Azeloglou c. Ville de Mont-Royal, 2018 QCCS 4875
Le pouvoir d’exproprier un immeuble pour des fins d’intérêt public étant exceptionnel et drastique, les tribunaux ont toujours considéré que les procédures prévues par la loi devaient être suivies à la lettre, afin de protéger les droits du propriétaire exproprié. Entre autres, l’avis d’expropriation qui est signifié au propriétaire doit contenir les informations prévues par l’article 40 de la Loi sur l’expropriation, dont « un énoncé précis des fins de l’expropriation ». Ces informations sont nécessaires pour que le propriétaire puisse exercer ses droits, dont celui de contester la légalité de l’expropriation.
Toutefois, selon le jugement rendu par la juge Anne Jacob, de la Cour supérieure, dans l’affaire Azeloglou c. Ville de Mont-Royal, l’exproprié ne peut se réfugier derrière le caractère bref et concis de l’avis d’expropriation pour faire avorter la procédure, mais peut devoir consulter les documents publics auxquels l’avis d’expropriation fait référence pour bien comprendre le projet. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que la destination précise du lot exproprié soit connue au moment de l’avis de l’expropriation, les fins de l’expropriation étant comprises comme celles du projet dans son ensemble.
Les faits
Monsieur Azeloglou est propriétaire d’un immeuble dans le secteur industriel de la Ville de Mont-Royal, où il exploite un garage de mécanique et des entreprises de taxis.
En 2015, la Ville adopte un Programme particulier d’urbanisme (PPU) visant à revitaliser le secteur, dans le cadre du projet connu comme le Quartier Royalmount. Le promoteur Carbonleo prévoit y construire un méga centre commercial, incluant non seulement des magasins et restaurants, mais également des hôtels, un centre aquatique et une salle de théâtre.
Le 22 février 2016, la Ville impose une réserve pour fins publiques sur l’immeuble, en précisant que son expropriation pourrait être requise pour les fins d’un projet conforme au PPU.
Puis, le 27 mars 2017, décide de procéder à l’expropriation de l’immeuble, en précisant dans sa résolution de que l’expropriation est requise pour les fins d’un projet conforme au PPU, et plus précisement pour un redéveloppement dans le cadre du projet de Carbonleo.
L’avis d’expropriation, signifié le 13 avril, précise « que la Ville exproprie aux fins de la réalisation des objectifs du PPU et plus particulièrement afin que l’immeuble soit utilisé à des fins de redéveloppement et de revitalisation du secteur central de la Ville ».
Le propriétaire conteste le droit à l’expropriation, arguant que tant l’avis d’expropriation que le PPU auquel il fait référence sont imprécis, parce que de portée générale.
À quelques semaines de l’audition de la contestation devant la Cour supérieure, la Ville fait signifier un avis d’expropriation amendé, dans lequel elle « ajoute au premier paragraphe de l’avis une référence au troisième alinéa de l’article 85 de la LAU et précise que l’expropriation vise l’aliénation du lot à une personne qui en a besoin pour réaliser un projet conforme au PPU ».
La décision
La juge Anne Jacob décide premièrement que le PPU décrit de façon suffisamment précise le projet envisagé et qu’il n’y a pas lieu d’exiger que l’utilisation spécifique de chaque lot y soit précisée :
[53] La page frontispice du PPU comporte une illustration du plan de la Ville et du quadrilatère spécifiquement visé.
[54] Le document de 55 pages est composé de notes explicatives, de plans, d’illustrations et de photographies répertoriés sous les cinq sections suivantes :
1. Mise en contexte;
2. Caractérisation du territoire;
3. La vision d’aménagement;
4. Orientations d’aménagements & objectifs;
5. Mise en œuvre.
[55] Il traite des aspects énoncés au deuxième alinéa de l’article 85 de la LAU, à l’exception du 7e aspect relatif à la durée approximative des travaux, lequel ne constitue pas un élément soulevé par le demandeur.
[56] La lecture intégrale du PPU révèle qu’il est suffisamment explicite et détaillé et que l’argument de son imprécision à la lumière du deuxième alinéa de l’article 85 de la LAU ne repose sur aucun fondement.
[57] À cette étape du processus, il n’y avait pas lieu d’exiger une description exhaustive relative à l’utilisation spécifique de chaque lot du quadrilatère.
Elle décide également, en se référant à la résolution décrétant l’expropriation et au PPU, que l’énoncé du but de l’expropriation était d’une clarté suffisante pour permettre au demandeur d’exercer ses recours à l’encontre de l’avis d’expropriation :
[68] Les avocats en demande plaident que les quatre autres conditions n’étaient pas remplies lors de l’avis du 11 avril 2017 et lors de l’avis amendé du 3 août 2018.
[69] Or, il importe de souligner que l’avis initial et l’avis amendé réfère non seulement au PPU mais également à la résolution no 17-03-33 adoptée le 27 mars 2017.
[70] La résolution précitée précise que l’expropriation des deux lots alors visés est nécessaire à des fins municipales (1ère condition) afin qu’ils soient utilisés pour la concrétisation d’un projet conforme au PPU dont l’atteinte des objectifs est tributaire de la réalisation de ce projet (3e condition) initié par le promoteur 8329079 Canada inc. (4e condition) et visant le développement multifonctionnel et la revitalisation du secteur central le tout tel que détaillé au PPU (2e condition).
[71] La lecture combinée de cette résolution, de l’avis d’expropriation initial du 11 avril 2017 et du PPU révèle que les conditions invoquées par le demandeur étaient alors remplies.
[72] Il n’y est pas fait mention spécifique que le promoteur était alors propriétaire des terrains représentant les ⅔ de la superficie nécessaire à la réalisation du projet mais la preuve non contredite démontre que cette condition était remplie.
[73] À l’audience, les avocats en demande plaident que les cinq conditions doivent être remplies sans être nécessairement énoncées à l’avis d’expropriation.
[74] Le Tribunal est d’avis que tant la résolution que l’avis initial d’expropriation ainsi que le PPU étaient suffisamment clairs et précis pour permettre au demandeur et à quiconque de connaître l’intention de la Ville et de contrôler si l’exercice du droit à l’expropriation entre dans le cadre de l’utilité publique.
[75] Bref, l’énoncé du but de l’expropriation était d’une clarté suffisante.
[76] Quant à l’avis d’expropriation amendé, le Tribunal considère qu’il était en quelque sorte inutile puisque l’avis du 11 avril 2017 était suffisant dans les circonstances.