Élus municipaux, Contrôle judiciaire

La protection financière des élus écartée pour un constat d’infraction du DGEQ

Tassoni c. Ville de Laval, 2023 QCCS 4312

Nous avons abordé sur ce blogue à quelques reprises (ici, ici et ici) les litiges découlant des articles 604.6 et suivants de la Loi sur les cités et villes et des articles 711.19.1 et suivants du Code municipal.

Ces articles confèrent notamment une certaine protection financière aux élus pour les procédures dont ils font l’objet et qui sont fondées sur un acte ou une omission dans l’exercice de leurs fonctions.

Cette protection financière ne s’applique pas uniquement aux membres du conseil municipal : elle protège également les fonctionnaires de la municipalité dans l’exercice de leurs fonctions.

Cette protection financière vise notamment à empêcher qu’un citoyen ou un cocontractant de la municipalité puisse faire pression sur un élu ou un fonctionnaire en déposant des procédures judiciaires contre lui.

J’ai en tête un exemple bien concret : un entrepreneur avait poursuivi personnellement mon collègue, un ingénieur municipal, puisque celui-ci refusait de recommander au conseil municipal le paiement des extras qu’il réclamait…

Il est de jurisprudence constante que les articles susmentionnés doivent être interprétés de façon large et libérale afin de donner plein effet à la protection financière et ainsi ne pas placer les élus en position de vulnérabilité.

Qu’en est-il d’un constat d’infraction du DGEQ?

Isabelle Tassoni («Tassoni») se présente au poste de conseillère municipale de la Ville de Laval (la «Ville») lors des élections de 2017. Elle remporte ses élections; son rival, le candidat défait, dépose une plainte contre elle auprès du Directeur général des élections du Québec («DGEQ»).

La plainte reproche à Tassoni d’avoir fait de la publicité partisane sur les lieux d’un bureau de vote le jour des élections. En effet, elle aurait été présente à l’extérieur d’un bureau de vote et elle y saluait les citoyens.

Tassoni reçoit le constat d’infraction du DGEQ en 2021, alors qu’elle siège au conseil municipal de la Ville. Puis, en 2022, elle est acquittée par la Cour du Québec. Elle demande à la Ville de lui rembourser ses frais d’avocats pour assurer sa défense à l’encontre du constat d’infraction, ce que la Ville refuse.

La Cour supérieure détermine que la protection financière ne peut s’appliquer en l’espèce puisque les faits en litige ne concernent pas les fonctions d’élue municipale de Tassoni. Ce faisant, le tribunal écarte les arguments de Tassoni à l’effet que la protection financière des élus doit s’appliquer puisque la plainte a été déposée par un rival aigri et que le constat a été reçu alors qu’elle était conseillère municipale :

[31] Sa présence au bureau de vote en 2017 précède son élection. Le dépôt du Constat en 2021 ne convertit pas, en soi, cette présence en 2017 en des actes ou omissions commis dans l’exercice de ses fonctions d’élue en 2021. La protection accordée par la LCV ne vise pas les frais découlant de la contestation d’une élection et les gestes posés avant l’entrée en fonction ne sont, à l’évidence, pas couverts.

[32] Tassoni revendique une interprétation large et libérale de la protection offerte par l’article 604.6 LCV. Avant de privilégier une interprétation «large et libérale» d’un texte législatif ou réglementaire, de se demander si la protection accordée ne devrait pas être plus généreuse, il faut voir si une difficulté d’interprétation se pose. Il n’y a aucune difficulté dans la lecture de l’article 604.6 LCV au regard des faits présents.

[33] Ce n’est pas le fait qu’elle ait été confrontée à une procédure judiciaire ou administrative qui détermine si la protection s’applique, mais plutôt la substance des actes et des omissions en cause. La question essentielle est celle de la teneur du Constat et celle de savoir si l’enquête et la sanction demandées devant la Cour du Québec impliquent un acte ou une omission dans l’exercice de ses fonctions d’élu.

[34] Les faits couverts par le Constat et établis dans le Jugement ne soulèvent aucun doute. Les actes et omissions n’ont aucun lien avec l’exercice des fonctions de conseillère municipale élue de Tassoni. Les actes et omissions peuvent être instigués par un rival électoral aigri, mais ils ne peuvent être qualifiés de contestation de l’élection de 2017.

[35] Les faits couverts par le Constat, ainsi que la date à laquelle il a été communiqué à Tassoni, n’ont aucun lien avec ses fonctions en tant qu’élue. Il ne suffit pas qu’une élue engage des frais professionnels pendant son mandat pour être admis en qualité de bénéficiaire au titre de l’article 604.6 LCV. La finalité du régime de protection en vertu de l’article 604.6 LCV n’est pas de garantir le paiement des honoraires pour des actes de Tassoni qui n’ont rien avoir avec l’intérêt de la Ville. Les frais professionnels doivent être engagés pour défendre les actes ou omissions d’une conseillère dans l’exercice de ses fonctions.

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