Mascouche (Ville de) c. 9356-6850 Québec inc., C.S. Joliette 705-17-008785-196
(par souci de respect de la vie privée, bien que le jugement soit public, nous avons masqué les informations quantitatives relatives aux certificats individuels de Santé Canada)
Si la production de cannabis, pour des fins médicales ou non, est désormais autorisée au Canada (quoique sévèrement encadrée par la loi fédérale), il n’en demeure pas moins qu’elle doit être effectuée dans une zone où cet usage est autorisé par la réglementation municipale.
Lorsque l’usage « culture du cannabis » n’est pas spécifiquement énuméré parmi les usages définis par le règlement de zonage, se pose alors la question de savoir à quelle classe d’usage il peut être assimilé et, partant, à quel endroit il peut être exercé.
Dans une affaire récente ayant donné lieu à une injonction interlocutoire en faveur de la Ville de Mascouche, les défendeurs sont propriétaires et occupants de locaux où s’effectue la production de cannabis pour des fins personnelles, en vertu de certificats d’inscription délivrés par Santé Canada en vertu du Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales.
Ces locaux se trouvent dans la zone IA318, où sont permis les usages des classes suivantes, qui sont définies dans la réglementation :
- Commerces et services de voisinage
- Commerces et services locaux généraux
- Restaurants avec permis d’alcool
- Commerces de gros et industries légères
La Ville soutient que la production de cannabis n’est comprise, directement ou par analogie, dans aucune de ces classes d’usages, mais qu’il s’agit plutôt d’une usage agricole :
[19] [La Ville] argumente qu’en ce qui concerne les usages de type commercial, la production de cannabis pour usage personnel n’est aucunement assimilable aux définitions et listes prévues auxdits articles 51, 53 et 55. Ceci est davantage vrai, plaide-t-elle, lorsque la production se fait strictement en vue d’une consommation personnelle et non dans un dessein commercial.
[20] Pour ce qui est de l’usage de type industriel, la Ville considère que la production du cannabis ne correspond pas non plus à aucune des industries énumérées à l’article 63. Le législateur utilise les termes « industriel », « entreprise » et « commerce de gros » qui ne sont aucunement assimilables à l’usages des Exploitants.
[21] Elle cite les définitions de certains de ces termes qui se trouvent dans le Règlement et réfère le Tribunal à des définitions du dictionnaire, affirmant que le sens commun des mots ne supporte pas l’inclusion de la production personnelle du cannabis dans les usages de la zone IA318.
[22] Finalement, la ville prétend que la production du cannabis est visée par l’usage A-1, tel que défini à l’article 73, appartenant à la classe Agriculture 1 dans le groupe Agriculture. Elle affirme que la définition d’agriculture dans le Règlement 1103 et les usages agricoles comme « pépinière », « horticulture », « serre commerciale », « culture de fruits, légumes et céréales » et « grandes cultures » favorisent l’inclusion de la production du cannabis dans cette classe.
[23] Le raisonnement de la Ville démontre un argument sérieux ayant des chances significatives de succès au fond.
Quand aux défendeurs, ils font flèche de tout bois en soutenant à fois que la réglementation constitue une prohibition absolue, donc illégale, d’un usage par ailleurs licite, qu’elle est imprécise et que leur usage est celui d’un « laboratoire médical », autorisé dans la zone en question. Cette diversité d’arguments n’est pas sans leur causer certaines difficultés :
[36] Par contre, cet argument d’une prohibition absolue ne tient pas la route puisque la Ville affirme que la production personnelle du cannabis peut se faire en terre agricole, ce qui constitue, selon sa procureure, environ 80 % de son territoire. De surcroit, sujet à certaines restrictions, une telle production peut aussi se faire, selon la Ville, aux résidences personnelles des personnes qui détiennent un certificat de Santé Canada.
[37] À ce stade, le Tribunal n’est pas saisi de la question, car les Exploitants déposeront leur contestation et une demande reconventionnelle ultérieurement. Le débat aura lieu au fond.
