Aménagement et urbanisme, Contrôle judiciaire

Architecture et patrimoine : quand les propriétaires font face à un PIIA

Barrière c. Ville de Chambly, 2023 QCCS 914

Les plans d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA) ne sont plus nouveaux en droit municipal québécois. La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU) a été modifiée en 1989 afin de prévoir la possibilité pour les municipalités d’adopter un règlement à cet effet. En 2003, la Cour d’appel a rendu l’arrêt de principe Ferme Geléry Inc.  portant sur l’interprétation d’un règlement PIIA, rappelant du même souffle qu’elle «est depuis longtemps révolue l’époque où le propriétaire foncier était maître absolu en son domaine».

Il n’en demeure pas moins que les règlements PIIA sont souvent méconnus du public en général et qu’ils peuvent soulever un certain mécontentement des propriétaires.

Un règlement PIIA permet essentiellement à la municipalité d’exercer un pouvoir discrétionnaire sur l’implantation et l’architecture des bâtiments et des terrains. Elle confère une certaine flexibilité dans l’évaluation d’un projet, contrairement au cadre rigide qui est imposé par les autres règlements municipaux normatifs. Ainsi, dans l’arrêt Ferme Geléry Inc., la municipalité avait notamment imposé au producteur agricole de planter un écran de verdure afin d’entourer sa future porcherie d’engraissement.

Dans le jugement précité rendu le 21 mars dernier, les propriétaires souhaitait procéder à la rénovation de leur balcon. Or, il s’agit d’une résidence patrimoniale construite en 1920 dont les balcons sont en bois. Comme nous sommes en présence d’une résidence ayant un intérêt patrimonial supérieur, le règlement sur les PIIA de la Ville de Chambly trouve application : le projet de rénovation doit être présenté au Comité consultatif d’urbanisme (CCU) puis être approuvé par une résolution adoptée par les élus municipaux.

Or, les propriétaires de la résidence souhaite remplacer les matériaux de bois du balcon par un produit en fibre de verre. Le règlement sur les PIIA prévoit notamment que l’utilisation de matériaux d’origine naturelle et non transformés est privilégiée. Le Conseil municipal, sur recommandation du CCU, accepte que les propriétaires procèdent à la rénovation du balcon dans la mesure où des produits de bois soient utilisés plutôt que de la fibre de verre. Mécontents, les propriétaires saisissent la Cour supérieure.

Délai raisonnable pour contester la résolution

La véritable nature du recours judiciaire des demandeurs est un pourvoi en contrôle judiciaire par lequel la validité de la résolution est attaquée. Or, ce recours doit être intenté dans un «délai raisonnable». On considère habituellement qu’un délai raisonnable est de 30 jours. À bon droit, la Cour supérieure mentionne que l’adoption de la résolution constitue le point de départ du délai (plutôt que la réponse de la Ville de Chambly à la lettre de mise en demeure des propriétaires). Ici, comme il s’est écoulé plus de 12 mois entre l’adoption de la résolution et le dépôt du recours, ce dernier doit être rejeté.

L’arrêt Vavilov et la décision raisonnable

La Cour supérieure poursuit néanmoins son raisonnement afin de trancher si la résolution de la Ville de Chambly est valide. En application de l’arrêt Vavilov, la Cour supérieure applique la norme de la décision raisonnable. En effet, la LAU est silencieuse sur la norme de contrôle applicable et ne prévoit pas de mécanisme d’appel à l’encontre d’une résolution municipale en matière de PIIA. Il faut donc présumer que la norme de la décision raisonnable s’applique. Au surplus, notons que les Tribunaux confère une grande discrétion aux élus municipaux en matière de PIIA, un exercice subjectif et imminemment «local».

Interprétation large de la notion d’architecture

Le principal argument des demandeurs était à l’effet que le règlement PIIA ne s’appliquait pas à leur projet de rénovation de balcon puisque celui-ci n’était pas une composante de l’architecture de la résidence. Or, comme plusieurs jugements antérieurs, la Cour supérieure a préféré une interprétation large de la réglementation municipale :

[41] Dans leur mémoire, les demandeurs invitent le Tribunal à adopter une définition d’architecture qui se colle uniquement aux éléments de style. Avec égards, la science de l’architecture comporte plus que des questions de style. (…)

[42] Qui plus est, il est évident du PIIA que le concept « l’architecture » va au-delà des éléments de style ou d’apparence. Le plan architectural qui doit accompagner la demande de permis doit comporter beaucoup de détail : (…).

[44] Finalement sur ce point, pour interpréter le PIIA de la Ville le Tribunal doit le lire dans son contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit du règlement, son objet et l’intention du législateur.

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