Élus municipaux, Éthique et déontologie

Frais de défense d’un élu municipal : pas à n’importe quel prix!

Béliveau c. Municipalité de Lacolle, 2020 QCCS 1158

Tant le Code municipal que la Loi sur les cités et villes prévoient un mécanisme pour protéger les élus et les fonctionnaires municipaux en cas de poursuite. En effet, si un élu ou un employé municipal est poursuivi en raison d’un acte ou d’une omission dans l’exercice de ses fonctions, la municipalité doit assumer sa défense, ou encore payer ses frais de défense si cette personne se représente elle-même ou par un avocat de son choix.

Cette règle est d’application automatique et la municipalité ne peut porter de jugement quant à l’éventuelle culpabilité ou responsabilité de l’élu ou du fonctionnaire municipal. Un élu ou un fonctionnaire peut même obtenir une ordonnance de sauvegarde contre la municipalité afin qu’elle assume immédiatement ses frais de défense, comme cela a été décidé dans la récente affaire Saywell c. Municipalité de Grenville-sur-la-Rouge.

Dans la récente affaire Béliveau c. Municipalité de Lacolle, la Cour supérieure exprime ainsi l’objectif derrière cette règle :

[44] Le CMQ met en place un filet de sécurité au profit d’un élu contre les pertes financières qui peuvent découler des situations dans lesquelles le place l’exercice de ses fonctions. L’article 711.19.1 entre en vigueur le 20 juin 1996 et répond à un accroissement important du nombre de poursuites judiciaires dirigées contre des élus municipaux.

[45] En quelque sorte, cette protection a pour effet de ne pas pénaliser les citoyens qui décident de s’intéresser à la chose publique et qui deviennent des élus municipaux.

Or, si l’élu ou le fonctionnaire décide d’assumer lui-même ou de choisir son propre avocat, la municipalité remboursera uniquement les frais raisonnables :

[46] Cependant, cette protection se limite aux frais raisonnables, et ce, afin d’éviter de dépenser inutilement des deniers publics.

[47] Même s’il est clair que l’article 711.19.1 CMQ n’accorde aucune discrétion à la Municipalité en cette matière qui, pour un acte relié à la charge municipale du maire, doit automatiquement payer les frais d’avocats jusqu’au jugement final, il existe toutefois une seule limite : que les frais soient raisonnables.

[48] Même s’il existe une disposition qui permet à la Municipalité d’être remboursée une fois le jugement final rendu, elle peut, malgré tout, exercer un droit de regard à l’amont du processus, avant d’engager les frais.

Ceci étant, le caractère raisonnable des frais juridiques peut être difficile à évaluer. Il existe un large éventail de taux horaires dans la profession et tous n’ont pas la même définition de ce qui peut être raisonnablement facturé dans le cadre d’un dossier.La récente décision de la Cour supérieure susmentionnée nous permettra cependant d’ajouter certaines balises dans le futur.

Bref récapitulatif des faits

Le demandeur est l’ancien maire de la municipalité. Il est également un homme d’affaires détenant une entreprise de construction et des immeubles sur le territoire de la municipalité. Suite à des plaintes citoyennes, la Commission municipale du Québec (CMQ) fait enquête.

On reproche au demandeur d’avoir participé à des délibérations du conseil de la municipalité alors qu’il avait un intérêt pécuniaire dans la décision en cause. On lui reproche également d’avoir confondu ses biens personnels avec ceux de la municipalité et utilisé sans droit la carte de crédit de la municipalité.

Les procédures contre le demandeur devant la CMQ seront longues et dispendieuses (la municipalité assume les frais de défense du demandeur). La CMQ conclura à plusieurs manquements du demandeur. Elle le condamne à rembourser une somme de moins de 1000 $ ainsi qu’à une suspension de 30 jours.

Les procédures contre le demandeur devant la CMQ coûteront plus de 100 000 $ à la municipalité. Mécontent du résultat, le demandeur dépose deux (2) pourvois en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure contre les décisions de la CMQ. Ainsi, les procédures continuent et les frais s’accumulent.

Alors que les frais de défense encourus montent à près de 140 000 $, la municipalité vote une résolution pour arrêter de payer les frais de défense du demandeur, d’où le recours de ce dernier :

[49] Dans le présent cas, la Municipalité soutient que les frais engagés ne sont plus raisonnables, notamment au sens de l’article 18 du Code de procédure civile.

[50] Elle a raison.

[51] Comment justifier en l’espèce qu’il est raisonnable de dépenser 22 000 $ pour la mise en état du dossier et l’audition du second pourvoi en contrôle judiciaire alors que le demandeur a déjà dépensé 139 515,28 $ ?

(…)

[55] Le Tribunal ne remet pas en question le fait que les honoraires ont été facturés correctement pour des services effectivement rendus par les avocats du demandeur. Il ne suffit pas de démontrer que les honoraires facturés relèvent du travail effectué ou que ce travail a été utile, il faut démontrer que les honoraires sont raisonnables et proportionnels dans les circonstances.

[56] En prenant en compte de l’objet du litige, replacé dans le contexte général du dossier et du fait que le demandeur a dépensé à ce jour 139 515,28 $, il ne serait aucunement raisonnable et proportionnel de dépenser une somme additionnelle de 22 000 $ de deniers publics pour éviter au demandeur de rembourser 913,07 $.

L’article 711.19.1 CM vise donc à protéger les élus et les fonctionnaires et non pas à leur permettre de subventionner indéfiniment un litige à même les deniers publics.

Il est ici intéressant de constater que la Cour supérieure ne remet pas en question le taux horaire ou les heures travaillées par l’avocat du demandeur, mais plutôt la proportionnalité des sommes investies relativement au enjeux du dossier.

Ceci étant, nous concevons parfaitement que la municipalité pourrait refuse de payer des factures dont le taux horaire est déraisonnable vu les circonstances ou encore que des heures et des frais sont inutilement facturés.

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