Compétences municipales, Expropriation, Immobilier

Une transaction sans résolution: c’est non!

Tassoni c. Ville de Laval, 2022 QCCS 2800

Les transactions immobilières impliquant des municipalités surviennent de plus en plus fréquemment, qu’il s’agisse d’acheter certains lots ou de procéder à un échange de terrains. Les négociations comportent plusieurs étapes, qui durent parfois plusieurs années. Lorsque ces négociations n’aboutissement pas, des municipalités ont été poursuivies, notamment en vue d’établir la ratification d’une entente conclue avec des fonctionnaires (Ville de Québec c. GM Développement Inc.) ou encore pour lui réclamer des dommages-intérêts parce que la municipalité avait rejeté une offre d’achat d’immeubles (Groupe TRRIA/Towers Development Inc. c. Ville de Montréal). Dans un cas comme dans l’autre, les tribunaux ont rejeté les procédures intentées contre les municipalités.

La présente affaire s’inscrit dans cette lignée, alors qu’un groupe de propriétaires immobiliers poursuit une ville afin que soit homologuée une transaction conclue entre eux, en l’absence d’une résolution adoptée par le conseil municipal.

En 2016, la Ville de Laval (« Ville ») se montre intéressée à acquérir trois lots appartenant aux demandeurs Tassoni (« Demandeurs »). Des négociations sont entreprises et des projets d’actes d’échange des terrains sont communiqués de part et d’autre.

En 2018, à la suggestion de Demandeurs, la Ville intente des procédures en expropriation, dont le résultat serait plus favorable aux Demandeurs au plan fiscal. Des négociations se poursuivent entre les parties.

Préalablement à l’institution des procédures, le conseil municipal, adopte une résolution aux termes de laquelle il autorise le Service des affaires juridiques (« SAJ »): 1) à procéder à « l’acquisition de gré ou gré ou par voie d’expropriation » des trois lots et 2) pour entreprendre des procédure en expropriation, déposer une indemnité provisionnelle requise par la Loi et d’offrir aux expropriés la valeur établie par le Service de l’évaluation de la ville.

Le 21 juin 2019, la Ville, par son avocate, transmet à l’avocat des Demandeurs l’offre d’indemnité et la dépose aux dossiers d’expropriation conformément aux articles 46 et 64 de la Loi sur l’expropriation. L’article 46 requiert que l’expropriant et l’exproprié déposent au dossier « une déclaration indiquant en détail le montant que l’un offre et l’autre réclame, suivant le cas. » L’article 64 permet à l’expropriant d’offrir à l’exproprié «un autre immeuble lui appartenant et pouvant servir à rétablir la situation de l’exproprié.» En l’espèce, la Ville offre aux Demandeurs « pour tenir lieu d’expropriation finale, un terrain substitut. »

L’avocate de la Ville indique qu’un projet d’acte suivra et, de part et d’autre, il est clair que le contenu de l’acte devra être approuvé par les parties. Ce n’est toutefois qu’en octobre 2019 que l’avocate de la Ville achemine le projet d’acte d’échange à l’avocat des Demandeurs. Elle a ajoute que si les Demandeurs approuvent l’acte, celui-ci devra faire l’objet des approbations requises des autorités de la Ville.

En février 2020, après avoir conclu une entente de principe concernant le contenu de l’acte d’échange, l’avocat de Demandeurs écrit à l’avocate de la Ville que le projet paraît acceptable, sous réserves des commentaires suivants: 1) les Demandeurs ne devraient fournir que la garantie quant à leurs titres; 2) la renonciation au droit de reprise ne paraît pas indiquée; 3) la disposition relative au droit de préemption devrait être retirée et 4) aucun droit de mutation ne devrait être payable.

Le 3 mars 2020, à la suite de nouvelles discussions entre avocats, les Demandeurs déposent aux dossiers d’expropriation la «Réclamation détaillée des parties expropriées» (selon l’article 46 de la Loi sur l’expropriation), qui doit être considérée comme une partie d’un tout qui devra inclure l’acte d’échange à être finalisé.

L’avocate de la Ville conteste la validité de la démarche des Demandeurs, puisque d’une part, l’entente totale n’est pas encore conclue entre les parties et d’autre part, parce que celle-ci doit être approuvée par les autorités compétentes.

Après avoir mis en demeure la Ville, les Demandeurs intentent contre elle une poursuite en homologation de transaction, par laquelle ils exigent que le projet d’acte accepté en février 2020 soit signé, tout en tenant compte de leurs commentaires.

Après avoir rappelé les termes des articles 2631 et 2632 C.c.Q., le juge Brossard résume ainsi les éléments constitutifs d’une transaction:

La jurisprudence résume ainsi les éléments essentiels d’une transaction:

– Elle doit avoir pour objectif de mettre fin à un litige existant ou de prévenir un litige anticipé entre les parties;
– Elle doit être le résultat de concessions ou de réserves réciproques; et
– Il doit y avoir entente sur les éléments essentiels de ce sur quoi les parties transigent.

Il conclut que les conditions d’une transactions ne sont pas respectées, pour les raisons suivantes.

