Fabrique of the Parish of Saint-Patrick c. Ville de Montréal, 2020 QCCS 855
Le stationnement de la basilique Saint-Patrick, située en plein centre-ville de Montréal, qui est exploité la majorité du temps comme un stationnement public payant, doit-il être exempté de taxes foncières?
La réponse est oui, selon une décision de la Cour supérieure rendue en mars, renversant par le fait même des décisions rendues par la Cour du Québec et le Tribunal administratif du Québec.
La décision rendue par la Cour supérieure est fondée sur l’interprétation du paragraphe 8 de l’article 204 de la Loi sur la fiscalité municipale, qui concerne l’exemption de taxes d’un immeuble utilisé principalement pour l’exercice du culte public et de ses dépendances immédiates utilisées aux mêmes fins (toute la question des exemptions de taxes foncières, particulièrement en matière religieuse, est d’ailleurs l’objet d’une analyse détaillée dans l’édition la plus récente des Développements récents en droit municipal)
Si, pour le bâtiment lui-même, le législateur assujettit l’exemption à l’exigence d’un usage principal pour l’exercice du culte public, il semblerait que cette exigence ne s’applique pas aux dépendances immédiates de l’immeuble, tel que le stationnement.
Les faits
La preuve au dossier est brièvement résumée par le juge de la Cour supérieure :
[2] Lors d’événements religieux et de cérémonies se déroulant à la Basilique, le stationnement en question est entièrement réservé aux fidèles et aux visiteurs, qui y ont accès gratuitement. Lorsqu’aucun événement ni cérémonie n’est prévu — ce qui, dans les faits, est la plupart du temps —, les deux tiers des 125 places du stationnement sont loués au public, l’autre tiers étant réservé aux fidèles et aux visiteurs.
[3] Lors de la période pertinente aux fins du présent litige — les années 2014, 2015 et 2016 —, la location des espaces de stationnement permettait à la Fabrique de générer des revenus annuels nets d’environ 300 000 $, lesquels servaient exclusivement à financer ses activités religieuses, y compris l’entretien de la Basilique. En outre, il ressort de la preuve administrée devant le Tribunal administratif du Québec (« TAQ ») que l’existence d’un stationnement aussi vaste s’explique d’abord et avant tout par les besoins de la Fabrique durant les périodes de pointe de fréquentation des fidèles et des visiteurs. La preuve au dossier tend aussi à démontrer que le fait de ne plus pouvoir bénéficier d’une exemption fiscale pour le stationnement plaçait la Fabrique dans une situation financière très précaire, à un point tel qu’elle craignait, lors de l’audience devant le TAQ, ne plus pouvoir réaliser pleinement sa mission religieuse.
Les dispositions législatives
Le paragraphe 8 de l’article 204 LFM, qui est au centre de l’affaire, prévoit :
204. Sont exempts de toute taxe foncière, municipale ou scolaire:
[…]
8° un immeuble compris dans une unité d’évaluation inscrite au nom d’une corporation épiscopale, d’une fabrique, d’une institution religieuse ou d’une Église constituée en personne morale, et qui sert principalement soit à l’exercice du culte public, soit comme palais épiscopal, soit comme presbytère, à raison d’un seul par église, de même que ses dépendances immédiates utilisées aux mêmes fins;
204. The following are exempt from all municipal or school property taxes:
[…]
(8) an immovable included in a unit of assessment entered on the roll in the name of an episcopal corporation, a fabrique, a religious institution or a Church constituted as a legal person, and principally used for the exercise of public worship, either as an episcopal palace or as a presbytery, to the extent of only one for each church, and its immediate dependencies used for the same purposes;
L’interprétation des lois fiscales
Le juge énonce dans une premier temps les principes d’interprétation applicables à l’application des exemptions de taxes foncières qui, on le verra, seront déterminants :
[17] D’abord, il ne fait plus de doute, depuis l’arrêt Corporation Notre-Dame de Bon-Secours, que la méthode d’interprétation dite « moderne » — méthode selon laquelle le texte d’une disposition législative doit être interprété d’une manière qui s’accorde avec le contexte dans lequel elle s’inscrit et l’objet qu’elle poursuit — est applicable en matière fiscale. Comme la Cour suprême l’a reconnu dans cette affaire, sous la plume du juge Charles D. Gonthier, « il n’est plus possible, en matière fiscale, de réduire les principes d’interprétation à des présomptions en faveur ou au détriment du contribuable ou encore à des catégories bien circonscrites dont on saurait si elles requièrent une interprétation libérale, stricte ou littérale ». Une disposition législative donnée devra plutôt être interprétée de manière stricte ou libérale selon « le but qui la sous-tend, qu’on aura identifié à la lumière du contexte de la loi, de l’objet de celle-ci et de l’intention du législateur ». Toutefois, « un doute raisonnable et non dissipé par les règles ordinaires d’interprétation sera résolu par le recours à la présomption résiduelle en faveur du contribuable ».
