Mercier c. Singh, 2018 QCCA 666 (CanLII)
Bien que les jugements en responsabilité policière abondent, il est plutôt rare que des dommages-intérêts punitifs soient octroyés et même demandés. Le difficile fardeau de preuve prévu à l’article 49 de la Charte québécoise, soit de prouver une atteinte illicite et intentionnelle à un droit ou une liberté, explique certainement cet état de fait. Le jugement de la Cour supérieure Singh c. Ville de Montréal, rendu en 2015, offrait cependant un exemple.
Dans cet affaire, les policiers du SPVM avaient repéré l’activiste Jaggi Singh lors d’une manifestation. Ils s’informent sur les conditions de remise en liberté de M. Singh (il avait été arrêté par le passé) et apprennent que celui-ci ne peut participer à une manifestation qui n’est pas paisible. Selon la preuve retenue par la Cour supérieure, les policiers auraient déclaré que la manifestation n’était pas paisible (ce qui était par ailleurs inexact) dans le seul but de pouvoir procéder à l’arrestation de M. Singh. Y voyant une atteinte illicite et intentionnelle aux droits de M. Singh, la Cour supérieure condamne solidairement les deux (2) policiers fautifs à 15,000$ de dommages-intérêts punitifs en vertu de la Charte canadienne.
Dans son jugement en date du 27 avril 2018, la Cour d’appel rectifie certains points, sans toutefois se prononcer sur le fond de la décision, à savoir l’opportunité d’octroyer des dommages-intérêts punitifs :
- Comme les policiers sont des personnes physiques (contrairement au SPVM), seule la Charte québécoise peut s’appliquer. Les mêmes dommages-intérêts punitifs sont donc octroyés par la Cour d’appel, mais en vertu cette fois des articles pertinents de la Charte québécoise.
- Les dommages-intérêts punitifs ne peuvent être octroyés de façon solidaire. En effet, ceux-ci visent à réprimer un comportement et non à réparer un préjudice subi. Ainsi, on doit tenir compte, selon l’article 1621 C.c.Q., de critères foncièrement personnels pour établir le quantum de ces dommages : gravité de la faute commise par le policier, situation patrimoniale du policier, etc. Par ailleurs, la solidarité (qui ne se présume pas) se prête mal à ce type de condamnation : le premier policier pourrait payer l’entièreté de la condamnation alors qu’il a en réalité commis une faute qui s’avère être moins importante que le deuxième policier. Si ce scénario est souhaitable dans une logique de réparation du préjudice (la victime doit être avantagée), il ne l’est pas pour réprimer un comportement d’un individu donné.
Au final, la Cour d’appel invoque donc la Charte québécoise plutôt que la Charte canadienne et divise en deux (2) la condamnation de 15,000$ pour dommages-intérêts punitifs, soit 7,500$ pour chaque policier. La Cour d’appel souligne que la faute semble être de la même intensité pour les deux (2) policiers et qu’elle ne détient aucune preuve quant à la situation patrimoniale de ceux-ci.