Aménagement et urbanisme, Construction, Immobilier, Responsabilité contractuelle

Ententes-promoteurs : les garanties financières et l’exercice légitime des droits de la Ville

9181-5712 Québec inc. c. Ville de Montréal, 2021 QCCS 537

Les ententes avec les promoteurs relatives à la construction d’infrastructures municipales sont un outil important de développement des municipalités. Il s’agissait d’une pratique courante bien avant que le législateur l’encadre par l’ajout des articles 145.21 et suivants de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, comme l’explique le juge Forget dans l’arrêt Ville d’Otterburn Park c. 2847-2033 Québec Inc. (2001).

Il s’agit en effet d’un moyen pour les municipalités d’assurer la construction des infrastructures municipales des nouveaux développements sans augmenter leur endettement. Or, si la réglementation entourant la conclusion de ces ententes a fait l’objet de plusieurs décisions, l’exécution même des travaux semble avoir été peu discutée en jurisprudence. Pourtant, il arrive couramment que l’exécution de ces travaux par les promoteurs pose des difficultés.

Dans un jugement récent, la Cour supérieure reconnaît à la Ville de Montréal le droit de conserver les sommes encaissées aux termes d’une lettre de garantie, ainsi qu’un dépôt de garantie, afin de compléter les travaux prévus par une entente, et ce alors même que le promoteur qui a fourni ces garanties a vendu les immeubles visés par le projet à un nouveau promoteur.

Les faits

En 2010, la Ville conclut avec le promoteur 9181-5712 Québec inc. une « Entente pour le projet Bois des Cayers », situé dans l’arrondissement Lasalle. Les infrastructures municipales doivent être construites en deux phases et complétées au plus tard le 30 octobre 2014 :

  • Phase A – les travaux souterrains (aqueduc, égout sanitaire et pluvial, travaux de raccordement)
  • Phase B – les travaux de surface (pavage, éclairage, trottoirs, plantation)

L’Entente prévoit également que le promoteur doit fournir à la Ville des garanties financières équivalant à 20 % du coût estimé des infrastructures, soit 510 000 $, ce que le promoteur fournit par un dépôt de 120 000 $ et une lettre de garantie bancaire de 390 000 $.

Les travaux débutent en septembre 2010 se poursuivent jusqu’en décembre 2012, alors que le promoteur abandonne à toutes fins pratiques le projet. À ce moment, environ 55 % des travaux de la phase A sont complétés.

La situation entraîne des plaintes des citoyens qui habitent déjà le développement (voir ici et ici le compte-rendu fait à l’époque par CBC).

Le 24 octobre 2013, après avoir fait signifier à 9181 plusieurs lettres de mises en demeure la sommant de reprendre et de finaliser les travaux, la Ville « tire » sur la lettre de garantie et encaisse le montant de 390 000 $.

Le 8 novembre 2013, 9181 vend le projet à un autre promoteur, qui fait affaires sous le nom d’Utopia. Le prix de vente est de 12 800 000 $, dont 3 807 635 $ par l’assumation par Utopia des travaux d’infrastructure restant à exécuter.

La Ville n’est toutefois avisée de la vente qu’en décembre 2013. Par la suite, le promoteur Utopia demande des modifications importantes au projet, ce qui amène la Ville à résilier l’entente initiale de 2010 et à conclure deux nouvelles ententes successives avec Utopia pour compléter le projet selon de nouveaux paramètres.

Le promoteur original, 9181, demande à la Ville de lui rembourser la somme de 510 000 $ remise en garantie de l’exécution de ses obligations à l’égard des travaux d’infrastructure.

La conclusion d’une entente avec un nouveau promoteur n’a pas libéré 9181 de ses obligations

Dans un premier temps, 9181 prétend que la résiliation de l’entente initiale et la conclusion des nouvelles ententes entre Utopia et la Ville l’a libéré de ses obligations envers cette dernière, argument que le Tribunal rejette :

[49]        Le Tribunal conclut que 9181 ne peut à bon droit prétendre que la conclusion par la Ville de ces deux ententes a entraîné, de façon expresse ou implicite, la libération de 9181 des obligations qui lui incombent en vertu de l’Entente initiale.

