Élus municipaux, Éthique et déontologie

Une municipalité obtient des dommages et une ordonnance contre son ancien directeur général

Municipalité du Canton de Potton c. Roger, 2023 QCCS 341

Même s’il s’agit d’une petite municipalité de moins de 2000 habitants située dans un décor enchanteur, il semble que la Municipalité du Canton de Potton n’est pas à l’abris de la zizanie. Celle-ci vient d’avoir gain de cause devant la Cour supérieure dans le cadre d’un litige contre son ancien directeur général. On comprend que la trame de fond est constituée d’un conflit larvé entre employés, élus et opposants politiques.

Allons directement au cœur de l’affaire : en novembre 2018, la municipalité met fin au contrat de travail de son ancien directeur général, lequel reçoit une indemnité équivalente à 16 mois de salaire. Notons que celui-ci était à l’emploi de la municipalité depuis huit ans. En contrepartie, l’ancien directeur général signe une transaction et quittance, laquelle contient divers engagements envers la municipalité.

Quelques mois plus tard, au cours de l’année 2019, un conflit prend forme entre les élus municipaux et l’ancien directeur général. En octobre 2019, ce conflit culmine par l’envoi d’un courriel de l’ancien directeur général à une centaine de citoyens de la municipalité (il avait obtenu les adresses dans le cadre de ses anciennes fonctions) afin de critiquer la gestion de différents dossiers municipaux.

Fin 2019, la municipalité dépose un recours en injonction et en dommages contre l’ancien directeur général.

La responsabilité contractuelle de l’ancien directeur général

Dans un premier temps, la Cour supérieure souligne que les fautes reprochées à l’ancien directeur général doivent être évaluées à l’aune du poste qu’il occupait et de ses anciennes responsabilités. Elle note également que le courriel susmentionné a été envoyé à l’intérieur du délai de 16 mois de salaire qui constituait l’indemnité octroyée lors de la cessation de son lien d’emploi :

[51] Ainsi, les obligations légales de loyauté et de confidentialité d’un employé envers son employeur demeurent même lorsque le contrat de travail est résilié sans motif sérieux puisque ces obligations survivent pendant un délai raisonnable suivant la terminaison du contrat.

[52] L’appréciation de la raisonnabilité du délai tient notamment compte du niveau hiérarchique ou du degré de responsabilité du salarié chez son ex-employeur et de la nature de l’information en cause. L’intensité de l’obligation de loyauté post-emploi variera donc selon la nature des fonctions et responsabilités confiées au salarié.

[53] Dans le cas de Roger qui était le DGST de la Municipalité, donc son «fonctionnaire principal», cette obligation est évidemment plus lourde que celle d’un employé de la voirie.

[54] Il y a un parallèle à faire entre le délai raisonnable associé à l’obligation légale de loyauté de Roger et l’interdiction qui lui était imposée en tant que DGST d’occuper un autre emploi après son départ de la Municipalité.

[55] En effet, en vertu de l’article 6 du Règlement 2012-411 décrétant un Code d’éthique et de déontologie des employés municipaux (ci-après le « Code d’éthique »), auquel Roger avait adhéré en signant son contrat de travail, il ne pouvait occuper, dans les douze mois suivant la fin de son emploi, «toute autre fonction de telle sorte que lui-même ou toute autre personne tire un avantage indu de ses fonctions antérieures.»

[56] Ainsi, le fait que Roger ait distribué son Courriel litigieux moins d’un an suivant la fin de son contrat est certainement un élément important à prendre en considération.

[57] Au surplus, les parties ont convenu que Roger recevrait une indemnité de départ équivalant à deux mois de salaire par année de service, soit 16 mois de salaire. La Municipalité était en droit de s’attendre à ce que Roger respecte fidèlement son obligation légale de loyauté durant ces 16 mois pour lesquels il avait reçu son salaire à l’avance.

Puis, la Cour supérieure cite l’arrêt Fraser rendu par la Cour suprême en 1985, lequel porte sur le devoir de réserve des fonctionnaires:

[58] Dans l’arrêt Fraser, une décision de principe en la matière, la Cour suprême écrit qu’un emploi dans la fonction publique comporte deux dimensions : l’une se rapportant aux tâches de l’employé et à la manière dont il les accomplit, l’autre se rapportant à la manière dont le public perçoit l’emploi. Elle juge qu’un fonctionnaire est tenu de faire preuve d’un certain degré de modération dans ses actions relatives aux critiques des politiques du gouvernement, de sorte que la fonction publique soit perçue comme impartiale et efficace dans l’accomplissement de ses fonctions, le degré de modération requis étant toutefois variable selon le poste et la visibilité du fonctionnaire. Elle précise que les fonctionnaires jouissent d’une certaine liberté pour critiquer le gouvernement, mais qu’il ne s’agit pas d’une liberté absolue. La Cour ajoute ce qui suit :

« 43. À mon avis, il existe au Canada une tradition semblable en ce qui a trait à notre fonction publique. La tradition met l’accent sur les caractéristiques d’impartialité, de neutralité, d’équité et d’intégrité. Une personne qui entre dans la fonction publique ou une qui y est déjà employée doit savoir, ou du moins est présumée savoir, que l’emploi dans la fonction publique comporte l’acceptation de certaines restrictions. L’une des plus importantes de ces restrictions est de faire preuve de prudence lorsqu’il s’agit de critiquer le gouvernement. »

Ainsi, en étant à l’emploi de la municipalité pendant huit ans – de surcroît au poste de directeur général – et en acceptant une indemnité de départ équivalente à 16 mois de travail, l’ancien directeur général se devait de faire preuve de réserve à l’endroit des politiques municipales.