[38] Il est plus difficile pour les Exploitants d’argumenter soit l’imprécision, soit la prohibition absolue, lorsqu’ils soutiennent également que l’usage autorisé d’un « laboratoire médical » prévu à l’article 53 du Règlement 1103 peut couvrir leur production personnelle. Si tel est le cas, cette dernière ne sera pas interdite, mais plutôt permise dans la catégorie C-2.1, sous commerce et service, et sera pas conséquent autorisée dans la zone IA318.
Finalement, le juge conclut que la Ville a démontré l’existence d’un droit clair en sa faveur, en ce que l’usage serait de nature agricole :
[44] Les Exploitants s’attaquent ensuite à la prétention de la Ville qu’un usage agricole couvre la production du cannabis.
[45] Les Exploitants affirment dans leurs interrogatoires écrits qu’ils ne se considèrent pas « agriculteur » et fournissent des définitions qui semblent favoriser l’aspect commercial de ce mot. Le Tribunal remarque que cet argument focalise sur l’aspect non commercial de leurs activités. Pourtant, ils plaident par ailleurs que la production personnelle du cannabis se trouve dans la catégorie commerce. Or, tous les usages de cette catégorie – y compris « laboratoire médical » – ont une fin commerciale ou lucrative.
[46] Les Exploitants soulignent également que l’inspectrice de la Ville et l’avocate de celle-ci ne s’entendent pas quant à l’usage spécifique dans la catégorie A-1 qui s’apparente le mieux à la production personnelle du cannabis. Le Tribunal reconnaît cette réalité, mais note que le travail à accomplit lors d’une telle interprétation n’est pas de trouver l’usage singulier qui correspond le mieux, mais plutôt de prendre la catégorie dans son ensemble et d’y tirer des similitudes, des dénominateurs communs et des caractéristiques dominants. Ne pas s’entendre sur l’usage spécifique ne fait pas obstacle à identifier la catégorie qui contient plus usages qui ressemblent à l’activité en question.
[47] La Ville plaide que la culture d’un végétal comme le cannabis peut s’assimiler à la culture de fruits, de légumes et céréales autant qu’à la catégorie grande culture. L’usage du bâtiment dans lequel les Producteurs effectuent la production personnelle peut s’assimiler à une pépinière comme à une serre commerciale ou n’importe quel autre bâtiment requis pour une culture de végétaux.
[48] Le Tribunal conclut, après une analyse sommaire des arguments soumis au sujet de l’interprétation, que la Ville a démontré l’existence d’un droit apparent clair.
Une atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne?
Afin de démontrer que la prépondérance des inconvénients joue en leur faveur, les défendeurs soutiennent que l’interdiction de produire du cannabis pour leurs fins personnelles porterait atteinte à leurs droits constitutionnels à la vie, à la liberté et à la sécurité. Or, la preuve soumise à l’appui de cet argument ne semble pas impressionner le juge :
[58] Les Producteurs avancent que leurs droits constitutionnels, de vie, liberté et sécurité de la personne sont en jeu. C’est une question de santé. Ils plaident ne pas avoir les moyens de s’approvisionner auprès de la Société québécoise du cannabis, car selon les quantités approuvées par leurs médecins, cela leur coûterait entre 300 $ et 600 $ par jour.
[59] Les Producteurs s’appuient sur les certificats – recommandés par un médecin et approuvés par Santé Canada – pour démontrer qu’un bris de production de cannabis aurait des conséquences néfastes sur leur santé.
