Appel d'offres, Construction, Corruption et collusion, Preuve civile, Responsabilité contractuelle

Prix unitaires proportionnés dans les soumissions : des explications de la Cour d’appel

Municipalité de Val-Morin c. Entreprise TGC inc., 2019 QCCA 405

La Cour d’appel vient de rendre un jugement qui aura de belles années devant lui : il sera selon nous cité à de nombreuses reprises par les plaideurs des municipalités.

En 2017, la Cour supérieure avait condamné la Municipalité de Val-Morin à payer à un entrepreneur la somme d’environ 375 000 $. Ce dernier était le plus bas soumissionnaire, mais sa soumission avait été rejetée puisque ses prix unitaires n’étaient pas proportionnés.

La Cour supérieure n’y a pas vu un motif raisonnable et suffisant pour la municipalité afin de rejeter la soumission.

Des prix unitaires non proportionnés : et alors?

La Cour d’appel commence son analyse en rappelant les principes applicables en matière d’analyse de la conformité des soumissions par la municipalité :

[20] Le donneur d’ouvrage public jouit d’une latitude dans l’analyse de la conformité des soumissions. Il possède une « discrétion administrative » d’accepter une soumission en dépit de certaines irrégularités mineures. Par contre, en présence d’un « manquement à une exigence essentielle ou substantielle », le donneur d’ouvrage peut rejeter sans autre formalité la soumission comme étant non conforme.

Puis, la Cour d’appel constate effectivement qu’en chiffrant certains prix unitaires à 0,01$, l’intimée avait contrevenu à son obligation de déposer une soumission conforme :

[22] En l’espèce, il est acquis que les soumissions de l’intimée n’étaient pas conformes. Les documents d’appel d’offres prévoyaient explicitement que les soumissions devaient comprendre des prix unitaires proportionnés. En inscrivant dans certains cas des prix unitaires à 0,01 $, l’intimée a contrevenu à cette exigence.

Mais pourquoi est-ce important de soumettre des prix unitaires proportionnés? La Cour d’appel accepte l’explication de la municipalité : gérer adéquatement les coûts additionnels en présence d’extras et déceler la collusion entre les soumissionnaires :

[23] L’appelante insiste que la mention des prix unitaires proportionnés est essentielle puisqu’elle lui permet d’avoir une base de comparaison entre les soumissions et d’éviter des coûts trop élevés lors de dépassements dans les quantités, particulièrement s’il doit y avoir des demandes d’extras. Ils lui permettent également, ajoute l’appelante, de prévenir la collusion dans les contrats publics. En effet, la présence de prix unitaires trop bas, trop élevés ou inconstants pourrait constituer autant d’indices de collusion entre les soumissionnaires.

[24] Compte tenu de ces considérations et du langage impératif des documents d’appel d’offres, l’appelante présente des arguments convaincants que l’inclusion de prix unitaires proportionnés constitue une condition essentielle de ces appels d’offres pour des travaux de voirie et qu’elle était justifiée d’en exiger le respect.

Notons que l’entrepreneur avait ici donné une explication raisonnable pour avoir inscrit 0,01$ vis-à-vis certains prix unitaires : selon lui, ces matériaux n’étaient pas nécessaires à la réalisation du projet. Mais il s’agit là d’informations qui n’avaient pas été communiquées à la municipalité avant l’ouverture des soumissions, et qui ne peuvent maintenant lui être opposées.

Quelques mots sur les dommages

La Cour d’appel débute son arrêt en analysant la question des dommages. Il s’agit de la première raison pour laquelle elle accueille l’appel : la preuve de l’entrepreneur à l’effet qu’il comptait réaliser un taux de 15 % d’administration et de profits (sans autre document recevable au support de cette affirmation) est insuffisante.

En effet, on ne peut arbitrer les dommages dans un vide factuel, en l’absence d’états financiers et autres documents comptables. Puis, seule la perte de profit est indemnisable (et non les frais d’administration). Ici, on ne sait comment se partagent les profits et les frais d’administration dans le taux de 15 %.

Il est ici utile de comparer avec le récent jugement EBC inc. c. Ville de Montréal, dont nous avions fait un résumé. Dans cette affaire, EBC inc. avait déposé ses états financiers et fait témoigner son directeur de la comptabilité afin de réclamer avec succès sa perte de profit, laquelle était plus élevée que le profit indiqué dans sa soumission.

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