Construction, Preuve civile, Responsabilité contractuelle

Pénalités pour retards : à qui appartient le fardeau de la preuve?

Ville de Pointe-Claire c. Asphalte Béton Carrières Rive-Nord inc., 2023 QCCA 1565

Il s’agit peut-être d’une simple impression, mais les clauses pénales dans les contrats publics de construction me semblent de plus en plus fréquentes. Ou peut-être qu’elles sont maintenant appliquées avec davantage de rigueur? Dans tous les cas, nous avons vu plusieurs jugements sur le sujet dans les dernières années.

Dans un récent arrêt de la Cour d’appel, le jugement de première instance du juge Donald Bisson, j.c.s. est pour l’essentiel confirmé. Dans le cadre d’un contrat de construction d’une valeur de 12,7M$, la Ville de Pointe-Claire a appliqué des pénalités d’environ 700,000$, ce qui est contesté par l’entrepreneur ABC.

L’arrêt de la Cour d’appel réaffirme un principe important concernant le fardeau de la preuve lors de l’application des pénalités pour retards.

Le fardeau de la preuve

La Cour d’appel reprend les propos du juge de première instance à l’effet que l’obligation d’ABC de compléter les travaux à l’intérieur du délai convenu est une obligation de résultat. Ainsi, le simple fait que le délai soit dépassé crée une présomption de responsabilité de l’entrepreneur.

Dans la mesure où l’entrepreneur ne parvient pas à renverser cette présomption, en démontrant une force majeure ou une faute du maître de l’ouvrage, les pénalités doivent alors être appliquées. Le plus souvent, le contrat prévoit que les pénalités peuvent être retenues sur les paiements contractuels progressifs.

Voici les propos de la Cour d’appel sur cette question :

[52] Dans un deuxième temps, ABC avance que la clause de pénalité s’applique lorsque les retards sont causés par une faute de l’entrepreneur. Le juge aurait omis de considérer, dans le calcul des pénalités, l’existence d’une telle faute de sa part. Elle affirme par ailleurs ne pas avoir commis de faute et renvoie au moyen ci-dessus discuté pour faire valoir que les retards dans l’exécution des travaux du tronçon 9 sont attribuables au défaut de la Ville d’avoir pris une entente avec Hydro-Québec.

(…)

[55] Le devoir de l’entrepreneur d’exécuter les travaux à l’intérieur du délai prévu dans le contrat constitue une obligation de résultat. L’obligation de résultat est «celle pour la satisfaction de laquelle le débiteur est tenu de fournir au créancier un résultat précis et déterminé».

[56] Afin de prouver l’inexécution contractuelle d’une obligation de résultat, il suffit de démontrer l’inexistence du résultat promis. L’absence de ce résultat crée une présomption de responsabilité du débiteur. Afin de renverser cette présomption, «[l]e débiteur n’a pas la possibilité de tenter de prouver absence de faute de sa part; il doit identifier, par prépondérance de la preuve, une force majeure ou encore le fait de la victime, qui a empêché l’exécution de l’obligation».

[57] Le fardeau de démontrer que les retards subis sont attribuables à des causes qui ne lui sont pas imputables appartient ici à ABC.

En pratique

Lorsqu’un litige survient sur l’application des pénalités pour retards, les parties ne peuvent immédiatement saisir les tribunaux afin de déterminer s’il existe, dans les faits, une situation de force majeure ou une faute du maître de l’ouvrage.

Ainsi, en pratique, le maître de l’ouvrage et ses professionnels devront analyser les prétentions de l’entrepreneur et ainsi déduire, le cas échéant, certains jours de la période de retard afin de réduire le montant total de la pénalité.

En l’espèce, on remarque du jugement de première instance que la Ville de Pointe-Claire avait déjà déduit certaines périodes dans son calcul des pénalités, ce qui n’était néanmoins pas satisfaisait pour ABC :

[440] Dans son calcul des pénalités, la Ville a décidé, de son propre chef, de ne pas tenir compte de la période hivernale 2011 – 2012, mais elle n’en pas fait de même pour la période hivernale 2012 – 2013. De plus, la Ville a arrêté la computation des jours de retard au 16 août 2013 alors que l’acceptation provisoire des travaux a été décrétée le 5 septembre 2013. En prenant le 16 août 2013, cela donne 636 jours de retard. En déduisant plusieurs périodes (jours de pluie, branchements, erreurs sur plan, tronçon Drake, erreur du CN) et les journées d’hiver 2011-2012 que la Ville ne retient pas comme étant causé par ABC, la Ville a établi le retard dû à ABC à 475 jours. Le calcul de 475 jours x 1 500 $ par jour donne le montant de pénalité de 712 500 $.

***

Laisser un commentaire