Bilodeau c. Ville de Saint-Hyacinthe, 2020 QCCS 3260
Ce n’est peut-être pas le sujet le plus palpitant, mais il s’agit néanmoins d’une partie importante de la responsabilité civile des municipalités, que l’on se retrouve devant la Cour des petites créances ou encore devant un recours collectif devant la Cour supérieure pour des millions de dollars. Les chutes à pied et à vélo sont sources de plusieurs réclamations mais également de drames à échelle humaine.
Une municipalité doit donner suite aux plaintes formulées par ses citoyens
Après avoir correctement exposé que la municipalité n’a pas une obligation de résultats mais uniquement une obligation de moyens relativement à l’entretien et la réparation de ses trottoirs, la juge Brodeur, j.c.s. a retenu la responsabilité de la municipalité suite à une chute du demandeur puisque plusieurs plaintes avaient été préalablement formulées relativement à l’état du trottoir en cause :
[39] La preuve établit qu’entre le 20 juin 2017 et le mois d’août 2017, trois plaintes ont été portées par des citoyens concernant le trottoir qui borde, du côté des numéros civiques impairs, la rue Bachand. L’origine de la problématique fut identifiée par au moins un citoyen. La chute d’une dame fut rapportée et la situation fut qualifiée de dangereuse.
[40] Le Tribunal n’impose pas à la Ville un standard de perfection. Elle doit cependant agir en personne prudente et diligente et donner suite rapidement aux situations dangereuses qui lui sont rapportées. La Ville a déterminé que la priorité à donner, suite à une chute de citoyens sur le trottoir qualifié de dangereux, était de niveau normal. Or, une personne prudente et diligente, soucieuse du bien d’autrui doit, lorsqu’avisée de l’existence d’une situation dangereuse, valider l’information et intervenir rapidement, le cas échéant. Aucune modification des lieux n’a été faite entre la première plainte en juin 2017 et la chute de Bilodeau le 29 novembre 2017. Le délai d’intervention de la municipalité, dans les circonstances, est déraisonnable.
On retient du jugement Bilodeau c. Ville de Saint-Hyacinthe que selon les circonstances en cause, la municipalité pourra avoir à modifier son calendrier d’entretien afin de devancer certains travaux lorsque des citoyens lui dénoncent une situation problématique. Ainsi, même si la municipalité entend réparer un trottoir dans un délai de quelques années, elle doit vérifier si les réparations en cause ne devraient pas être devancées.
De l’importance de la signalisation
Les obstacles, fissures et bris sur les trottoirs, les rues et les pistes cyclables ne peuvent être réparés immédiatement. Les municipalités ont nécessairement des moyens limités et doivent prioriser leurs interventions. Par ailleurs, l’action municipale est soumise à un cadre légal (obligation de procéder par appel d’offres, processus démocratique, etc.) qui lui enlève une certaine flexibilité.
Dans cette optique, la signalisation (temporaire ou permanente) pour avertir les citoyens d’un danger imminent prend toute son importance. Dans les jugements récents suivants, les Tribunaux ont condamné la municipalité suite à des accidents de vélo. On y constate que le reproche formulé aux municipalités n’est pas tellement de ne pas avoir réparer le « piège », mais plutôt de ne pas avoir signalisé celui-ci aux cyclistes:
- Dans le jugement Mallett c. Ville de Gatineau, 2020 QCCQ 1853, la municipalité avait fermé l’accès à un pont pour les cyclistes puisque les récentes inondations rendaient l’usage de celui-ci dangereux. Pour se faire, les employés municipaux ont installé une chaîne à l’entrée du pont. Le demandeur n’a pas vu la chaîne et a percuté celle-ci en vélo. La Cour du Québec (division des petites créances) a retenu la responsabilité de la municipalité puisqu’elle a fait défaut d’installer un panneau de signalisation en amont pour avertir les cyclistes qu’un nouveau danger était imminent.

- Le jugement précédent fait écho au jugement Bouchard c. Municipalité de St-Gédéon de Grandmont, 2018 QCCS 1983. Dans cette affaire, une jeune fille en vélo a percuté des chicanes (voir l’image ici-haut) qui étaient installées suite à une courbe dans la piste cyclable. Encore une fois, si les chicanes visent à prévenir des dangers potentiels, elles constituent elles-mêmes un danger en l’absence d’une signalisation adéquate et préalable. Voici ce que mentionne la Cour supérieure :
[54] En l’espèce, tel que mentionné précédemment, les défenderesses ont manqué à leur devoir de sécurité à l’égard des demandeurs.
[55] En effet, l’examen de la preuve, et plus particulièrement des photos déposées sous la cote D-2, démontre le piège créé par l’absence de signalisation adéquate et d’une chicane manifestement trop rapprochée de l’intersection. De la même façon, les arbres et la végétation se trouvant à l’intersection menant à la voie réservée cachent, pour le cycliste qui y accède, la chicane qui s’y trouve.
[56] Il s’agit d’une situation intrinsèquement dangereuse, cachée et ne laissant pas voir le danger, une surprise qui constitue un piège pour Charlotte.
[57] En effet, on constate qu’en empruntant la route partagée menant à l’intersection, aucune pancarte n’invite les usagers à ralentir, freiner ou arrêter en raison d’un obstacle.
[58] C’est avec surprise, en tournant vers la droite à l’intersection, qu’arrive brusquement et sans avertissement la chicane placée manifestement à un endroit dangereux.
On voit bien dans les deux (2) récents jugements susmentionnées qu’une signalisation adéquate aurait permis à la municipalité d’éviter une condamnation, même si l’on peut argumenter que les accidents auraient tout de même eu lieu.
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