Aménagement et urbanisme, Contrôle judiciaire, Expropriation, Règlement

Interdire l’usage résidentiel n’est pas une expropriation déguisée

Municipalité de Saint-Colomban c. Boutique de golf Gilles Gareau inc., 2019 QCCA 1402

Ce 23 août 2019, dans l’affaire Municipalité de Saint-Colomban c. Boutique de golf Gilles Gareau inc. , la Cour d’appel rendait un jugement en matière d’expropriation déguisée portant sur la réglementation de zonage de l’appelante.

Le contexte de cette affaire est habilement résumé par la Cour d’appel et nous retiendrons que la Municipalité de Saint-Colomban (« Ville ») a entrepris de modifier sa réglementation de zonage pour prohiber l’usage résidentiel sur l’immeuble de l’intimée Boutique de golf Gilles Gareau inc. (« Boutique de golf »), jusqu’alors autorisé. La Ville a modifié son règlement de façon à autoriser spécifiquement l’usage « terrain de golf », en plus d’autres usages récréotouristiques et publics. Cette modification avait été entreprise par la Ville après que lui ait été soumis un plan projet pour la conversion du terrain de golf en développement domiciliaire.

Comme le souligne la Cour d’appel, il est également utile de noter que Boutique de golf réclamait devant la Cour supérieure la nullité de la modification de zonage qui venait prohiber l’usage résidentiel sur son immeuble, tout en recherchant la délivrance des permis nécessaires pour réaliser son développement domiciliaire. À titre subsidiaire, Boutique de golf réclamait une déclaration à l’effet que cette modification réglementaire constituait une expropriation donnant lieu au versement d’une indemnité accompagnée de la remise de l’immeuble à la Ville. Estimant que la modification au règlement de zonage de la Ville constituait une expropriation déguisée, en plus d’avoir été adoptée de façon abusive et de mauvaise foi, la Cour supérieure avait décidé de faire droit à la demande d’indemnisation, bien que subsidiaire.

Il appartenait donc à la Cour d’appel de déterminer si la Cour supérieure avait erré en concluant que la modification au règlement de zonage équivalait à une expropriation déguisée et si la Ville avait agi de mauvaise foi et abusé de son pouvoir. Sur un appel de plein droit[1], la Cour a rejeté le recours en nullité, en mandamus et en indemnisation pour expropriation déguisée intenté par Boutique de golf pour les raisons qui suivent.

La démonstration de la perte de valeur potentielle est insuffisante

Alors que le tribunal de première instance concluait que l’usage « terrain de golf » faisait perdre à l’immeuble sa valeur potentielle équivalant ainsi à une négation du droit de propriété sans compensation, la Cour d’appel en a conclu autrement. 

La Cour d’appel affirme que la simple diminution de valeur de l’immeuble est en soi insuffisante pour conclure à une expropriation déguisée. Il doit effectivement être démontré que toute utilisation raisonnable de l’immeuble est supprimée par les restrictions réglementaires. Cette démonstration doit tenir compte de l’utilisation potentielle optimale, en fonction de la nature même du terrain et des différentes utilisations qui en ont été faites. A cet égard, la Cour souligne que l’immeuble de l’intimée en l’espèce était utilisé depuis de nombreuses années à titre de terrain de golf.

[65]      […] Ainsi, la perte de la « valeur potentielle » des terrains de Boutique de golf ne suffit pas pour conclure à leur expropriation.

Il s’ensuit qu’il faut démontrer plus que la perte de valeur potentielle pour conclure à une expropriation. La Cour d’appel a donc refusé d’affirmer que l’usage « terrain de golf » imposé par la réglementation de zonage était un usage trop restrictif pouvant conduire à une situation d’expropriation déguisée.

Utilisation raisonnable selon les usages autorisés

De surcroît, en analysant la nomenclature des usages autorisés au règlement de zonage de la Ville en fonction des règles d’interprétation qui y sont prévues, la Cour d’appel conclut que l’usage « terrain de golf » constitue une utilisation raisonnable de l’immeuble. La Cour retient en effet que plusieurs usages de la classe « Commerce récréotouristique (C-4) » incluant l’usage « terrain de golf » sont autorisés dans la zone où se situe l’immeuble de l’intimée : 

[82]      Bref, j’abonde dans le sens de la Ville que tous les usages de la classe « Commerce récréotouristique (C-4) », dont l’usage « terrain de golf », sont permis dans la zone où se trouvent les terrains de Boutique de golf. Dans ce contexte, je ne peux me convaincre que le Règlement 601-2013-27 prive cette dernière de l’utilisation raisonnable de ses terrains. Celle-ci peut continuer à les utiliser pour exploiter un terrain de golf. C’est l’utilisation qui a cours depuis le début des années 50. Elle a aussi le choix parmi une trentaine d’usages de la classe « Commerce récréotouristique (C-4) ».

