Élus municipaux, Éthique et déontologie

Le remboursement à la municipalité des frais de défense d’un élu en matière déontologique : aucun automatisme ni équation universelle

Municipalité de Lacolle c. Béliveau, 2023 QCCS 3260 (CanLII)

Le 21 août 2023, la Cour supérieure du Québec rend jugement sur une demande de remboursement des frais de défense d’un élu municipal formulée par la municipalité de Lacolle à l’encontre de son ancien maire, dans la foulée d’une véritable saga administrative et judiciaire.

Essentiellement, la municipalité de Lacolle a, par son obligation d’assumer la défense « du membre du conseil de la municipalité que [il soit] défendeur, intimé ou accusé dans le cadre d’une procédure dont est saisi un tribunal[1] », assumé les frais de défense de M. Béliveau en lien avec des procédures instituées contre lui par la Commission municipale du Québec (ci-après la : « CMQ ») en 2016, et ce, pour 159 manquements à l’éthique et à la déontologie en matière municipale [par. 4].

Au final, 9 des 159 manquements formulés s’avèreront fondés et retenus, notamment suite à l’exercice d’un pouvoir en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure.

Le tribunal décrit ainsi les manquements ayant été jugés bien fondés ou n’ayant pas été informés dans le cadre du contrôle judiciaire :

[32]      Une brève description desdits manquements est ici utile.

[33]      Le manquement n°23, comme on l’a vu, est la participation du défendeur aux discussions du Conseil municipal alors que celles-ci portaient sur la taxation d’un immeuble du défendeur, ce qui le plaçait en conflit d’intérêts.

[34]      Les autres manquements sont tous relatifs à la réclamation par le défendeur de dépenses alors qu’il n’agissait pas dans le cadre de ses fonctions :

  • le manquement 3 : achat de deux paires de bottes d’eau effectué par le maire alors que cela n’entrait pas dans ses fonctions;
  • les manquements 6, 9 et 10 : réclamation de repas alors que le maire est allé récupérer des tondeuses achetées par la Municipalité, revenait d’acheter des outils et matériaux pour celle-ci ou s’était rendu dans un commerce pour y acheter du matériel de bureau. La CMQ considère que ces actions n’entraient pas dans le cadre de ses fonctions de maire et que le défendeur ne pouvait donc pas réclamer le coût de ces repas;
  • les manquements 15, 17, 19 et 21 sont de nature similaire, étant relatifs à la réclamation de frais de repas lors de déplacements pour la Municipalité alors que le défendeur n’avait pas été mandaté pour faire les achats ayant donné lieu auxdits déplacements.

La municipalité réclame donc le remboursement de près de 100 000$, soit presque la totalité des sommes versées pour la défense de l’élu et de l’exercice de ses recours en contestation.

L’élu prétend qu’il faudrait appliquer la proportion de 9/159, fondée sur le nombre de manquements constatés et confirmés, pour une somme avoisinant les 17 000$.

Le tribunal conclut être en présence d’une situation entraînant une obligation de remboursement en regard du manquement relatif au conflit d’intérêts, puisqu’il constitue une faute lourde de l’élu.

En regard des autres manquements, tous liés à des achats ou à des dépenses engagées par le maire alors que celles-ci auraient dû relever des fonctionnaires, le tribunal refuse de conclure à des fautes intentionnelles ou lourdes ni à des gestes séparables des fonctions assumées par l’élu. Au surplus, une justification pour un remboursement à la municipalité des frais juridiques de défense n’est pas présente en ce qui concerne ces autres manquements. Le tribunal écrit :

[70] (…) Nous sommes ici bien loin de la situation d’un élu municipal qui accepte un pot-de-vin pour favoriser la prise de telle ou telle décision, qui prend une telle décision pour des motifs qu’il sait impropres ou encore qui vend un de ses immeubles en catimini à la Municipalité sans passer par le processus d’expropriation prévu à la loi.

(…)

[71] (…) En effet, nous ne sommes pas ici dans une situation qui résulte « d’une inconduite sans commune mesure avec les erreurs auxquelles on peut raisonnablement s’attendre dans l’exercice des fonctions d’une telle personne » et pour laquelle la Municipalité ne devrait pas avoir à assumer les frais de défense de la personne visée. Au contraire, j’estime que nous sommes précisément dans le type d’erreur à laquelle on peut raisonnablement s’attendre dans l’exercice des fonctions du maire d’une municipalité. 

Sans revenir sur les conclusions de la CMQ, ni exonérer l’élu de ces manquements étant maintenant passés en force de chose jugée, le tribunal s’estime autorisé à en relativiser la gravité en regard de la seule obligation de remboursement des honoraires professionnels.

Au final, analysant le contexte particulier de l’affaire et son issue définitive suite au résultat du recours en contrôle judiciaire, et tenant compte des limites de la preuve présentée, le tribunal arbitre les honoraires à rembourser à la municipalité à une somme arrondie de 28 000$.

En fin d’analyse, le tribunal y va du commentaire suivant sur les limites de ce qui est pertinent de considérer lorsqu’il est temps de déterminer le droit et l’ampleur d’un remboursement d’honoraires juridiques en situation de contestation de l’élu en partie fructueuse :

[86]     Enfin, on ne peut que rester perplexe devant le raisonnement offert par la Municipalité voulant que 80 % du reste des honoraires qu’elle a versés à Me Lalonde devraient lui être remboursés, au motif que le défendeur a fait état de cinq motifs l’ayant poussé à contester les allégations dirigées contre lui et qu’un seul de ses motifs était sa contestation en tant que telle de celles-ci. Il peut en effet exister toute sorte de raisons pour lesquelles un élu entend se défendre face à des allégations de fautes éthiques ou déontologiques, non seulement pour contester les faits et le droit allégués, mais aussi pour rétablir sa réputation à titre général, ou encore pour être en mesure de se présenter à nouveau à un poste électif et avoir des chances de l’emporter. S’il fallait que chacune de ces raisons supplémentaires (entretenues tout à fait normalement par quiconque est un élu municipal faisant face à des poursuites liées à l’exercice de ses fonctions) fassent perdre à la personne visée une partie importante de la protection financière que lui accorde la loi, il est clair que l’objectif premier du législateur, qui est de protéger les personnes occupant des postes municipaux contre les pertes financières importantes pouvant résulter des poursuites intentées contre elles en raison de leurs fonctions, ne serait pas atteint. Au surplus, sonder ainsi les reins et les cœurs ne semble pas une très bonne politique pour la mise en application efficace du régime de protection mis en place par les articles 711.19.1 et suivants du Code municipal (ou celui, équivalent, prévu aux articles 604.6 et suivants de la Loi des cités et villes). Le droit au remboursement prévu à la loi ne devrait pas dépendre d’éléments aussi subjectifs et insondables que les motivations de tout un chacun pour contester une procédure.

La conclusion en remboursement porte intérêt à partir de la mise en demeure transmise par la municipalité à l’élu concerné.

À ce jour, le jugement n’a pas été porté en appel.


[1] Code municipal du Québec, RLRQ, c. C-27.1

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