Bien que la Loi sur l’interdiction des subventions municipales (la Loi) ne soit pas la plus longue du corpus législatif en droit municipal (un grand total de deux articles), ses effets peuvent être lourds de conséquence. L’affaire Bixi, précitée, en est un exemple éloquent.
En bref, il est interdit pour les municipalités de venir en aide à un établissement industriel ou commercial, que cette aide soit sous la forme d’une subvention, d’un prêt, d’une exemption de taxes, d’un cautionnement ou même de la souscription par la municipalité à des actions.
Bien sûr, la Loi s’applique en l’absence d’une loi particulière qui permet expressément une aide qui est habituellement prohibée. Ce texte du MAMH dresse une liste de types d’aides municipales qui sont justement prévues par des lois particulières.
Nous ne traiterons pas de tous les aspects de la décision précitée, notamment les enjeux relatifs à l’insolvabilité de Bixi, mais plutôt sur la question de savoir si Bixi peut être un considérée comme un établissement commercial.
Bixi : un établissement commercial?
En bref, la Ville de Montréal avait octroyé un prêt à Bixi et cautionné ses obligations auprès de son créancier. Le prêt de la Ville de Montréal était assorti d’une hypothèque en sa faveur. Lors de la faillite de Bixi, la Ville de Montréal a donc exécuté son hypothèque.
Or, la validité du prêt (et donc de l’hypothèque) a par la suite été contestée devant la Cour puisqu’il s’agirait d’une aide prohibée en vertu de la Loi. On comprend évidemment que la nullité de l’hypothèque faisait perdre à la Ville de Montréal son statut de créancier garanti.
Il n’est pas contesté que Bixi détenait un statut d’organisme sans but lucratif. Or, la Cour d’appel a déterminé que le seul fait que celle-ci soit un organisme sans but lucratif ne fait pas nécessairement en sorte qu’elle n’est pas un établissement commercial en vertu de la Loi :
[39] Il est possible qu’un organisme à but non lucratif soit qualifié d’établissement commercial. L’article 90 de la Loi sur les compétences municipales prévoit que la Loi sur l’interdiction de subventions municipales ne s’applique pas à certains types d’aide accordés à des organismes à but non lucratif. A contrario, elle peut donc s’appliquer à d’autres types d’aide à des organismes à but non lucratif. Au-delà du statut juridique, il faut d’abord et avant tout tenir compte de la nature de l’activité économique exercée. Cette interprétation est notamment retenue par la Cour supérieure dans Signé Orford c. Orford (Municipalité du Canton d’). Il s’agit là exactement de la démarche suivie par le juge, comme il le mentionne au paragraphe [98] : « […] il faut analyser l’activité de Bixi non seulement avec les critères énoncés par les auteurs mais également à travers le prisme de ce que le législateur voulait éviter lorsqu’il a promulgué la Loi sur l’interdiction des subventions municipales ».
Ainsi, selon la Cour d’appel, on doit plutôt concentrer notre analyse sur la nature des opérations de Bixi. On réitère ainsi l’objectif du législateur lors de l’adoption de la Loi – dont les balbutiements remontent à 1919 – à l’effet que les municipalités n’engloutissent pas les deniers publics dans des opérations commerciales ruineuses :
Le bill a pour objet de protéger les municipalités contre elles-mêmes. Plusieurs, en effet, se sont engagées trop loin en offrant des garanties et se sont endettées de telle façon qu’il leur est difficile de faire face à leurs obligations. Plusieurs municipalités ont dépassé les bornes de la prudence dans cette matière des prêts et, par conséquent, cette loi est nécessaire.
Or, il a été démontré que si Bixi se concentrait initialement sur ses opérations montréalaises, ses opérations commerciales et internationales ont rapidement pris le dessus. La Cour d’appel insiste sur le fait qu’environ 80% du chiffre d’affaires de Bixi provient du volet international et non de ses activités montréalaises.
[41] Ces extraits reflètent bien la preuve. Plusieurs autres éléments de preuve vont dans le même sens. M. Roger Plamondon, qui a été à la fois sur le conseil d’administration de Stationnement Montréal et de Bixi, témoigne que la vente à l’international du concept de vélos en libre-service faisait « partie intégrante » du projet et même que cela en était la « raison d’être » et la « pierre angulaire ». Pour son volet international, Bixi achète et vend des vélos et des systèmes de bornes GPS à l’international et opère un atelier de recherche et développement pour faire des tests pour améliorer sa position lors d’appels d’offres provenant de l’extérieur. Elle veut développer son propre logiciel pour augmenter sa rentabilité, ce qui aurait comme conséquence de concurrencer d’autres entreprises montréalaises ayant développé le même type de logiciel. Le vérificateur général avait alerté la Ville du problème. D’ailleurs, le cabinet d’avocats soulève même que les activités internationales de Bixi pourraient lui faire perdre son statut d’organisme à but non lucratif pour les fins fiscales (…).
La Cour d’appel confirme donc le jugement de la Cour supérieure et détermine que la Loi vise justement à empêcher une municipalité d’investir des sommes (bien qu’il s’agisse ici d’un prêt) dans une opération commerciale comme celle entreprise par Bixi. Le prêt ainsi que l’hypothèque sont en conséquence illégales.
Il est par ailleurs ironique de constater que dans les faits, le résultat de cet arrêt va à l’encontre de l’objectif de la Loi qui est la protection des deniers publics : la Ville de Montréal perd son statut de créancier garanti et devra se départager les actifs avec les autres créanciers chirographaires.
Leçons et précautions
Notons d’abord que les juristes municipaux ne pourront simplement se fonder sur le statut d’organisme sans but lucratif du récipiendaire de l’aide municipale afin de déterminer si celle-ci est légale en vertu de la Loi. Ils devront plutôt analyser la réalité opérationnelle de l’organisme.
Ceci étant dit, je ne crois pas que le fait que l’organisme puisse faire certains profits ou avoir quelques activités commerciales fait nécessairement en sorte qu’il s’agit d’un établissement commercial. D’ailleurs, ce n’est pas ce que la Cour d’appel mentionne : elle argue plutôt que les activités commerciales de Bixi ont pris le dessus sur les activités municipales.
Finalement, bien que la Cour d’appel met l’emphase sur la proportion du chiffre d’affaires de Bixi qui provient de ses activités internationales afin de déterminer s’il s’agit d’un établissement commercial, je crois qu’il faudra bien souvent avoir une approche globale et de ne pas seulement considérer le chiffre d’affaires.
Ainsi, dans certains cas, il pourrait également être pertinent de considérer les dépenses et les investissements de l’organisme, les autres sources de revenus (donations, subventions) ainsi que l’identité des bénéficiaires des services ou des produits générés par l’organisme.
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