Ville de Québec c. Immeubles commerciaux Murray inc., 2022 QCCM 82
Dans un jugement rendu le 13 décembre 2022, la Cour municipale de la Ville de Québec condamne un propriétaire (une personne morale) en lien avec cinq constats d’infraction au Règlement de l’Arrondissement de La Cité-Limoilou sur l’urbanisme, R.C.A.1V.Q.4. Les accusations portaient sur l’exercice, dans deux immeubles, d’un usage interdit dans la zone en question, soit l’usage « établissement d’hébergement touristique général ».
Les faits de l’affaire
Le juge résume ainsi les faits essentiels retenus :
[10] La défenderesse est propriétaire de deux immeubles à logements qui portent respectivement les adresses civiques 40 à 40½ et 44 à 46, rue Garneau, à Québec. Au plan de zonage annexé au Règlement, les deux immeubles sont situés dans la zone 11016Hb.
[11] Selon la grille de spécifications des usages de la zone 11016Hb, la location d’une chambre (pour une période n’excédant pas 31 jours) à une clientèle de passage est un « usage spécifiquement exclu ». Les seuls usages autorisés dans cette zone sont liés à l’habitation [Logement (H1)] et la récréation extérieure [Parc (R1)].
[12] Le 3 octobre 2019, Patrick Bouchard-Laurendeau effectue des recherches sur la plateforme Airbnb afin de vérifier la présence d’établissements d’hébergement touristique illégaux sur le territoire de la Ville de Québec.
[13] Une première annonce attire son attention. Il s’agit d’un appartement situé dans le Vieux-Québec. L’hôte est identifié sous le pseudonyme de « Mermaid ». Le technicien simule une réservation du logement pour une nuitée du 14 au 15 octobre 2019. Le logement est disponible à ces dates au prix de 152 $ par nuitée, plus les taxes et frais afférents.
[14] Une seconde annonce attire son attention, il s’agit d’un « loft exceptionnel » situé dans le Vieux-Québec. L’hôte est identifié sous le pseudonyme de « Jepeto ». Le technicien simule une réservation du logement pour une nuitée du 9 au 10 octobre 2019. Le logement est disponible à ces dates au prix de 84 $ par nuitée, plus les taxes et frais afférents.
[15] À la suite de l’analyse des photographies publiées dans ces annonces et selon son expérience relativement à des cas similaires répertoriés dans le Vieux-Québec, Patrick Bouchard-Laurendeau estime que ces appartements présentent des caractéristiques similaires à celles d’appartements qui se trouvent dans des immeubles à logements situés sur la rue Garneau.
[16] Le 15 octobre 2019, le technicien adresse une lettre à la défenderesse pour l’aviser d’une visite de l’immeuble situé au 46, rue Garneau, afin de vérifier sa conformité avec la réglementation applicable. Il demande aux représentants de la défenderesse de communiquer avec lui avant le 22 octobre 2019. Une copie de la lettre est également transmise à Claude Murray, président de la défenderesse, à son adresse de correspondance à Mont-Joli.
(…)
[18] Le 13 novembre 2019, Patrick Bouchard-Laurendeau effectue une inspection de l’immeuble situé au 40½, rue Garneau, à Québec, en compagnie de Frédéric Murray. Il visite l’appartement #1 et prend plusieurs photographies des lieux. Une personne est présente dans le logement lors de la visite.
[19] Le témoignage du technicien et la comparaison des photographies démontrent, hors de tout doute raisonnable, que l’appartement #1 de l’immeuble situé au 40½, rue Garneau, à Québec, correspond à celui offert en location sur la plateforme Airbnb le 3 octobre 2019 sous le numéro d’annonce #29281462.
[20] Patrick Bouchard-Laurendeau visite ensuite l’appartement #202 de l’immeuble situé au 44 à 46, rue Garneau. Il prend des photographies des lieux. Le logement ne semble pas habité à long terme par un locataire.
[21] Le témoignage du technicien et la comparaison des photographies démontrent, hors de tout doute raisonnable, que l’appartement #202 de l’immeuble situé au 44 à 46, rue Garneau, à Québec, correspond à celui offert en location sur la plateforme Airbnb le 3 octobre 2019 sous le numéro d’annonce #29605774.
