Appel d'offres, Responsabilité contractuelle

La Cour d’appel refuse de réviser l’évaluation des soumissions par un comité de sélection

Camions Carl Thibault inc. c. Ville de Lévis, 2020 QCCA 1264

La Cour d’appel vient de rendre un arrêt qui refuse de s’immiscer dans le travail d’un comité de sélection. On ne peut que saluer les principes réitérés par la Cour d’appel sans lesquels les recours judiciaires par les soumissionnaires déçus se multiplieraient. On notera cependant au passage un aspect de la décision qui pourrait permettre aux municipalités d’améliorer leurs processus.

Les faits

La Ville de Lévis lance un appel d’offres visant divers types de véhicules d’intervention pour son service de sécurité incendie. L’appel d’offres est divisé en trois (3) blocs, chacun visant un type de véhicule différent. Surtout, il s’agit d’un appel d’offres selon l’article 573.1.0.1. de la Loi sur les cités et villes, utilisant un système de pondération et d’évaluation des offres. Un comité de sélection de trois (3) membres est constitué pour l’évaluation des soumissions.

La demanderesse a offert le meilleur prix pour deux (2) des trois (3) blocs, mais compte tenu que son évaluation était plus faible que celle de l’adjudicataire, elle est est arrivée au deuxième rang pour ces deux (2) blocs. Elle a introduit des procédures judiciaires contre la Ville (elle réclame ses pertes de profits) en faisant plusieurs griefs. Ceux-ci concernent notamment la rédaction des critères de l’appel d’offres et l’analyse des soumissions par le comité de sélection.

La déférence de la Cour d’appel

La Cour d’appel refuse de réviser l’évaluation faite par le comité de sélection. Ce faisant, elle rappelle les principes applicables à l’intervention des tribunaux relativement à une évaluation par un comité de sélection. Il ne s’agit pas pour les Tribunaux de refaire l’évaluation en lieu et place de ce comité de sélection :

[39] Le deuxième argument concerne l’évaluation de la qualité des soumissions par le comité de sélection. Thibault relève plusieurs éléments qu’elle considère comme des irrégularités graves et soutient que la Ville a manqué à son obligation de traiter les soumissionnaires sur un pied d’égalité.

[40] En cette matière, le pouvoir d’intervention des tribunaux demeure très limité. Comme le soulignent les juges Vézina et Giroux dans l’arrêt Immobilière (L’), société d’évaluation conseil inc. c. Évaluations BTF inc., c’est aux comités de sélection que le législateur a confié la tâche d’évaluer la qualité des soumissions : (…)

(…)

[56] C’est le cas ici aussi. Thibault échoue à démontrer que, si le comité avait fait preuve d’une rigueur parfaite et s’en était tenu strictement aux critères d’évaluation, elle aurait vraisemblablement décroché l’un ou l’autre des contrats ou les deux. On est loin de la situation qui existait dans l’arrêt Immobilière où l’inadéquation de la notation ressortait de façon flagrante des notes de travail, au point d’équivaloir à un défaut d’appliquer l’échelle d’attribution des points.

[57] En réalité, Thibault invite la Cour à procéder à une nouvelle évaluation de la qualité des soumissions et à vérifier si le comité de sélection n’aurait pas dû lui attribuer plus de points et en attribuer moins à Maxi. Or, comme la Cour le rappelle dans un arrêt récent, ce n’est pas son rôle:

[4] Nous sommes d’avis que l’appelante ne démontre pas d’attribution arbitraire des pointages ou de traitement injuste à son égard. Il ne relève pas du rôle des tribunaux de procéder à une analyse qualitative des critères d’évaluation du comité de sélection et de vérifier si le comité aurait dû attribuer certains points de plus à une catégorie ou certains points de moins à une autre. L’appelante paraît inviter la Cour à réexaminer la preuve et à tirer ses propres conclusions, mais ne parvient pas à démontrer d’erreur manifeste dans le jugement de première instance.

[58] Bref, en l’absence d’une conduite inéquitable, discriminatoire ou empreinte de mauvaise foi de la part des membres du comité de sélection et devant un résultat qui n’est pas entaché d’erreur grossière et qui n’entraîne pas un déni de justice, il n’y a pas lieu d’intervenir dans l’exercice par le comité de sélection de son pouvoir discrétionnaire.

Partialité du comité de sélection

Le dernier motif d’appel, même s’il a également été rejeté par la Cour supérieure puis la Cour d’appel, mérite selon nous d’être mentionné. La demanderesse a soulevé la question de la partialité de deux (2) des trois (3) membres du comité de sélection :

[60] La preuve révèle que des lettres de recommandation en faveur de Maxi ont été signées par un membre du comité de sélection, M. Denis Jolicoeur, et par un contremaître sous la responsabilité d’un autre membre, M. Yves Trudel. Selon Thibault, ces lettres sont de nature à engendrer une crainte raisonnable de partialité.

(…)

[62] La jurisprudence reconnaît que les motifs d’une décision peuvent parfois aider à décider si, globalement, il existe une crainte raisonnable de partialité. Dans Belleville c. R., la Cour écrit que «l’analyse des motifs de la décision permet parfois d’écarter les craintes que peuvent susciter certains commentaires du décideur». Par analogie, le juge ne commet pas d’erreur lorsqu’il considère que l’analyse du pointage accordé par chacun des membres permet d’écarter les craintes que pouvaient susciter les lettres de recommandation signées par M. Jolicoeur et par le contremaître sous la responsabilité de M. Trudel.

Ici, les membres du comité de sélection qui se trouvaient en position de partialité ont accordé à la demanderesse des notes égales ou supérieures à l’autre membre du comité de sélection, neutralisant ainsi l’argument de partialité. Néanmoins, on devine que cela a constitué un fait défavorable à la Ville pendant toute la durée des procédure.

Les municipalités devraient éviter ce genre de situation qui fait naître un doute chez le soumissionnaire déçu et l’incite à déposer des procédures judiciaires. Sans doute est-il mieux de déléguer sur le comité de sélection une personne qui ne présente aucune apparence de partialité, même si cette personne n’a pas une aussi bonne connaissance de l’objet de l’appel d’offres que celle qui est en situation d’apparence de partialité.

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