Indivisibilité de la transaction

De l’avis du tribunal, pour être conclue, la transaction nécessite non seulement une entente sur le principe même de l’échange de terrains, mais également une entente sur les termes de l’acte d’échange. Les commentaires ajoutés au projet d’acte d’échange par l’avocat des Demandeurs dans sa communication à l’avocate de la Ville et l’attente de la réponse de la Ville à leur sujet constitue la preuve qu’il n’existe pas un accord de volonté sur l’échange des terrains.

Absence d’entente sur les éléments essentiels de l’acte d’échange

À la suite de la réception du projet d’acte d’échange en octobre 2019, les discussions se sont poursuivies entre les parties et en février 2020, les Demandeurs n’acceptent pas les termes du projet présenté par la Ville: ils demandent que certaines modifications soient apportées.

Les Demandeurs jugent mineures les modifications proposées à l ‘acte d’échange; cependant, le tribunal ne partage pas du même avis. Au moment de présenter ces modifications à l’avocate de la Ville, l’avocat des Demandeurs prend le soin de préciser qu’il attendra qu’elle lui communique la position de sa cliente à l’égard des modifications.

La transaction ne met pas fin au litige

Par ailleurs, le juge poursuit en ajoutant que même si un accord de volonté était intervenu entre les parties sur l’échange des terrains et sur le contenu de l’acte d’échange, il n’aurait pas homologué la transaction puisque celle-ci ne met pas fin au litige entre les parties.

Pour donner suite à la transaction, les Demandeurs requièrent que soit signé l’acte présenté par la Ville en octobre 2019 avec les modifications proposées. Or, si cette conclusion est accueillie, les parties devront tout de même, préalablement à la signature de l’acte, attendre de connaître la position de la Ville au sujet des modifications proposées.

Consentement de la Ville

Au surplus, le juge poursuit son analyse en ajoutant que même s’il y avait eu une entente entre les représentants des parties, tant sur l’échange que le contenu de l’acte d’échange, cela ne suffit pas pour conclure à l’existence d’une transaction entre les Demandeurs et la Ville.

[95] L’échange de terrains et l’acte d’échange sont donc toujours restés soumis à la nécessité d’une acceptation finale de la Ville, dans le respect des formalités d’ordre public exigées par la loi, (…).

[96] De plus, outre que le mandat apparent n’existe pas en matière municipale, les Tassoni ne peuvent présente avoir été induits en erreur par le Services des affaires juridiques ou par l’avocate mandatée par celui-ci, ou autrement avoir été amenés à croire qu’une entente ou une transaction pouvait intervenir sans une approbation finale de la Ville par résolution conforme aux exigences de la loi. (…)

[97] Il est à propos de conclure ce point en citant la Cour suprême du Canada, dans Montréal (Ville) c. Octane Stratégies Inc.:

a) Le consentement en droit municipal

[52] Comme nous l’avons mentionné, les municipalités sont assujetties aux règles du C.c.Q., mais les lois particulières qui les constituent et qui les régissent peuvent modifier ou déroger à ces principes de droit commun (art. 300 C.c.Q.). Il importe donc de cerner de quelle façon les municipalités peuvent exprimer leur volonté d’être liée par un contrat en vertu des règles de droit municipal applicables.

[53] Suivant les règles de droit public, la résolution et le règlement sont les véhicules juridiques par lesquels une municipalité, par l’entremise de son organe décisionnel qu’est le conseil municipal, exprime sa volonté de même que ses décisions […]. Il s’agit des principes énoncés aux art. 47 et  350 L.C.V., lesquels prévoient respectivement que la municipalité est représentée et ses affaires administrées par son conseil, et que les règlements, résolutions et autres ordonnances municipales doivent être adoptés par le conseil en séance […].

(…)

[55]  L’objectif poursuivi par ces règles est clair : elles visent à préserver et à protéger l’intérêt collectif des contribuables tout en empêchant que n’importe qui ne puisse dilapider des fonds publics au nom d’une municipalité […]. Cette réalité explique d’ailleurs pourquoi la théorie du mandat apparent en droit civil ne s’applique pas en matière municipale […] La protection de l’intérêt des contribuables exige de fait que le consentement d’une municipalité soit assujetti à des conditions plus strictes que celles prévues au C.c.Q. L’apparence de consentement ne suffit pas; le silence de la municipalité ne permet pas non plus de déduire que celle-ci a manifesté son accord […].
(Références omises; soulignement ajouté.)

Conclusion

Bref, les conditions requises pour qu’une transaction soit conclue avec une municipalité passent d’abord par l’application des principes de base prévus au Code civil, tout en respectant les exigences prévues par la Loi sur les cités et villes. (ou par le Code municipal).

En termes de droit municipal, cette décision est de nature à rassurer les municipalités puisque les tribunaux ne semblent pas vouloir donner à l’arrêt Octane Stratégies Inc. une portée de nature à réduire l’importance des règles fondamentales du consentement municipal, qui doit s’exprimer un règlement ou une résolution adoptée par le conseil élu.

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