[18] Plus récemment, après avoir rappelé les enseignements de l’arrêt Corporation Notre-Dame de Bon-Secours, la Cour d’appel a souligné que les exemptions fiscales prévues à l’article 204 L.f.m. devaient être interprétées d’une manière flexible, contextuelle et respectueuse de leur objet, plutôt que d’une manière pointilleuse ou stricte [PGQ (MAMROT) c. Fondation internationale Azzahra inc., 2017 QCCA 240, par. 53].
[19] Cela étant, il importe de garder à l’esprit que, en matière fiscale, les tribunaux continuent d’accorder une grande importance aux termes employés par le législateur. Voici ce que la Cour suprême disait à ce sujet en 2006, cette fois sous la plume du juge Louis Lebel [Cie pétrolière Impériale ltée c. Canada; Inco ltée c. Canada, 2006 CSC 46, paragr. 26] :
Malgré cette approbation de la méthode moderne, la nature particulière des lois fiscales et les caractéristiques de leurs structures souvent complexes expliquent pourquoi on a toujours mis l’accent sur la nécessité d’examiner attentivement le texte même [des dispositions interprétées], de manière à permettre aux contribuables de se fonder sur cel[les]‑ci, sans risque d’erreur, pour exploiter leur entreprise et organiser leurs affaires fiscales. On ne devrait pas permettre que des considérations générales touchant l’objet de la loi se substituent aux termes précis employés par le législateur ([Entreprises Ludco Ltée c. Canada, 2001 CSC 62 (CanLII), [2001] 2 R.C.S. 1082], par. 38‑39).
L’utilisation des dépendances immédiates
Le juge s’attaque ensuite à l’interprétation du paragraphe 8 de l’article 204 LFM :
[21] Il convient de débuter l’analyse en soulignant que l’interprétation retenue par le TAQ est inconciliable avec le texte de l’article 204 paragr. 8° L.f.m. En effet — et comme la Fabrique l’a souligné —, si l’Assemblée nationale avait souhaité que l’exemption ne vise que les dépendances immédiates servant principalement à l’exercice du culte public, elle n’aurait pas eu à les mentionner spécifiquement, car elles constitueraient en elles-mêmes des immeubles servant principalement à l’exercice du culte public. L’interprétation retenue par le TAQ a donc pour effet de rendre superflus les termes « de même que ses dépendances immédiates utilisées aux mêmes fins/and its immediate dependencies used for the same purposes ». Puisque « le législateur ne parle pas pour [ne] rien dire », la présence de ces termes implique forcément — du moins d’un point de vue sémantique — que l’exigence d’usage principal est inapplicable aux dépendances immédiates. Ce point est ignoré dans la décision du TAQ et la Ville n’a présenté aucun argument tendant réellement à réfuter celui de la Fabrique.
[22] Certes, il arrive parfois aux tribunaux de retenir des interprétations qu’ils savent inconciliables avec le sens ordinaire des termes employés dans la disposition interprétée. Ils le feront notamment afin d’éviter d’arriver à un résultat contredisant l’objet de la disposition à un point tel qu’il méritera d’être qualifié d’absurde. Toutefois, rien ne donne à penser qu’un tel raisonnement soit indiqué en l’espèce. Bien qu’il puisse sembler incohérent de ne pas accorder le même traitement fiscal à un immeuble qu’à ses dépendances, on ne voit pas comment cette imperfection — à supposer même que c’est bien ce dont il s’agisse — serait intolérable à un point tel qu’il faudrait plutôt retenir une interprétation qui, clairement, serait susceptible de déjouer les attentes raisonnables qu’aura pu faire naître, chez les contribuables concernés, le libellé de l’article 204 paragr. 8° L.f.m.
[…]
[25] En somme, l’application des principes d’interprétation pertinents conduit à la conclusion que l’exigence d’usage principal énoncée à l’article 204 paragr. 8° L.f.m. est inapplicable aux dépendances immédiates. Puisque la Ville reconnaît que le stationnement est une dépendance immédiate de la Basilique et qu’il sert au moins en partie à l’exercice du culte public, la Fabrique doit bénéficier de l’exemption énoncée à l’article 204 paragr. 8° L.f.m.
La suite à la Cour d’appel ?
Bien que le raisonnement adopté par le juge de première instance soit défendable, il est à prévoir que la Ville de Montréal portera ce jugement en appel (lorsque les restrictions des activités judiciaires liées à la pandémie de Covid-19 seront levées). Ce raisonnement soulève en effet plusieurs questions et, en tout respect, entraîne des conséquences absurdes. Par exemple, suffit-il que le stationnement soit utilisé par les fidèles de la basilique une seule journée par année pour qu’il soit exempté de taxes toute l’année?
Cette affaire sera certainement à suivre en appel…