Circulation et stationnement, Droit pénal

Cellulaire au volant : un véhicule est-il « stationné » ou « immobilisé » dans un lave-auto?

Poulin c. Ville de Rosemère, 2020 QCCS 2010

Si vous êtes comme moi, vous ne vous êtes probablement pas posé la question de savoir si votre véhicule était « stationné » ou « immobilisé » la dernière fois que vous avez utilisé un lave-auto automatique. Or, la réponse à cette question vous aurait permis de déterminer si vous pouviez légalement y utiliser votre téléphone cellulaire.

Le juge Mario Longpré, de la Cour supérieure, a dû se pencher sur cette question dans une affaire récente. Quant aux faits, la version du policier et du conducteur divergent :

[4]           Le policier voit le véhicule de l’appelant entrer dans le stationnement d’une station-service adjacente à un dépanneur où il est lui-même immobilisé à bord d’un véhicule banalisé. Il constate que l’appelant tient un téléphone cellulaire dans sa main, près de son oreille gauche et il voit très clairement l’écran lumineux du téléphone.

[5]           Selon le policier, l’appelant s’arrête à une pompe à essence et reste assis dans le véhicule pendant que sa passagère sort pour faire le plein. Par la suite, elle entre pour payer. Il voit alors le véhicule entrer au poste de lavage automatique (lave-auto) et, lorsqu’il en ressort, l’appelant a encore le téléphone cellulaire à l’oreille gauche. L’appelant sort de la station-service par le chemin Grande-Côte, pour ensuite emprunter le boulevard Labelle, direction sud.

[6]           En défense, l’appelant témoigne qu’il se déplace en voiture au moment des événements en compagnie de sa conjointe et de leurs deux enfants. Les enfants écoutent un film sur la banquette arrière sur des écrans intégrés aux appuis-tête, ce qui a pour conséquence d’empêcher le système téléphonique Bluetooth de fonctionner. Lorsque le téléphone cellulaire sonne, c’est sa conjointe, qui est passagère, qui répond. Elle place l’appareil dans sa main avec la fonction haut-parleur de manière à ce que l’appelant puisse tenir une conversation.

[7]           L’appelant entre sur le terrain de la station-service et, après avoir immobilisé son véhicule à une pompe à essence, il prend en main le téléphone cellulaire pour continuer sa conversation, le temps de mettre de l’essence. Sa conjointe se rend à l’intérieur de la station-service pour payer l’essence et acheter un lavage. Une fois revenue à l’auto, elle reprend en main le téléphone cellulaire, le temps de se diriger vers le lave-auto. À l’intérieur du lave-auto, compte tenu du bruit ambiant, l’appelant reprend en main le téléphone cellulaire pour mieux entendre son interlocuteur.

[8]           Il redonne le téléphone cellulaire à sa conjointe avant de sortir du lave-auto et continue sa conversation jusqu’au moment de son interception.

En première instance, monsieur Poulin est déclaré coupable :

[11]        Le juge d’instance considère que l’usage d’un téléphone cellulaire avec la fonction haut-parleur ne constitue pas l’utilisation d’un dispositif mains libres et qu’en ce qui concerne l’utilisation du téléphone cellulaire à l’intérieur du lave-auto, l’appelant ne pouvait bénéficier de l’exception prévue lorsqu’un conducteur est stationné, car l’appelant était simplement immobilisé et non pas stationné.

[12]        Le juge d’instance conclut à la culpabilité de l’appelant considérant que son témoignage n’est pas crédible et qu’il ne soulève pas de doute raisonnable

Dans un premier volet du jugement, le juge Longpré conclut que le juge d’instance a commis une erreur de droit en considérant que la fonction haut-parleur ne constitue pas un dispositif mains libres (ce volet de la décision est analysé plus en détail dans un billet publié par Me Catherine Vaillancourt-Gauvreau sur le blogue de SOQUIJ). Par conséquent, si la version de l’appelant, corroborée par sa conjointe, avait été crue ou avait soulevé un doute raisonnable, celui-ci n’aurait pas pu être condamné pour les faits survenus à l’extérieur du lave-auto.

Toutefois, cette erreur du juge d’instance est sans conséquence, puisque l’appelant a avoué avoir utilisé le téléphone cellulaire en le manipulant à l’intérieur du lave-auto.

