Appel d'offres, Éthique et déontologie, Injonction

Un soumissionnaire écarté pour apparence de conflit d’intérêts est débouté

Lévio Conseils inc. c. Société des établissements de plein air du Québec (SÉPAQ), 2022 QCCS 1850

Lévio Conseils inc. (Lévio) est une firme de service-conseils en informatique. Fin 2021, la SÉPAQ lance un appel d’offres public pour l’implantation d’un progiciel. Lévio dépose sa soumission qui contient deux enveloppes (qualité et prix).

Or, un dirigeant et actionnaire de Lévio est le conjoint de la directrice des finances de la SÉPAQ, qui a elle-même participé au processus d’appel d’offres. Lévio ne fait aucune démarche pour dénoncer à la SÉPAQ cette situation.

Informée de la situation, la SÉPAQ rejette la soumission de Lévio sans même ouvrir la soumission qu’elle a déposée :

[7] Le 16 mars 2022, la SEPAQ informe LÉVIO qu’elle « n’a aucun autre choix que de rejeter votre soumission ». La Décision souligne l’obligation de la SEPAQ d’agir avec transparence et équité entre les soumissionnaires et de préserver l’intégrité de tous ses processus d’appel d’offres de manière à respecter les principes directeurs énumérés notamment à l’article 2 de la Loi sur les contrats des organismes publics. La SEPAQ souligne son obligation de promouvoir la confiance du public dans les marchés publics.

Plusieurs semaines après le rejet de sa soumission, alors que le processus d’appel d’offres est engagé, Lévio dépose une demande d’injonction interlocutoire provisoire pour empêcher l’octroi du contrat et participer à l’appel d’offres.

Il n’est pas aisé d’obtenir un injonction pour suspendre un processus d’appel d’offres ou empêcher l’adjudication d’un contrat pas un organisme public. Ici, au seul motif que Lévio a tardé avant de déposer son injonction, celle-ci doit être rejetée :

[59] Le retard de LÉVIO à agir avec diligence pour présenter sa demande en injonction provisoire, dans les jours suivant la Décision, emporte de graves conséquences. Sa demande provisoire, si elle était accueillie, aurait pour effet de faire déraper le processus actuel d’Appel d’offres, alors que l’adjudication du Contrat n’apparaît qu’une formalité, le prix ajusté des trois soumissionnaires étant connu du Comité.

[60] Dans ces circonstances, malgré l’apparente urgence de la situation, le Tribunal considère que par son retard à agir, LÉVIO a permis que soit créé un état de fait inconciliable avec sa demande en injonction provisoire. Rappelons qu’au moment où elle introduit sa demande en justice le 6 mai 2022, les enveloppes de prix des soumissionnaires étaient ouvertes depuis la veille.

Mais il est particulièrement intéressant de lire les commentaires de la Cour supérieure concernant l’apparence de conflits d’intérêts. En effet, Lévio plaidait n’avoir obtenu aucune information privilégiée malgré la relation conjugale susmentionnée.

Or, la Cour supérieure met l’emphase sur la question de l’apparence de conflit d’intérêts, au cœur de l’intégrité du processus d’appel d’offres, laquelle reste bien présente malgré l’absence alléguée de communication d’informations privilégiées :

[74] La position de LÉVIO gravite sur l’absence d’obtention d’informations de madame Labalette par monsieur Zicat, ainsi que sur le fait qu’il n’ait pas été impliqué dans la préparation de l’offre de service de LÉVIO pour le Projet.

[75] La question de l’apparence de conflit d’intérêts est cependant au cœur de la Décision, laquelle ne remet pas en doute l’honnêteté et l’intégrité de ces deux personnes.

[76] (…). Il s’agit en effet d’une question d’ordre public portant sur l’intégrité du processus d’octroi de contrats publics.

[77] De fait, le Tribunal estime au contraire que l’absence de dénonciation directe par LÉVIO des liens existant entre monsieur Zicat et madame Labalette, jumelée aux circonstances qui ont permis à LÉVIO d’obtenir les échanges de courriels des employés de la SEPAQ renforcent la thèse selon laquelle une apparence de conflit d’intérêts existe.

[78] En somme, sans se prononcer sur le fond, le Tribunal estime que l’apparence du droit de LÉVIO d’obtenir que soit prononcée la nullité de la Décision est, au mieux, douteuse sinon inexistante.

La demande d’injonction interlocutoire de Lévio est donc rejetée et le contrat sera octroyé à un tiers. Est-ce que la dénonciation immédiate par Lévio du conflit d’intérêts en cause aurait entraîné une décision différente?

***

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s