécessairement être interprétée de la même façon que pour un contrat de 10 000 000 $…
***