Ville de Desbiens c. Fortin, 2022 QCCS 1957
Nous avons fait état, sur ce blogue, d’une décision rendue en 2019 où la Ville de St-Constant avait obtenu une injonction contre un citoyen afin qu’il ne puisse plus se présenter aux séances du Conseil municipal. Celui-ci avait un comportement menaçant envers les élus et les employés municipaux.
Puis, l’année dernière, l’UMQ lançait sa campagne « La démocratie dans le respect, par respect pour la démocratie ». Celle-ci visait notamment à contrer une « multiplication de déclarations agressives et de gestes d’intimidation à l’égard des élues et élus municipaux, particulièrement sur les médias sociaux ».
Cette fois, c’est la Ville de Desbiens, son ancien maire ainsi que son ancienne directrice générale qui réclament des dommages à un citoyen. Celui-ci était particulièrement critique face à l’administration municipale et lui reprochait une kyrielle de problèmes affectant sa rue, le bris de sa haie de cèdres, etc.
Puis, un beau jour, il se présente en colère à l’hôtel de ville pour rencontrer la directrice générale, Mme Roy :
[22] M. Fortin s’est donc présenté à la réception de l’hôtel de ville où il y a vu Mme Roy en direction de son bureau. Sans plus de préambule, il a indiqué à cette dernière qu’il devait lui parler et l’a suivie dans son bureau sans invitation en claquant la porte et s’est assis face à elle.
[23] Se sentant intimidée, Mme Roy a demandé à M. Fortin d’ouvrir la porte de son bureau, ce qu’il a refusé de faire. Celui-ci a plutôt invité celle-ci à ouvrir elle-même cette porte si elle le souhaitait.
[24] D’un ton ferme et menaçant, M. Fortin a indiqué à Mme Roy qu’il ne quitterait pas le bureau sans d’abord avoir obtenu un reçu approprié de la part de la Ville pour le paiement de ses taxes, tout en traitant celle-ci de folle, d’incompétente et d’hypocrite.
[25] Pendant ce temps, M. Claude Delisle, conseiller municipal, et M. Frédéric Bernier, employé municipal, qui discutent à proximité du bureau de Mme Roy, sont alertés par le vacarme et le ton agressif de M. Fortin. M. Delisle demande immédiatement à la réceptionniste d’appeler le 911. Après que la porte du bureau de Mme Roy soit ouverte par celle-ci, les deux hommes interviennent et demandent au défendeur Serge Fortin de quitter les lieux.
[26] Le ton monte et M. Fortin commence à insulter les deux hommes en les traitant de tous les noms. Il en profite également pour continuer d’injurier et de critiquer tout ce qui se rapporte à l’administration municipale et plus spécifiquement à Mme Roy et M. Martel. M. Fortin adopte un comportement provocateur, la discussion dégénère avec les deux hommes et la tension monte jusqu’à ce que M. Fortin obtienne finalement le reçu de paiement de taxes demandé et quitte l’hôtel de ville juste avant l’arrivée des policiers.
[27] Après le départ de M. Fortin, Mme Roy est sous le choc, elle pleure et tremble. Elle peine à comprendre ce qui vient de se produire et se sent complètement démolie. Elle avise M. Martel de la situation et, de retour chez elle, bouleversée, elle pleure toute la fin de semaine, incapable d’aller travailler le lundi suivant.
Des accusations de harcèlement criminel et de menaces seront portées contre le citoyen. Il plaide coupable aux accusations de menaces en plus de signer un engagement de garder la paix en vertu de l’article 810 C.cr. Depuis son arrestation, le citoyen ne se présente plus à l’hôtel de ville et n’a plus aucun contact avec l’administration municipale.
Injonction rejetée, dommages octroyés
La première demande vise à obtenir une ordonnance de protection en vertu de l’article 509(2) C.p.c. Or, au moment du procès, trois (3) années se sont écoulées sans que le citoyen ne récidive – aucun geste d’harcèlement ou de menace n’a été posé depuis son arrestation. Vu l’absence de risque, la demande d’ordonnance est rejetée.
Or, il n’en demeure pas moins que le comportement du citoyen lors de sa visite à l’hôtel de ville était inacceptable. La Cour supérieure détermine que des dommages doivent être octroyés aux membres de l’administration municipale en lien avec cet évènement, traçant ainsi la ligne entre la revendication et l’intimidation :
[56] Les témoignages entendus en demande, bien qu’ils puissent diverger sur certains aspects plus secondaires, font tous ressortir l’attitude contrôlante de M. Fortin, ses propos arrogants, méprisants et l’absence totale de respect de l’autorité de la Ville et des gens qui la représentent. Sans autorisation, il s’est imposé dans le bureau privé de la directrice générale, l’a dénigrée et insultée. Il a provoqué de la crainte à celle-ci et lui a fait subir un stress important.
[57] M. Fortin est responsable de ses comportements et il doit répondre de ses agissements.
[58] D’ailleurs, malgré qu’il ait souscrit un engagement de garder la paix, celui-ci ne reconnaît toujours pas son comportement inapproprié et intimidant adopté lorsqu’il s’est présenté à l’hôtel de ville. Il continue de soutenir que le tout s’est déroulé civilement et que c’est lui qui s’est fait injurier. C’est lui la victime, dit-il. Sa version ne tient pas la route. Pourquoi a-t-il accepté de souscrire un engagement de garder la paix alors?
[59] Les citoyens ont tout à fait le droit de dénoncer leurs insatisfactions et de revendiquer certains droits auprès de leur ville. Là n’est pas la question. Ce qui heurte, c’est l’intimidation, le dénigrement des représentants de ces instances et le fait de défier leur autorité.
[60] L’atteinte à un droit donne ouverture à un recours en dommages en faveur de la victime contre l’auteur de la faute.
[61] En plus des dommages moraux ou compensatoires, la Loi permet dans certains cas d’accorder des dommages exemplaires ou punitifs lorsque l’auteur de la faute a porté atteinte à des droits fondamentaux.
Au final, l’ancien maire obtiendra 2000$ en dommages moraux et l’ancienne directrice générale obtiendra 4000$ en dommages moraux et 1000$ en dommages punitifs.
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