Julien c. Silva, 2019 QCCS 1944
Attention : le jugement commenté a été porté en appel, de sorte qu’une vérification s’impose.
Chez litigemunicipal.com, on profite de la saison estivale qui tire à sa fin pour porter à votre attention des jugements qui, bien qu’intéressants, sont passés sous notre radar au courant de l’année.
Parmi ceux-ci, le jugement rendu par la Cour supérieure dans l’affaire Julien c. Silva, illustre une situation épineuse que les municipalités rencontrent à l’occasion : un usage non conforme à la réglementation d’urbanisme, par exemple un second logement, est néanmoins inscrit au rôle d’évaluation foncière. Dans ce jugement, la juge Suzanne Tessier a décidé qu’une telle situation ne constitue pas une faute qui aurait entraîné la responsabilité de la municipalité.
Les faits sont relativement simples. Le 9 janvier 2012, les demandeurs achètent des défendeurs un propriété à revenus constituée de deux logements, au rez-de-chaussée et au sous-sol. En mai 2013, alors qu’ils tentent d’obtenir un permis pour la construction d’une remise pour accomoder les locataires, ils se butent à un refus et découvrent que le règlement de zonage n’autorise qu’un seul logement. S’en suivent des avis et constats d’infraction de la Ville, qui demande également que des travaux correctifs soient effectués pour éliminer le second logement. En octobre 2015, les demandeurs revendent l’immeuble, à perte.
Il est établi que les défendeurs (vendeurs) ignoraient la non-conformité du second logement. Ils avaient même consulté le rôle d’évaluation foncière de la municipalité, qui indiquait la présence du second logement, et payaient des taxes municipales en conséquence.
Les demandeurs intentent donc un recours pour annulation de la vente contre les défendeurs, qui appellent la Ville en garantie. Ils prétendent d’une part avoir été induits en erreur par la présence du second logement au rôle d’évaluation, un registre public et officiel auquel il devraient pouvoir se fier. Ils soutiennent également que le défaut de la Ville de faire appliquer sa réglementation constitue une faute qui engage sa responsabilité.
La portée du rôle d’évaluation
En se référant au témoignage de l’évaluatrice de la Ville, la juge Tessier explique le rôle de l’évaluateur municipal :
[120] L’évaluateur pour sa part doit confectionner et dresser le rôle au moyen des renseignements prescris à cette fin. L’évaluateur de la Ville doit tenir compte de la situation juridique de l’immeuble dans son évaluation et il doit s’assurer que les inscriptions aux rôles satisfont aux définitions pertinentes quant à leurs caractéristiques physiques et légales.
[121] La réglementation d’urbanisme fait partie de la situation juridique pour fins d’évaluation seulement au moment de la construction de l’immeuble et pour fins de fiscalité municipale seulement.
[122] Par la suite, selon le témoignage de Nathalie Tremblay, l’évaluateur n’a pas à se questionner sur l’aspect zonage, du moins il n’est pas tenu en vertu de la loi. Ainsi, le certificat émis quant aux nombres d’unités n’est qu’un constat factuel. Autrement dit, l’inspecteur constate ce qu’il voit et n’a pas à se positionner sur la conformité de l’immeuble en l’absence de modification de grille de zonage. En aucun cas dans le processus, l’évaluateur doit indiquer la conformité. L’objectif est que tous les citoyens soient équitablement taxés. Ainsi, s’il existe deux logements, le contribuable doit payer une taxe foncière équivalente.
[123] Quant aux normes de pratique pour un évaluateur municipal, il faut se référer aux articles 19, 20 et 20.1 de l’Ordre des évaluateurs agrées du Québec concernant la forme et le contenu des documents préparés par l’évaluateur aux fins du processus d’évaluation municipale. L’évaluateur n’a pas à tenir compte du statut juridique subséquemment à la première évaluation. Par conséquent, l’évaluateur n’est pas en contravention de la loi ou de leurs obligations déontologiques lorsqu’il examine les règlements de zonage seulement lors de la première évaluation. Il ne contrevient pas non plus aux normes régissant la pratique professionnelle des évaluateurs agrées œuvrant à la confection ou à la tenue à jour de rôles d’évaluation foncière au Québec.