[83]      Voilà qui empêche de conclure à l’expropriation déguisée des terrains de Boutique de golf et qui justifie la réformation du jugement.

Selon la Cour, la modification réglementaire entreprise par la Ville, visant à autoriser les usages de la classe « Commerce récréotouristique (C-4) » incluant l’usage « terrain de golf », ne peut équivaloir à une négation absolue de l’exercice du droit de propriété. Les usages autorisés permettent dans un tel cas d’effectuer une utilisation raisonnable de l’immeuble.  

Modification réglementaire entreprise dans l’intérêt public

En première instance, le tribunal affirmait que la modification réglementaire visait à contrer le développement domiciliaire de Boutique de golf et l’empêchait de réaliser son projet proposé sur le plan projet soumis à la Ville. La Cour supérieure reprochait à la Ville d’avoir agi de manière précipitée et irréfléchie et concluait que les faits présentés comportaient de nombreuses similitudes avec ceux des jugements Montréal (Ville de) c. Benjamin, 2004 CanLII 4459 (QC CA) et City of Ottawa c. Boyd Builders ltd [1995] R.C.S. 408.

D’une part, la Cour d’appel retient plutôt que le plan projet ne peut constituer une demande de permis substantiellement complète et conforme à la réglementation en vigueur. Le plan projet était insuffisant pour obliger la Ville à lui délivrer les permis nécessaires à la réalisation de son projet.

D’autre part, la Cour d’appel juge que la modification réglementaire a été entreprise par la Ville en toute bonne foi et dans l’intérêt public.

Évoquant le fait qu’une erreur avait été commise et que seul l’usage effectivement exercé sur l’immeuble de Boutique de golf aurait dû être autorisé, la Ville affirmait avoir initié sa modification réglementaire dès le moment où elle a eu connaissance de cette erreur, soit le moment où le plan projet de conversion du golf lui a été soumis. Dans ces circonstances, jugeant que la Ville avait démontré sa diligence, la Cour d’appel convient que rien dans la preuve ne pouvait lui permettre de conclure à la mauvaise foi ou l’abus de droit.  

La Ville de Saint-Colomban pouvait choisir de continuer à autoriser l’activité exercée sur l’immeuble, soit l’usage « terrain de golf » dans l’intérêt de la Ville et de ses citoyens. Elle était donc en droit d’entreprendre une modification réglementaire pour limiter l’exercice des usages sur l’immeuble :

[108]    J’en conclus que la Ville pouvait, à la suite du dépôt du plan projet, entreprendre de modifier le zonage de façon à faire obstacle au projet d’ensemble envisagé par Boutique de golf, à la condition bien sûr d’agir de bonne foi, c’est-à-dire pour des motifs d’intérêt public. […]

À ce sujet, réitérant les propos de la Cour suprême dans Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village), 2004 CSC 48, la Cour reconnaît qu’il appartient aux municipalités, dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, d’établir ce qui relève ou non de l’intérêt public.

Par ailleurs, bien que la modification réglementaire visait la seule propriété de Boutique de golf, la Cour d’appel n’en conclut pas pour autant que la Ville a agi de mauvaise foi. Il était loisible à la Ville d’agir afin que les activités du terrain de golf demeurent autorisées et ce, dans l’intérêt public.

Il est donc intéressant de noter que les pouvoirs réglementaires d’une Ville ne deviennent pas neutralisés du fait qu’un développeur dépose un plan projet exposant ses intentions de développer un terrain. La Cour confirme que les villes possèdent les pouvoirs suffisants pour intervenir de bonne foi, en déterminant ce qui est dans l’intérêt public de la ville et ses citoyens.

En conclusion, les villes peuvent se montrer satisfaites des propos de la Cour d’appel dans ce jugement. Le tribunal confirme ainsi que n’est pas de l’expropriation déguisée le fait de prohiber l’usage résidentiel sur un immeuble pour y autoriser plutôt l’usage réellement exercé, malgré la perte de valeur potentielle de cet immeuble et malgré que la ville ait été informée de la volonté du propriétaire de l’immeuble d’y exercer l’usage résidentiel.


[1] La Cour d’appel confirme que, peu importe leur nature, les jugements rendus sur un pourvoi en contrôle judiciaire portant sur la validité d’un règlement municipal peuvent faire l’objet d’un appel de plein droit selon l’article 30 al. 1 du C.p.c.

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