[22] Le 23 décembre 2019, Patrick Bouchard-Laurendeau retourne consulter l’annonce publiée sur la plateforme Airbnb pour l’appartement #1 situé dans l’immeuble du 40½, rue Garneau. L’hôte est toujours identifié sous le pseudonyme de « Mermaid ». Le technicien simule une réservation du logement pour une nuitée du 9 au 10 janvier 2020. Le logement est disponible à ces dates au prix de 150 $ par nuitée, plus les taxes et frais afférents.
[23] Le même jour, il retourne consulter l’annonce publiée sur la plateforme Airbnb pour l’appartement #202 situé dans l’immeuble du 44 à 46, rue Garneau. L’hôte est toujours identifié sous le pseudonyme de « Jepeto ». Le technicien simule une réservation du logement pour une nuitée du 7 au 8 janvier 2020. Le logement est disponible à ces dates au prix de 90 $ par nuitée, plus les taxes et frais afférents.
[24] Le 24 janvier 2020, Patrick Bouchard-Laurendeau consulte à nouveau l’annonce #29281462 publiée sur la plateforme Airbnb pour l’appartement #1 situé dans l’immeuble du 40½, rue Garneau. L’hôte est toujours identifié sous le pseudonyme de « Mermaid ». Le technicien simule une réservation du logement pour une nuitée du 26 au 27 janvier 2020. Le logement est disponible à ces dates au prix de 95 $ par nuitée, plus les taxes et frais afférents.
[25] Les cinq constats d’infractions à l’étude ont été délivrés par Patrick-Bouchard Laurendeau le 2 juillet 2020.
La culpabilité de l’accusée
Le juge refuse de constater qu’il est en présence d’un usage de type résidentiel, le seul autorisé dans la zone outre l’usage « parc et récréation ». Plutôt, l’usage constaté par la preuve se qualifie, selon le tribunal, d’établissement d’hébergement touristique général au sens du Règlement. Le juge s’explique ainsi :
[26] Aux dates des infractions alléguées, l’usage du logement (et d’une partie de l’immeuble) faisait partie du groupe d’usages C10 établissement d’hébergement touristique général plus amplement décrit à l’article 34 du Règlement :
34. Le groupe d’usages C10 établissement d’hébergement touristique général comprend les établissements qui offrent, publiquement et contre rémunération, de la location d’unités d’hébergement à des touristes, pour une durée de 31 jours consécutifs ou moins. Ces établissements peuvent offrir des services de réception et d’entretien ménager quotidiens, ainsi que tout autre service hôtelier.
[Soulignement de l’auteur, et non pas dans l’original]
[27] Selon la grille de spécification des usages, les établissements qui font partie du groupe d’usage C10 ne sont pas autorisés dans la zone 11016Hb où se trouve l’immeuble. L’article 4 du Règlement édicte notamment que :
4. Aux fins du présent règlement, n’est autorisé que ce qui est expressément prescrit.
[28] Pour être autorisé, un établissement qui fait partie du groupe d’usages C10 établissement d’hébergement touristique général doit figurer à la grille de spécification des usages de la zone concernée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
[29] Le simple fait d’offrir publiquement le logement en location à des touristes (pour une durée de 31 jours consécutifs ou moins) et contre rémunération constitue un usage prohibé dans la zone où se situe l’immeuble. De fait, l’offre de location est un élément essentiel des usages d’établissement d’hébergement touristique. La poursuivante n’a pas à prouver la location effective du logement ni même son occupation par des touristes à la date de l’infraction reprochée.
[30] La poursuivante a donc prouvé, hors de tout doute raisonnable, tous les éléments constitutifs des infractions reprochées.
[Soulignement de l’auteur, et non pas dans l’original]
Le moyen de défense sur l’usage collaboratif associé à une résidence principale
L’accusée invoque en défense que les locaux visés par les constats sont aussi utilisés comme lieux de résidence principale et occupés à ce titre par deux locataires. Le juge, en plus d’établir que le fardeau de cette démonstration revenait à l’accusée, refuse de constater ici un tel usage résidentiel des lieux concernés. Il écrit :
[31] La défenderesse ne conteste pas l’usage des logements à des fins d’hébergement touristique. Elle plaide toutefois que ces activités sont autorisées par la réglementation municipale et que ce sont les locataires de ces deux appartements, (…), qui louent directement leurs logements à des touristes.