L’employé municipal se trouve donc à renoncer à une certaine liberté d’expression vis-à-vis les affaires de la municipalité, même après la fin de son lien d’emploi. Évidemment, le tout sera notamment modulé en fonction des engagements contractuels et de la nature de l’emploi.

Les conclusions prononcées

La Cour supérieure détermine que l’ancien directeur général a orchestré une campagne de salissage contre la municipalité. Celle-ci était particulièrement efficace puisque l’ancien directeur général avait accès à certaines informations privilégiées compte tenu de ses anciennes fonctions.

L’ancien directeur général est donc condamné à verser la somme de 25 000$ en dommages à la municipalité, en plus de 5 000$ en dommages punitifs:

[167] L’envoi du Courriel ayant directement causé une perturbation des activités de l’administration municipale, la preuve du lien de causalité entre les fautes contractuelles de Roger et les dommages réclamés par la Municipalité a été faite de façon prépondérante.

[168] Par ailleurs, Roger n’a exprimé aucun remords ni regret quant aux conséquences de ses gestes fautifs et il n’a même jamais tenté de présenter des excuses. Il est pourtant bien établi que le fait de présenter des excuses ne constitue pas un aveu ni une admission de responsabilité. Or, la doctrine et la jurisprudence ont généralement retenu l’absence d’excuse comme étant un fait aggravant en matière d’atteinte à la réputation.

[169] Toutefois, depuis l’entrée en vigueur de l’article 2853.1 C.c.Q. qui prévoit notamment, au second alinéa, qu’une excuse « ne peut être admise en preuve », il devient difficile de considérer comme étant un facteur aggravant l’absence d’un fait (l’absence d’excuse) alors qu’en soi, le fait (l’excuse) ne peut plus être prouvé. Le soussigné ne pense pas que ce soit l’objectif visé par le législateur puisque les auteurs et les tribunaux ont toujours pris en considération les excuses et les expressions de remords comme étant un facteur atténuant, et ce, autant en droit civil que criminel. Mais puisque les parties n’ont pas fait de représentation à cet égard, il n’est pas utile d’en dire plus.

[170] Chaque affaire demeure un cas d’espèce et la somme de 25 000 $ qui est réclamée par la Municipalité pour compenser ses dommages moraux apparaît juste et surtout très raisonnable dans les circonstances.

[171] Cette indemnité se situe d’ailleurs à l’intérieur de la fourchette habituelle de 10 000 $ à 25 000 $ accordés aux personnes morales dont le droit à la réputation est atteint.

Au surplus, la Cour supérieure prononce une ordonnance injonctive contre l’ancien directeur général afin que celui-ci cesse de porter atteinte à la réputation de la municipalité ou celle de ses élus ainsi que d’utiliser des informations confidentielles obtenues dans le cadre de ses anciennes fonctions :

[190] Dans le contexte où Roger s’était librement engagé contractuellement à ne pas nuire ni porter atteinte à la réputation de la Municipalité et de ses élus, qu’il a enfreint à plusieurs reprises ses obligations contractuelles et qu’il a continué à le faire jusqu’au procès, il est approprié de prononcer une ordonnance d’injonction pour prévenir toute récidive.

[191] En effet, en dépit des procédures en injonction intentées contre lui, Roger a continué d’alimenter les réseaux sociaux au sujet du litige qui l’opposait à la Municipalité, et ce, même dans les jours précédant la tenue de l’audition de la présente affaire et il s’est adressé aux élus dans le but de les inciter à abandonner le recours entrepris contre lui.

[192] Bien que la Demande prévoie des conclusions très précises à ce sujet, il convient de limiter les ordonnances injonctives à ce qui est essentiel, soit :

  • Cesser et s’abstenir de poser des gestes, tenir des propos ou divulguer des informations pouvant porter atteinte à la réputation de la Municipalité du Canton de Potton ou celle de ses élus, ou pouvant leur nuire ou nuire à leur image, et ce, que ce soit personnellement ou par l’intermédiaire d’une autre personne, et de quelque façon que ce soit et par quelque moyen que ce soit, incluant par la voie des médias sociaux;
  • Cesser et s’abstenir d’utiliser ou divulguer des renseignements confidentiels obtenus dans l’exécution ou à l’occasion de son travail comme directeur général et secrétaire-trésorier de la Municipalité du Canton de Potton.

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