Syndicat canadien de la fonction publique c. Ville de Québec, 2021 QCCS 4820
En 2018, peu avant la dernière campagne électorale provinciale, le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) et d’autres syndicats mettent sur pied une campagne publicitaire visant à dénoncer les politiques du PLQ et de la CAQ. Douze (12) circonscriptions sont ainsi visées par une campagne d’affichage.
Quelques 200 affiches sont installées sur les poteaux d’utilité publique d’une circonscription située sur le territoire de la Ville de Québec. Le SCFP ne demande pas l’autorisation de cette dernière avant de procéder à l’affichage. Notons que cette campagne publicitaire se décline aussi dans d’autres médias (web, envoi postal, etc.).
Le SCFP souhaite ainsi agir avant le début de la campagne électorale puisqu’une fois celle-ci déclenchée, de nouvelles règles s’appliqueront relativement à l’affichage (articles 259.1 et suivants de la Loi électorale).
Après avoir fait parvenir un avis au SCFP, la Ville de Québec procède à l’enlèvement des affiches susmentionnées puisque leur installation sur les poteaux d’utilité publique va à l’encontre de sa réglementation. Le SCFP demande l’émission d’une injonction interlocutoire provisoire pour l’en empêcher, sans succès.
Le SCFP dépose donc une demande en jugement déclaratoire et pourvoi en contrôle judiciaire. Elle plaide que la réglementation de la Ville de Québec, lui empêchant d’afficher sur les poteaux d’utilité publique, porte indûment atteinte à sa liberté d’expression protégée par les chartes.
Le jugement sous étude étant rendu à l’écrit, il ne tranche pas le débat très important relativement à la prononciation correcte du mot « poteau ». Il contient cependant certaines leçons intéressantes.
D’entrée de jeu, la Ville de Québec a admis que sa réglementation portait atteinte à la liberté d’expression. Le débat portait donc essentiellement à savoir si cette atteinte pouvait se justifier au sens de l’article 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne pour des motifs de pollution visuelle et d’atteinte à la sécurité (visibilité).
Il doit être gardé en tête que ce jugement a été rendu dans la foulée de l’arrêt de la Cour d’appel Ville de Montréal c. Astral Media Affichage. Nous avions fait un résumé de cette affaire sur ce blogue. Les entreprises d’affichage avaient alors échoué dans leur contestation de la réglementation montréalaise interdisant les panneaux-réclames. La Cour suprême du Canada avait ensuite refusé d’entendre la cause.
Dans son analyse de l’affaire sous étude, la Cour supérieure souligne que même si l’affichage est interdit sur les poteaux d’utilité publique, le fait qu’il demeurait possible à plusieurs autres endroits sur le territoire de la Ville de Québec balançait les objectifs municipaux (pollution visuelle, sécurité) et la liberté d’expression :
[56] À l’examen, la Ville a raisonnablement exercé sa compétence de déterminer les tenants et aboutissants de l’affichage sur son territoire en tenant compte des facteurs pertinents, dont le caractère patrimonial de la Ville et en choisissant parmi les moyens d’expression possibles ceux qui seraient interdits et permis, ainsi qu’à quelles conditions.
[57] La réglementation relative à l’affichage a été conçue de manière à rejoindre les objectifs poursuivis dans le plan directeur de la Ville avec une atteinte minimale aux libertés individuelles. Ainsi, l’affichage dans l’espace public demeure possible, mais pas sur les poteaux d’utilité publique.
[58] En effet, le règlement, bien que limitant la liberté d’expression quant au moyen de l’affichage sur les poteaux d’utilité publique, ne l’interdit pas pour autant par différents autres moyens à la disposition du SCFP ou de toute autre organisation ou citoyen intéressé.
[59] Comme l’explique l’urbaniste Tremblay, l’affichage par le SCFP et l’exercice par le SCFP de sa liberté d’expression demeurent en utilisant les possibilités suivantes :
- 138 sites de panneaux-réclame à l’échelle du territoire de la ville, lesquels comptent 258 surfaces d’affichage (pièce D-9); 32 de ces sites sont situés dans la circonscription électorale provinciale de Taschereau et offrent un total de 58 surfaces d’affichage (pièce D-10);
- 264 abribus avec des structures d’affichage à l’échelle du territoire de la ville, lesquels comptent 326 surfaces d’affichage (pièce D-9); 41 de ces abribus sont situés dans la circonscription électorale provinciale de Taschereau et offrent un total de 57 surfaces d’affichage (pièce D-10);
- 83 colonnes Morris à l’échelle du territoire de la ville (pièce D-9); 34 sont situées dans la circonscription électorale provinciale de Taschereau (pièce D-10);
- Environ 600 autobus du Réseau de transport de la Capitale (RTC) sont munis de panneaux-bus et circulent sur tout le territoire de la ville;
- Les clôtures de chantier ne font l’objet d’aucun recensement de la part de la ville compte tenu de leur caractère temporaire, tout comme les véhicules-taxis munis de structures d’affichage.
[60] À juste titre, l’urbaniste Tremblay ajoute que l’affichage de messages sur l’ensemble de ces structures ne requiert aucun permis municipal. Elle précise que seule l’implantation de la structure destinée à permettre l’affichage, comme l’installation d’un nouveau panneau-réclame, d’une colonne Morris ou d’un abribus, est assujetti à la nécessité d’obtenir un permis (…).
[61] De ce qui précède, le Tribunal retient qu’en raison des nombreux autres moyens d’expression mentionnés précédemment et qui ne sont pas limitatifs, auxquels s’ajoutent tous les autres moyens de diffusion traditionnels et technologiques, le SCFP n’est pas démuni pour faire valoir ses messages.
Il s’agit donc d’un nouveau jugement qui confirme la possibilité pour les municipalités d’encadrer l’affichage public sur leur territoire. Celles-ci feront attention de ne pas complétement interdire celui-ci, mais plutôt de le diriger vers certains endroits qui respectent les caractéristiques et les enjeux propres à leur territoire.
Il n’en demeure pas moins que l’analyse des récents jugements en la matière démontre bien que l’affichage public occupe une place de moins en moins centrale en matière de liberté d’expression, de nouveaux moyens peu coûteux étant maintenant disponibles pour l’expression commerciale ou politique (réseaux sociaux, courriels, etc.).
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2 réflexions au sujet de “Affichage, urbanisme et liberté d’expression politique”