[32] Sans y faire expressément référence, le représentant de la défenderesse invoque en sa faveur les dispositions du nouvel article 178.0.1 du Règlement (ajouté par l’article 13 du Règlement modifiant le règlement d’harmonisation sur l’urbanisme et les règlements d’arrondissement sur l’urbanisme relativement à l’hébergement touristique) qui se lit comme suit :
§5.1. — Hébergement touristique collaboratif associé à un logement
178.0.1. L’hébergement touristique collaboratif, soit la location par son occupant, à des touristes, d’un logement entier lui servant de résidence principale ou d’une chambre dans ce logement, pour une durée de 31 jours consécutifs ou moins, est associé à un logement, sous réserve du respect des conditions suivantes :
1° le logement dans lequel est offert l’hébergement touristique est la résidence principale du locateur;
2° (…)
[Soulignements de l’original]
[33] Cette disposition permet à l’occupant d’un logement, sous certaines conditions, de faire de « l’hébergement touristique collaboratif ». L’occupant doit toutefois être une personne physique et le logement doit être sa « résidence principale ».
[34] La définition de « résidence principale » se trouve à l’article 1 du Règlement :
« Résidence principale » : endroit où une personne habite de manière régulière et prépondérante. Une personne ne peut avoir qu’une seule résidence principale.
[35] Conformément au second alinéa de l’article 64 C.p.p., il incombe à la défenderesse d’établir, par prépondérance de preuve, qu’elle bénéficie d’une exception, d’une exemption, d’une excuse ou d’une justification prévue par la loi.
[36] Autrement dit, puisque les établissements d’hébergement touristique général ne sont pas autorisés (et par le fait même prohibés) dans la zone où se situe l’immeuble, la défenderesse doit démontrer qu’il s’agit d’un « usage associé au logement » selon les critères énumérés à l’article 178.0.1 afin de pouvoir invoquer l’exemption prévue par le règlement en matière d’hébergement touristique collaboratif.
[37] En l’espèce, la défenderesse a tenté de faire cette démonstration par les témoignages [des locataires].
[Soulignement de l’auteur, et non pas dans l’original]
Cette tentative de démonstration par l’accusée échoue manifestement, puisque la crédibilité des deux locataires occupants est attaquée avec succès par la poursuivante. La preuve documentaire au soutien de leur occupation comme résidence principale est jugée incomplète en lien avec la période concernée par les constats et jugée autrement peu fiable par le tribunal. Le juge écrit :
[52] Le Tribunal souligne que la preuve testimoniale et les documents déposés en preuve par les témoins de la défenderesse soulèvent de sérieuses interrogations sur la véracité des renseignements transmis à Tourisme Québec afin d’obtenir des attestations d’établissement de résidence principale pour les deux logements. De fait, tout semble indiquer l’existence d’un stratagème par lequel des personnes physiques acceptent de servir de prête-noms en simulant l’occupation d’un logement afin que la défenderesse puisse invoquer l’exception prévue en matière d’hébergement touristique collaboratif. Cela dit, il n’est pas nécessaire, aux fins des présentes, d’investiguer davantage à ce sujet.
[53] En sa qualité de propriétaire des immeubles où se trouvent les logements, la défenderesse doit veiller à ce que les usages exercés dans son immeuble respectent la réglementation d’urbanisme, et ce, même si les lieux peuvent être occupés par des tiers.
[Soulignement de l’auteur, et non pas dans l’original]
La peine appropriée
Quant à la peine appropriée, le Règlement prévoit une peine fixe et minimale de 2 000$ pour une personne morale, lorsqu’il ne s’agit pas d’une récidive. L’émission d’une série de constats de suite pour une première situation d’infraction n’est pas, selon le tribunal, un abus de procédure dans les circonstances. Le tribunal condamne donc la société accusée à une amende de 2 000$ pour chacun des cinq constats d’infraction.