Québec Mérite Mieux c. Ville de Québec, 2022 QCCS 2740
Des citoyens de Québec se sont regroupés afin de demander à la Cour supérieure, par le biais d’une demande d’injonction interlocutoire provisoire, de cesser les travaux préparatoires au projet de tramway de la Ville de Québec. Tel que rapporté par les journaux la semaine dernière, la demande a été rejetée. Voyons pourquoi.
D’entrée de jeu, la Cour supérieure souligne que le projet de tramway est planifié depuis plusieurs années et implique un travail de fond de plusieurs parties prenantes. C’est donc avec beaucoup de circonspection que le tribunal doit intervenir dans un processus qui est avant tout la résultante d’un processus politique et démocratique :
[23] À de nombreuses reprises dans les procédures et lors des plaidoiries, il fut question du choix du mode de transport en commun retenu par l’administration municipale de Québec. Le Tribunal peut comprendre que, dans une société démocratique, tout le monde ne partage pas le même avis. Nous vivons dans une société où le droit à l’expression est reconnu et il en est bien ainsi. Du débat public, règle générale, les décisions collectives risquent de s’améliorer. Mais là n’est pas le rôle du Tribunal.
[24] Le Tribunal n’a pas un rôle de décider s’il s’agit ou pas d’une mauvaise décision prise par un gouvernement; le Tribunal ne doit intervenir que si la décision est illégale. Par exemple, une telle décision sera considérée illégale si elle déborde du cadre légal habilitant ou va à l’encontre des préceptes constitutionnels.
Puis, comme il s’agit d’une demande d’injonction interlocutoire provisoire, la Cour supérieure doit selon les enseignements de la Cour suprême appliquer les quatre critères suivants : l’apparence de droit, le préjudice sérieux ou irréparable, la balance des inconvénients et l’urgence.
L’apparence de droit
Plusieurs griefs sont formulés par les citoyens opposés au projet de tramway. La plupart sont écartés par la Cour supérieure, d’autres sont considérés comme étant suffisamment sérieux pour justifier une certaine apparence de droit, sans que la Cour supérieure ne tranche toutefois au fond de leur mérite.
Comme dans bien des cas, le sort de l’injonction interlocutoire provisoire ne se jouera pas sur ce critère. Les griefs considérés comme étant suffisamment sérieux par la Cour supérieure sont les suivants :
- La loi spéciale intitulée Loi concernant le réseau structurant de transport en commun de la Ville de Québec empêche les citoyens de la Ville de Québec de contester leur avis d’expropriation devant la Cour supérieure, ce qui serait inconstitutionnel. En 2018, la Cour supérieure avait pourtant écarté un tel argument dans le dossier du REM – j’avais fait un résumé de cette décision. Or, un récent renvoi de la Cour suprême pourrait cette fois mener à une décision différente.
- Les demandeurs prétendent que le projet de tramway aurait dû être soumis aux citoyens par un processus référendaire, ce qui n’a pas été le cas. Tout est question d’interprétation d’un article de la loi, soit l’article 74.4 de la Charte de la Ville de Québec. Selon cet article, aucun référendum n’est requis lors de la réalisation de grandes infrastructures. Les demandeurs ne croient pas que le tramway se qualifie comme tel.
La Cour supérieure qualifiera néanmoins l’apparence de droit comme étant douteuse (par. 121), ce qui fait en sorte qu’elle portera une attention particulière aux autres critères.
Le préjudice sérieux ou irréparable
Encore ici, les demandeurs allèguent plusieurs préjudices sérieux ou irréparables que la Cour supérieure écarte puisqu’ils ne sont pas susceptibles de se produire à court terme ou qu’ils ne sont pas appuyés par la preuve requise. Celui qui est jugé comme étant le plus important est la coupe de 26 arbres.
La coupe d’un arbre est souvent l’exemple concret qui me vient en tête lorsque je dois expliquer ce que constitue un préjudice sérieux ou irréparable : une fois l’arbre coupé, il est trop tard et aucun autre remède ne pourra y pallier. Or, selon la Cour supérieure, il semble bien que je devrai trouver un autre exemple :
[117] Il y a toutefois lieu de prendre du recul et reconnaître qu’il s’agit, comme la Loi sur la qualité de l’environnement l’envisage, d’une espèce vivante. Et qui dit «espèce vivante» dit une espèce qui connaîtra inéluctablement une fin. Les plans de reboisement font partie des engagements de la Ville et le Tribunal n’a pas de raison d’en douter. Avec du recul, le dommage n’est pas irréparable.
[118] D’ailleurs, notre Cour, sous la plume de monsieur le juge Wilbrod Claude Décarie, a déjà décidé que les arbres matures d’un club de golf, s’ils étaient coupés et que, sur le fond du litige, les protecteurs de l’environnement avaient raison, il serait possible de replanter des arbres matures. C’est dire que les 26 arbres pourraient être remplacés au besoin. L’abattage des arbres n’est pas un préjudice irréparable.
La Cour supérieure tranche donc qu’il n’y a en l’espèce aucun préjudice sérieux ou irréparable aux travaux préparatoires que les demandeurs cherchent à arrêter.
La balance des inconvénients
Un point central de l’analyse du tribunal est l’importance du projet pour la collectivité. Trois paliers de gouvernement ont posé de multiples gestes pour donner naissance à une infrastructure majeure pour la population. Accorder l’injonction aurait pour effet d’annihiler ces efforts et cette volonté collective:
[127] Dans l’analyse des avantages et désavantages de l’une ou l’autre position, lorsque l’intérêt public est mis en cause, il faut considérer le but visé par le projet: doter Québec d’un réseau de transport structurant. Dans le cadre de la construction contestée d’un pont et d’une autoroute, la Cour d’appel n’a pas hésité à tenir compte de l’intérêt des usagers d’un réseau routier.
Au surplus, les conséquences financières pour le projet seraient majeures :
[130] Plus loin, Monsieur Genest estime que le retard d’un an du chantier du tramway coûterait au bas mot 100 000 000$, sans compter l’effet inflationniste. De plus, si une injonction était émise, la Ville serait appelée à payer des pénalités aux entreprises qui réalisent présentement les travaux préparatoires. L’émission d’une injonction pourrait aussi avoir des conséquences sur la perception qu’auraient des soumissionnaires de classe mondiale dont la présence est nécessaire pour la réalisation d’un projet comme celui du tramway. Ce risque réputationnel pourrait avoir des conséquences sur l’échéancier serré de ce projet.
Sur cet aspect, les similitudes avec une affaire de 2018 que nous avions résumé sur ce blogue sont frappantes : la Ville de Westmount avait tenté, sans succès, d’obtenir l’arrêt des travaux de l’échangeur Turcot par le MTQ. La Cour supérieure avait refusé, notamment au motif que l’arrêt des travaux aurait pour conséquence d’engendrer des dépassements de coûts importants.
L’urgence
La coupe des arbres et les avis d’expropriation pourraient faire en sorte que le critère de l’urgence soit rencontré. Or, aucun des demandeurs n’est propriétaire des arbres qui doivent être coupés, ni propriétaire des immeubles qui devront être expropriés.
Comme il n’y a ni urgence ni préjudice sérieux ou irréparable et que la balance des inconvénients favorise la Ville de Québec, la Cour supérieure rejette la demande d’injonction interlocutoire provisoire.
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