[50]        Cet argument équivaut à prétendre que serait survenue une forme de novation par substitution de débiteur des obligations de 9181 en ce qui a trait à l’exécution des travaux d’infrastructures. Or, la preuve ne permet pas de conclure que la Ville ait accepté, expressément ou implicitement, conformément aux articles 1660 et 1661 C.c.Q. de libérer 9181 de ses obligations en concluant de nouvelles ententes avec Utopia.

[51]        S’il est vrai qu’en considération de la vente du Projet en novembre 2013, 9181 et Utopia conviennent, entre elles, du fait que les travaux d’infrastructures seront complétés par Utopia à l’exonération de 9181, il importe de rappeler que la Ville n’est pas partie à cette entente et qu’elle ne lui est nullement opposable.

[52]        En effet, le Tribunal tient à rappeler les éléments suivants de la preuve:

–     La Ville ne fut avisée de la vente du Projet à Utopia que lors de la rencontre tenue le 20 décembre 2013, soit plus d’un mois après la conclusion de la vente du Projet à Utopia;

–     L’Offre d’achat conclue entre 9181 et Utopia prévoyant l’assumation par Utopia des obligations de 9181 ne fut communiquée à la Ville qu’après que 9181 eut déposé son recours contre la Ville, lequel fait l’objet du présent jugement.

[53]        La Ville a donc été placée devant un fait accompli lorsqu’elle fut avisée en décembre 2013 qu’un tiers, en l’occurrence Utopia, s’engageait à compléter les travaux prévus à l’Entente initiale.

Il s’agit à notre avis d’une conclusion justifiée, puisque la Ville n’a en aucun temps renoncé à obtenir l’exécution complète des travaux d’infrastructures. La conclusion relative à l’existence ou non d’une telle renonciation sera toutefois, dans chaque situation, une question de faits. Il est donc important pour les municipalités d’être très vigilantes quant à la manière de procéder à la résiliation et à la conclusion d’une nouvelle entente, ainsi que les termes utilisés, pour éviter qu’un tribunal puisse conclure qu’elles ont renoncé à l’exécution par le promoteur original de ses obligations.

La Ville n’a pas agi de façon abusive en tirant sur la lettre de garantie

À l’audience, le promoteur 9181 soutient que la Ville a agi de façon abusive en tirant sur la lettre de garantie pour son plein montant le 24 octobre 2013, la veille de sa date d’échéance, ce que le Tribunal rejette également :

[65]        Le Tribunal rejette cet argument et conclut que, compte tenu des circonstances, la Ville n’a pas agi de manière abusive en tirant sur la Lettre de garantie le 24 octobre 2013, soit le jour précédant son échéance.

[66]        Il importe en effet de réitérer que 9181 a, sans avis préalable à la Ville, abandonné le Projet à l’automne 2012 et n’a jamais donné suite aux mises en demeure de la Ville lui enjoignant de finaliser les travaux. 9181 ne peut prétendre que l’encaissement du produit de la Lettre de garantie était abusif en pareilles circonstances puisqu’il était devenu évident, en octobre 2013, que 9181 ne serait pas en mesure de compléter les travaux convenus avant la date d’échéance d’octobre 2014 prévue à l’Entente initiale.

[67]        En somme, en octobre 2013, 9181 était clairement en défaut de respecter ses obligations envers la Ville et celle-ci se devait de tirer sur la Lettre de Garantie afin de préserver ses droits vu son expiration imminente.

[68]        La Ville n’a donc pas agi de manière abusive en tirant sur la Lettre de garantie pour son plein montant le 24 octobre 2013.

La Ville a le droit de conserver les sommes pour compléter les travaux

Finalement, le Tribunal doit se prononcer sur le droit de la Ville de conserver les sommes pour compléter les travaux et sur la valeur de ceux-ci, dont la seule preuve est faite par le témoignage de l’ingénieur chargé de projet de la Ville :

[71]        Qu’en est-il maintenant des droits de la Ville quant au solde des montants qui lui ont été remis par le biais du Dépôt et de la Lettre de garantie?

