Diffamation, Responsabilité civile, Responsabilité policière

La responsabilité civile des organisations policières dans leurs communications publiques

Procureur général du Québec c. Celik, 2023 QCCA 1590

La Cour d’appel vient de confirmer un jugement de la Cour du Québec qui condamne le Procureur général du Québec à payer la somme de 30,000$ à la famille d’un défunt suite à une intervention policière.

Or, ce ne sont pas les agissements des policiers impliqués dans l’intervention qui sont ici en cause, mais plutôt la publication d’un communiqué de presse par le Bureau des enquêtes indépendantes (le «BEI»).

Qu’est-ce que le BEI? Il s’agit d’un corps de police spécialisé créé en vertu de la Loi sur la police. Il a notamment comme mission de faire enquête lorsqu’une personne décède ou subit une blessure grave lors d’une intervention policière.

Une fois l’enquête terminée, le BEI doit transférer son dossier au DPCP (et, dans le cas sous étude, au coroner) qui pourra alors déterminer que des accusations pénales doivent être déposées contre le ou les policiers impliqués.

Ainsi, il est important de comprendre que le rôle du BEI n’est pas de déposer des accusations, mais plutôt de rédiger un rapport factuel au DPCP.

La situation en litige

Les parents de M. Celik contactent les policiers car ce dernier est en crise et agressif. Lors de l’intervention policière, les policiers doivent utiliser la force afin de maîtriser M. Celik. Il décèdera peu après l’intervention.

Selon les parents de M. Celik, une force inutile et déraisonnable a été utilisée lors de l’intervention. Selon les policiers, M. Celik était agressif et ils devaient utiliser la force afin d’assurer leur sécurité.

Finalement, selon la pathologiste, le décès serait lié à une consommation simultanée d’alcool, de médicaments et de drogues.

Suite à son enquête, le BEI publie un communiqué de presse. Celui-ci décrit ainsi les évènements :

À l’intérieur de la résidence, Koray Kevin Celik, un homme de 28 ans, est agressif envers les policiers et n’obtempère pas à leurs ordres. Une policière tente de le maitriser, notamment avec son bâton télescopique, en vain. Les trois autres policiers amènent au sol l’homme qui résiste. Une fois par terre, ils réalisent rapidement que le sujet est maintenant inconscient et ne constatent aucun pouls.

Selon le jugement de première instance, cette description des évènements est fautive puisqu’elle ne relate que la version policière des évènements. La Cour d’appel confirme ainsi le jugement de la Cour du Québec.

[31] Au Québec, c’est le poursuivant public, en l’occurrence le DPCP, non la police, qui a la responsabilité de porter les accusations criminelles. Le BEI est un corps policier spécialisé, non pas un poursuivant public. Une fois son enquête achevée, le BEI transmet son dossier d’enquête au directeur des poursuites criminelles et pénales qui verra, ou non, à déposer des accusations contre un ou des policiers en lien avec l’incident.

[32] En l’espèce, le juge pouvait raisonnablement conclure que le BEI a commis une faute en publiant un communiqué qui dénote un manque d’impartialité : (1) la preuve était contradictoire quant aux actions des policiers lors de l’intervention ayant mené au décès de Koray; (2) le BEI devait recueillir «des témoignages, des faits et des éléments lui permettant de reconstituer l’événement dans ses moindres détails et les consigne[r] fidèlement dans un dossier» afin que le DPCP puisse évaluer l’opportunité de déposer des accusations; le BEI prend publiquement position à la suite de son enquête, concluant qu’elle « démontre les faits suivants »; (3) ce faisant, le communiqué du 9 août 2018 ne retient que la version policière des événements, ce qui lui confère l’apparence d’un biais; (4) d’une certaine façon, le BEI usurpe le rôle du DPCP ou, à tout le moins, l’empêche de jouer adéquatement son rôle, puisque celui-ci pouvait demander un complément d’enquête susceptible de modifier les conclusions du rapport et avait pour mandat de déterminer si des accusations criminelles devaient être portées contre les policiers.

La condamnation en dommages de 30,000$ est donc confirmée. Évidemment, ces dommages sont uniquement en lien avec la publication du communiqué de presse et non en lien avec l’intervention policière ou le décès de M. Celik.

Les leçons

Ce n’est pas la première fois qu’une organisation policière est condamnée à payer des dommages suite à des communications publiques fautives. Nous avons notamment recensé les cas suivants :

Compte tenu du rôle particulier des organisations policières, celles-ci doivent demeurer particulièrement sobres et circonspectes dans leurs communications publiques. Même si l’intervention policière n’est pas elle-même fautive, une faute et des dommages distincts pourraient découler de ses communications publiques.

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