Ville de Longueuil c. Côté, 2020 QCCQ 1224
Il s’agit ici de deux piliers juridiques poursuivant des objectifs essentiels. Alors que l’accès à l’information permet de renforcer la vie démocratique et d’assurer la transparence de l’administration publique et l’imputabilité des fonds publics, la privilège relatif au litige permet quant à lui d’assurer l’efficacité du processus contradictoire.
Or, lequel l’emporte lorsqu’une demande d’accès à l’information se butte au privilège relatif au litige? Un récent jugement de la Cour du Québec, en appel de la Commission d’accès à l’information (« CAI« ), tranche justement cette question importante. En ce qui a trait au concept du privilège relatif au litige, je vous réfère à un billet que nous avions publié suite à un arrêt de la Cour d’appel en novembre dernier.
Les faits
Il s’agit à la base d’une situation plutôt banale. Un citoyen subi des refoulement d’égouts depuis quelques années et formule une réclamation contre la Ville de Longueuil à la Cour du Québec, division des petites créances. Parallèlement, il formule une demande d’accès à l’information afin d’obtenir divers documents, dont les rapports d’un plombier envoyé à sa résidence à la demande de la Ville.
La Ville refuse de communiquer les rapports du plombier en invoquant le privilège relatif au litige. La CAI ordonne néanmoins la communication et la Ville porte la décision en appel.
Compte tenu du récent arrêt Vavilov que nous résumions en janvier dernier, la révision de la décision est soumise à la norme de la décision correcte. On y voit un autre impact important de cet arrêt de la Cour suprême : dans le cadre d’un appel à la Cour du Québec portant sur la même question tout juste avant l’arrêt Vavilov, la norme de la décision raisonnable était appliquée vis-à-vis le jugement rendu par la CAI.
L’article 32 de la Loi sur l’accès
La Loi sur l’accès contient en son sein plusieurs dispositions qui font échec à la communication des documents. L’article 32 est l’un d’eux :
32. Un organisme public peut refuser de communiquer une analyse lorsque sa divulgation risquerait vraisemblablement d’avoir un effet sur une procédure judiciaire.
La CAI était d’avis que le législateur avait délibérément intégré le privilège relatif au litige à l’article 32 de la Loi sur l’accès. Ce faisant, il aurait limité la portée de ce même privilège en restreignant les documents ne pouvant être communiqués à ceux comportant une analyse.
En l’espèce, comme les rapports du plombier ne comportent aucune analyse, la CAI en ordonne la communication.
Les arrêts Blank et Lizotte
La Cour du Québec renverse cette décision en prenant appui sur les arrêts Blank et Lizotte. Celle-ci mentionne que le privilège relatif au litige bénéficie à tous – mêmes les organismes publics soumis à la Loi sur l’accès – et qu’il ne peut être écarté qu’en présence d’un texte clair :
[30] Avec égards pour le décideur administratif, il s’agit d’une conclusion qui omet l’objet de Blank, qui ignore son contexte de common law, en plus de ne tenir compte que partiellement de Lizotte, rendu subséquemment et, de surcroît, dans un contexte de droit civil.
[31] Discutant de l’article 23 de la Loi sur l’accès à l’information, l’équivalent au fédéral de la Loi sur l’accès qui accorde au responsable d’une institution fédérale le pouvoir de refuser la communication d’un document protégé par le secret professionnel, Blank confirme que cet article doit s’entendre comme référant également au privilège relatif au litige. (…).
[32] Ainsi, les juges de la majorité dans Blank font état de la prémisse, reconnue par tous les paliers de même que par les parties, voulant que l’adoption de la loi fédérale n’a pas eu pour effet de priver le gouvernement fédéral de la protection du privilège relatif au litige pour, par la suite, discuter de l’objet du litige : l’examen des caractéristiques fondamentales du privilège relatif au litige, et notamment de sa durée.
[33] Il n’est ainsi aucunement question dans Blank d’encadrer de quelque façon que ce soit le privilège relatif au litige, mais simplement de reconnaître le droit du gouvernement fédéral à la protection de ce privilège comme faisant partie des exemptions de communication reconnues par la loi fédérale.
[34] Lizotte, rendu subséquemment, confirme de l’avis du Tribunal que la lecture que fait la CAI de Blank est erronée. Il aurait en effet été facile pour la Cour suprême d’y faire état que les lois d’accès constituent des exceptions reconnues à l’application intégrale du privilège relatif au litige.
[35] Au contraire, la Cour suprême confirme que les exceptions circonscrites en matière de secret professionnel de l’avocat sont toutes applicables au privilège relatif au litige, soit les exceptions relatives à la sécurité publique, à l’innocence de l’accusé et aux communications de nature criminelle. La Cour suprême complète son énumération en y ajoutant l’exception reconnue dans Blank relative à la divulgation d’éléments de preuve démontrant un abus de procédure ou une conduite répréhensible : (…).
[36] Ainsi, il n’y a rien dans Blank, et pas davantage dans Lizotte, qui appuie la conclusion de la CAI suivant laquelle la Loi sur l’accès permet de nier ou restreindre le droit à la protection du privilège relatif au litige lorsque ses conditions d’application sont satisfaites. Ainsi, étant donné son importance fondamentale, ce privilège « ne peut être supprimé par inférence et […] des termes clairs, explicites et non équivoques sont nécessaires pour l’écarter ».
En somme, la Ville a également droit au privilège relatif au litige, sans que celui-ci soit restreint par les termes de l’article 32 de la Loi sur l’accès. La Cour du Québec infirme donc la décision de la CAI et les rapports du plombier demeureront confidentiels.
***