[72]        La Ville reconnaît qu’elle ne peut s’approprier ce solde sans en justifier l’usage pour la finalisation des travaux d’infrastructures prévus à l’Entente initiale. En d’autres termes, l’Entente initiale ne prévoit aucune pénalité pouvant justifier que la Ville s’approprie purement et simplement ce solde sans l’imputer aux coûts reliés à la finalisation des travaux convenus.

[73]        Nonobstant le fait que l’Entente initiale ne traite pas du sort du Dépôt, le Tribunal est d’avis que le Dépôt, au même titre que la Lettre de garantie, fut remis à la Ville à titre de garantie des obligations de 9181 aux termes de l’Entente initiale.

[74]        Il faut donc déterminer si ces sommes ont été ou devront être utilisées par la Ville pour compléter les travaux prévus à l’Entente initiale.

[75]        À cet égard, la preuve de la Ville se résume comme suit :

– Lors de la signature de l’Entente Utopia no 1, la Ville a convenu d’assumer, à même la somme de 510 000 $ remise par 9181, des dépenses de l’ordre de 179 000 $ qualifiées de « pré-requis » en vertu de l’Entente Utopia no 1.

– Cette somme de 179 000 $ a effectivement été déboursée afin d’acquitter les factures émises à la Ville par deux fournisseurs, Fusion électrique inc. et Lumca inc., pour la finalisation d’une partie des travaux prévus à l’Entente initiale sur la rue Pigeon, ainsi que pour l’acquisition de lampadaires;

– Une somme additionnelle de 63 000 $ a également dû être déboursée par la Ville pour les fins de la finalisation des travaux d’éclairage sur certaines rues du Projet.

[76]        Le Tribunal conclut que ces dépenses totalisant 242 000 $ acquittées par la Ville se rapportent à la finalisation de travaux prévus à l’Entente initiale non effectués par 9181 et Utopia. Ces dépenses peuvent donc être légitimement déduites par la Ville de la somme de 510 000 $.

[77]        Quant au solde, déduction faite des sommes dues en vertu des deux jugements de la Cour du Québec mentionnés précédemment, la représentante de la Ville témoigne à l’effet qu’il est de l’ordre de 238 000 $ et qu’il est toujours détenu par la Ville dans un compte de réserve pour les fins de la finalisation éventuelle des travaux.

[…]

[81]        Les travaux décrits aux estimations budgétaires concordent avec ceux décrits par les représentants de la Ville et détaillés au sommaire des travaux non complétés et produit par la Ville.

[82]        9181 soutient cependant que le Tribunal ne devrait pas retenir ces estimations budgétaires et plaide que l’exécution des travaux requis devrait, en toutes circonstances, faire l’objet d’un appel d’offres par la Ville. 9181 soutient aussi que l’ingénieur de la Ville chargé de préparer ces estimations n’a pas les compétences ni les connaissances requises du Projet pour être en mesure de déterminer adéquatement les coûts requis pour le compléter.

[83]        Le Tribunal ne peut accéder à ces arguments. En l’absence de preuve contraire, le Tribunal conclut que certains travaux d’infrastructures décrits à l’Entente initiale, soit ceux identifiés par la Ville et décrits aux estimations budgétaires, devront effectivement être réalisés par des entrepreneurs à être retenus par la Ville.

[84]        Le Tribunal tient à souligner que 9181 n’a présenté aucune preuve à cet égard autre que le témoignage de son représentant à l’effet que l’ensemble des travaux auraient été dûment exécutés.

[85]        Le Tribunal est d’avis qu’il est préférable, dans les circonstances, de considérer la preuve présentée par la Ville quant aux coûts qu’elle envisage encourir à cette fin, ces coûts ayant été établis à la lumière des coûts encourus par la Ville pour l’exécution de travaux similaires dans le cadre d’autres projets de développement.

Conclusion

Ce jugement devait à notre avis conforter les municipalités dans leur utilisation des garanties fournies par les promoteurs lors de la conclusion d’ententes sur les travaux municipaux. Il est toutefois nécessaire, pour les municipalités, d’assurer un suivi constant auprès du promoteur à la fois de l’exécution des travaux et du renouvellement des garanties à leur échéance, afin d’avoir en main les outils nécessaires pour agir lors les problèmes se présentent.

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