[60] Par leurs déclarations sous serment, ils affirment que « la prescription médicale émise par mon médecin impose une consommation de cannabis à raison de […] grammes par jour en l’absence desquels ma santé et qualité de vie dépérirait de manière significative et possiblement irréversible ». Ces quantités se traduisent respectivement par […] plants de cannabis. Les Producteurs allèguent la difficulté de faire la production d’une telle quantité à leurs résidences personnelles. Finalement, ils affirment que « toute interruption de la production de cannabis médical engendrait [sic] une perte d’approvisionnement de ma médication […] engendrant un préjudice sérieux et irréparable à ma condition de vie et à ma santé sans parler de la perte complète de la production de médicaments. »
[61] Lors des interrogatoires écrits, chaque Producteur précise avoir produit exactement les […] grammes par jour depuis l’octroi de son certificat. Chacun possède actuellement la quantité exacte de plants, soit […] permise par le certificat et déclare avoir produit la quantité quotidienne de grammes, fois le nombre de jours, depuis que son certificat est en vigueur. Il s’agit d’un total pour les cinq Producteurs de 46 400 grammes de cannabis!
[62] En dépit du fait que leurs certificats permettent expressément du stockage de cannabis sec, jusqu’à un maximum de 41 625 grammes, de manière surprenante, personne n’a du cannabis en stockage.
[63] Pourtant, ils ne peuvent indiquer combien de temps faudrait-il pour que les plants en culture produisent la récolte souhaitée ou quand les quantités de produits seront séchées et consommables.
[64] Le Tribunal demeure perplexe quant à la preuve devant lui sur certains aspects de ce dossier.
[65] En fait, il est peu probable que chaque Producteur produise et consomme exactement la quantité de son ordonnance médicale, jour après jour. C’est d’ailleurs pour cette raison que les certificats permettent le stockage. Puisqu’ils ne peuvent confirmer à quel(s) moment(s) leur(s) plantation(s) aura/auront la maturité nécessaire pour la récolte, il est difficile de comprendre exactement comment ils s’approvisionnent pour leurs besoins quotidiens depuis la réception de leurs ordonnances.
[66] Avant l’obtention de leurs certificats, aucun des Producteurs ne détenait de prescription médicale et, disent-ils, « par conséquent, je ne m’approvisionnais nulle part ».
[67] Rien dans les déclarations sous serment ou dans les interrogatoires écrits ne permet de comprendre pourquoi leur production sera nécessairement brisée, ou même interrompue, si l’injonction est accordée et ils sont dans l’obligation de déménager. Ils n’affirment pas que les plants ne puissent être déménagés sans perte considérable de cannabis. Les Producteurs n’établissent pas qu’un bris de production est probable puisqu’ils ne peuvent même pas dire quand leurs récoltes seront prêtes.
[68] Du côté de leur santé, aucun d’entre eux ne déclare avoir consommé de cannabis avant l’émission du certificat. Sans comprendre comment et quand la consommation de telles quantités de cannabis est devenue nécessaire – donc, à défaut de comprendre la survenance de la nécessité de la production personnelle chez chacun d’entre eux – il est difficile d’accepter l’argument constitutionnel de santé et de sécurité de la personne.
[69] En somme, les Exploitants n’ont pas démontré de façon convaincante l’existence d’un préjudice sérieux ou irréparable si l’ordonnance recherchée par la Ville est accordée.
[…]
[74] Sur la question de la possibilité de faire la production personnelle sur des terres agricoles, les Exploitants n’ont pas tenté de faire la preuve qu’aucun terrain ou édifice n’existe actuellement pour satisfaire à leurs besoins. En dépit du temps écoulé depuis les avertissements qu’ils doivent déménager leurs productions, les déclarations des Producteurs n’affirment aucunement qu’une recherche ait été effectuée et qu’un déménagement ne soit pas possible.
[75] La Ville déclare avoir les moyens de payer les dommages pour la valeur d’une perte de stock, si la production est affectée par l’obligation de déménager au stade de l’injonction interlocutoire et qu’un jugement au fond renverse cette ordonnance.
[76] Le critère de la prépondérance des inconvénients favorise encore une fois la Ville.
Le juge ordonne donc aux défendeurs de cesser l’utilisation des locaux à des fins agricoles, plus particulièrement pour la production de cannabis, jusqu’au jugement final et de procéder à l’enlèvement des plants dans les 60 jours.