Le véhicule est immobilisé, et non stationné

L’article 443.7 prévoit des situations où l’interdiction d’utiliser un téléphone cellulaire ne s’applique pas :

443.7.  Les articles 443.1 et 443.2 ne s’appliquent pas :

1°  à un conducteur d’un véhicule routier, si son véhicule est stationné de manière à ne pas contrevenir aux dispositions du présent code ou d’une autre loi;

2°  à un cycliste, s’il est immobilisé en bordure de la chaussée ou sur l’accotement de façon à ne pas gêner la circulation.

Le juge de la Cour supérieure doit donc déterminer si son collègue de première instance a commis une erreur en concluant que le véhicule de l’appelant était immobilisé, et non stationné, à l’intérieur du lave-auto :

[75]        Dans le Code de la sécurité routière, il y a des dispositions qui s’appliquent au stationnement d’un véhicule et d’autres qui s’appliquent à l’immobilisation d’un véhicule.

[76]        Comme la Cour supérieure l’énonçait dans Montréal (Ville de) c. Dion[24], l’immobilisation d’un véhicule et le stationnement d’un véhicule sont deux manœuvres distinctes, bien que le stationnement d’un véhicule implique nécessairement son immobilisation.

[77]        Dans la même décision, la Cour énonce que l’immobilisation résulte habituellement de la nécessité ou encore d’un acte volontaire qui est temporaire de par sa nature et habituellement brève[25].

[78]        Quant à la manœuvre de stationnement, la Cour mentionne qu’elle résulte généralement d’une décision librement prise par le conducteur, peu importe ses motifs[26].

[79]        Le Tribunal est d’avis, en s’appuyant sur la jurisprudence, qu’un véhicule est immobilisé et non pas stationné lorsqu’il est, entre autres, immobilisé en raison de la congestion routière ou arrêté à un feu rouge ou à un arrêt obligatoire. Ces situations sont temporaires et le conducteur, dans tous les cas, remettra nécessairement son véhicule en mouvement après un court laps de temps et, à ce moment, il aura besoin de toute son attention pour réagir aux changements de situation et aux aléas possibles[27].

[80]        D’autre part, le Tribunal est d’avis qu’un véhicule est stationné, entre autres lorsqu’il est immobilisé en bordure de la rue ou dans une aire de stationnement, car la personne qui occupe le siège de conducteur ne conduit pas[28].

[81]        De plus, selon le Tribunal, lorsqu’un véhicule est stationné, le conducteur est généralement en mesure de sortir de son véhicule, s’il le désire.

[82]        La conclusion qu’un conducteur est stationné ou pas dans un lave-auto dépendra avant tout des circonstances et du contexte révélés par la preuve[29].

[83]        L’appelant a fourni bien peu d’informations au juge d’instance pour le convaincre qu’il était stationné et s’acquitter de son fardeau[30]. Son témoignage ainsi que celui de Mme Tremblay, sa conjointe, ne révèlent même pas si le moteur du véhicule était éteint, ou encore à quelle position se trouvait le levier d’embrayage le temps du lavage.

[84]        Il ne faut pas interpréter le présent jugement comme un énoncé général voulant qu’un conducteur ne puisse jamais accomplir la manœuvre de stationner un véhicule routier dans un poste de lavage automatique ou tout autre type de lave-auto. Tout dépendra des circonstances en cause et de la preuve soumise au juge des faits.

[…]

[97]        Mais il y a plus. Même si le Tribunal était d’avis que le juge d’instance aurait erré dans l’appréciation de la crédibilité des témoins, cela ne serait déterminant uniquement que pour la portion des faits survenus à l’extérieur du lave-auto. Quant aux faits survenus à l’intérieur du lave-auto, la situation est différente, car la preuve présentée en défense révèle que l’appelant a non seulement fait usage de son téléphone cellulaire en le tenant en main pendant qu’il était immobilisé, mais aussi qu’il a roulé dans le lave‑auto alors qu’il tenait l’appareil à l’oreille. Il s’agit donc d’un aveu de la commission de l’infraction à l’intérieur du lave-auto suffisant pour prouver la culpabilité de l’appelant sans égard aux questions touchant à l’appréciation de sa crédibilité et à celle de sa conjointe.

Bien qu’il soit peu probable (mais possible) que vous soyez intercepté par un policier à l’intérieur d’un lave-auto, ce jugement permet de mieux comprendre à quel moment il est possible d’utiliser légalement le téléphone cellulaire alors que le véhicule est arrêté.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s