Ville de Québec c. ITE Construction inc., 2021 QCCA 1628 & Ville de Sherbrooke c. Sherax Immobilier inc., 2021 QCCS 5018
Dans le cadre d’un appel d’offres, la municipalité peut divulguer certaines informations aux soumissionnaires potentiels : la quantité de roc dans le sol, la localisation d’une conduite, le nombre quotidien d’usagers ou d’automobilistes, etc. Or, la municipalité précise souvent que cette information est communiquée à titre indicatif ou qu’elle ne constitue qu’un estimé, les soumissionnaires étant invités à faire leur propres investigations pour avoir un portrait juste de la situation.
Lorsque les conditions sur le terrain se révèlent largement différentes de celles estimées ou indiquées dans l’appel d’offres, quelle est donc la portée juridique de cette information erronée communiquée par la municipalité? Deux (2) jugements récents, l’un de la Cour d’appel et l’autre de la Cour supérieure, démontrent que la municipalité ne pourra se décharger de toute responsabilité sur la simple base que l’information a été divulguée à titre indicatif ou qu’il s’agissait d’un estimé.
ITE Construction
ITE Construction a obtenu un contrat de réfection d’une rue. Or, les conditions de sol se sont avérées différentes de celles annoncées dans un rapport d’analyse de la firme LVM, lequel était joint aux documents d’offres. La Ville de Québec a notamment contesté les récriminations de ITE Construction en soulevant une clause du cahier des charges mentionnant que tout rapport de sondage ou de forage inclus dans les documents d’appel d’offres est remis à titre indicatif seulement. La Cour d’appel a répondu ce qui suit :
[21] La Ville fait une mauvaise lecture de cette disposition. Son interprétation nie tout sens à la notion d’approximation qui s’en infère. Les sondages, s’ils doivent être considérés « exacts » aux seuls endroits où ils ont été prélevés, ont toutefois pour but de donner à l’entrepreneur un certain éclairage sur les conditions du sol. Ici, ITE n’a commis aucune erreur d’interprétation des sondages et rien ne lui permettait de soupçonner que les conditions du sol différaient de façon substantielle de celles que ces sondages laissaient voir. Dans ces circonstances, elle n’avait aucune raison de faire une investigation additionnelle au sujet de la quantité de matériaux récupérables sur le chantier entre les chaînages +107 et +312.
Sherax Immobilier
Dans le cadre d’un contrat de type partenariat public-privé, Sherax Immobilier construit et opère un centre de soccer intérieur sur le territoire de Sherbrooke. Sherax Immobilier doit ensuite louer les terrains de soccer à des organismes sportifs financés par Sherbrooke. Dans ses documents d’appel d’offres, cette dernière estime que les organismes sportifs louerons les terrains de soccer pour 4943 heures annuellement. Or, Sherbrooke ne financera pas assez les organismes sportifs, empêchant ceux-ci de louer les terrains de soccer et entraînant par le fait même des pertes substantielles pour Sherax Immobilier. La Cour supérieure détermine que Sherbrooke était liée par son estimé, étant par ailleurs elle-même responsable de concrétiser cet engagement :
[127] Les circonstances de la présente affaire sont différentes. La Ville savait que les heures estimées ne se matérialiseraient pas sans une aide qu’elle n’avait pas l’intention de donner. Et en outre, pris au pied de la lettre son estimé était juste. Il s’agissait d’un estimé des « besoins » de la Ville et de ses organismes. Les réservations faites par les organismes au cours de l’été 2007, avant qu’ils n’apprennent eux-mêmes que la Ville ne leur verserait pas l’aide nécessaire, sont tout à fait cohérentes avec l’estimé produit la Ville.
[128] L’utilisation des mots « estimé » et « à titre indicatif » ne pouvait pas permettre à la Ville d’induire son cocontractant en erreur en l’amenant à contracter à des conditions qu’elle seule savait être irréalistes en raison de son intention non dévoilée de ne pas fournir l’aide nécessaire à ses organismes mandataires.
Chaque cas est un cas particulier
Loin de nous l’intention de prétendre que les mots « estimé » et « à titre indicatif » dans les documents d’appels d’offres n’ont aucune portée juridique. Seulement, il ne s’agit pas d’une formule magique et chaque situation devra être considérée individuellement, tant au stade de la rédaction des documents d’appel d’offres qu’au stade de la réclamation. Des questions de ce type devront se poser : l’information divulguée par la municipalité peut-elle être vérifiée par les soumissionnaires, par exemple lors d’une visite des lieux? Les soumissionnaires sont-ils spécialisés, détenant par le fait même une expertise leur permettant d’avoir un portrait juste de la situation en litige?
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