[124] Avec égard, selon la preuve aucune faute ne peut lui être imputée ni comme évaluateur en matière d’évaluation municipale, ni comme fonctionnaire de la Ville de Gatineau.
Le défaut de la Ville de faire appliquer sa réglementation n’est pas une faute
La juge conclut ensuite que le défaut de la Ville de faire appliquer sa réglementation et le retard pour émettre un constat d’infraction ne constitue pas une faute entraînant sa responsabilité :
[127] Avec égard, [l’affaire Chelsea (Municipalité de) c. Laurin] se distingue de la présente. D’abord, il n’appartenait pas à [l’évaluateur] municipal, qui ne l’a pas fait d’ailleurs, de vérifier la conformité du logement dans le cadre de la préparation de son rôle d’évaluation municipale. Ensuite, il ne s’agissait pas d’une demande de permis où l’inspecteur avait l’obligation de vérifier la conformité du règlement de zonage, ou d’analyser une demande de permis. Il n’avait pas non plus une obligation d’informer le propriétaire de l’immeuble qu’il est en contravention aux fins d’évaluation foncière. Cela aurait été autrement dans le cadre d’une demande de permis et de l’émission d’un permis en contravention de sa règlementation octroyant l’autorisation d’un deuxième logis dans une zone prohibée mais tel n’est pas le cas.
[128] Quant à la situation particulière du délai pour émettre un constat de contravention et de la négligence de la Ville d’émettre un constat, les observations suivantes s’imposent.
[129] D’abord, l’ignorance de la loi n’est pas un moyen de défense pour se décharger de sa responsabilité. Il appartient au citoyen de respecter la loi et la règlementation et à tout le moins, prendre toutes les précautions possibles et raisonnables pour éviter de commettre des infractions règlementaires.
[130] Le rôle d’évaluation foncière de la Ville, contrairement à la croyance des défendeurs, n’est pas un document qui tient compte de la règlementation d’urbanisme. Les règlements d’urbanisme sont des informations publiques et accessibles par la matrice graphique de la Ville.
[131] Il appartenait au propriétaire/vendeur de vérifier la conformité réglementaire des logements auprès de la Ville et d’obtenir le cas échéant un certificat de conformité. Si la Ville ne peut être tenue responsable des dommages encourus il serait par ailleurs appréciable qu’elle prenne les dispositions nécessaires pour faire connaître sa règlementation au grand public.
[…]
[133] Ainsi, l’ignorance ou la tolérance d’une ville pour l’application de sa loi pour une période de temps prolongée ne suffit pas en soi pour établir faute de celle-ci.
La conclusion aurait probablement été différente si le second logement avait été aménagé suite à la délivrance d’un permis de construction, puisque le fonctionnaire analysant la demande de permis aurait alors eu l’obligation d’appliquer la réglementation municipale et de refuser la délivrance du permis. Toutefois, en l’absence d’une telle demande, on ne peut reprocher au service d’urbanisme de ne pas avoir eu connaissance de la non-conformité ou de ne pas avoir pris des moyens pour y remédier.
Bien entendu, ce jugement ne doit pas être perçu comme une incitation au laxisme des services d’urbanisme et une meilleure coordination serait peut-être souhaitable entre ceux-ci et l’évaluateur municipal. Il replace toutefois dans leur contexte les obligations respectives de ces services et du citoyen en ce qui concerne le respect de la réglementation municipale.
Finalement, on peut se demander s’il serait souhaitable qu’une vérification des usages autorisés auprès de la municipalité soit faite systématiquement lors de la vente d’un immeuble. Nos collègues notaires auront certainement un avis à ce sujet!