Lauzon Foresterie (Fiducie) c. Municipalité de L’Ange-Gardien, 2022 QCCS 2721
La diversification des revenus municipaux est une question on ne peut plus d’actualité (à Montréal, comme en région), dans le contexte où les municipalités cherchent à réduire leur dépendance à la taxe foncière, qui incite à l’étalement urbain.
Il n’est donc pas étonnant que plusieurs municipalités se prévalent des nouveaux pouvoirs de taxation qui leur ont été octroyés en 2017 par la Loi visant principalement à reconnaître que les municipalités sont des gouvernements de proximité et à augmenter à ce titre leur autonomie et leurs pouvoirs (projet de loi 122), donnant lieu à des contestations.
Nous avions d’ailleurs traité sur ce blogue de l’arrêt rendu par la Cour d’appel dans l’affaire Plessis-Panet inc. c. Ville de Montréal, portant sur la contestation d’une taxe sur les parcs de stationnement. Nous vous y référons pour un résumé des conditions de validité imposées par la loi lors de l’exercice de ces nouveaux pouvoirs.
Dans une décision rendue le mois dernier, la Cour supérieure rejette la contestation de règlements imposant des taxes sur les terrains vacants et confirme l’importante marge de manœuvre dont disposent les municipalités, sous réserve du respect des conditions imposées par la loi.
Les demandeurs invoquaient deux arguments principaux pour attaquer la validité de la taxe : l’absence d’habilitation législative, notamment en raison de l’incompatibilité du nouveau pouvoir de taxation avec le régime de taxation des terrains vagues desservis et non desservis prévu par la Loi sur la fiscalité municipale, ainsi que le caractère discriminatoire découlant des exemptions prévues par les règlements.
Les règlements attaqués
Le juge résume ainsi l’objet des règlements attaqués et le contexte de leur adoption :
[1] En 2018, affectée par une hausse de 10 % de sa quote-part payable à la MRC des Collines-de-l’Outaouais, la Municipalité de l’Ange-Gardien cherche à réduire sa dépendance à la taxe foncière générale et ainsi diversifier son assiette fiscale.
[2] Dans cette optique, la Municipalité se prévoit des nouvelles dispositions de l’article 1001.1 du Code municipal du Québec (Code municipal) en adoptant, le 13 décembre 2018, le Règlement 2019-04 sur la taxation des immeubles vacants.
[3] Le Règlement 2019-04 est abrogé et remplacé le 17 décembre 2020 par le Règlement 2021-004, lequel, pour sa part, sera abrogé par le Règlement 2021-005, le 6 avril 2021.
[4] L’objet principal de ces trois règlements porte sur l’imposition d’une taxe visant exclusivement les propriétaires d’immeubles vacants de 10 acres ou plus. Les règlements exemptent notamment de leur application les lots vacants utilisés à des fins de carrière ou de sablière et ceux situés en zone agricole au sens de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles.
[5] Le montant de la taxe s’établit à 5 $ l’acre pour l’année 2019, à 5,14 $ l’acre pour l’année 2020 et à 4,435 $ l’acre pour l’année 2021. Le taux de taxation est indexé en fonction de l’évolution de l’indice des prix à la consommation pour le Québec, comme établi par Statistique Canada pour les années subséquentes à 2021.
La taxe n’est pas incompatible avec la Loi sur la fiscalité municipale
Le juge traite premièrement de l’argument des demandeurs voulant que la taxe soit incompatible avec le régime de taxation des terrains vagues desservis et non desservis prévu par la Loi sur la fiscalité municipale (« LFM ») :
[33] Selon Lauzon, puisque la LFM prévoit déjà le pouvoir de taxer les terrains vagues en vertu d’un taux de taxation particulier dont la base est la valeur de l’immeuble portée au rôle d’évaluation, le régime de l’article 1000.1 du Code municipal, qui prévoit une taxation sur la superficie de l’immeuble, serait complémentaire aux dispositions impératives de la LFM.
[34] Pour les motifs énoncés ci-après, le Tribunal conclut que cette prémisse est erronée. Les règlements attaqués ne sont pas incompatibles avec les autres moyens plus traditionnels de taxation qui sont disponibles aux municipalités, puisqu’ils prévoient des taxes dont les objets sont distincts et indépendants.
[35] Dans l’affaire Plessis-Panet inc. précitée, la Cour d’appel a conclu que le législateur a créé un nouveau régime « complet et autonome » de taxation directe par l’adoption de l’article 500.1 de la Loi sur les cités et villes.
[36] Or, cette disposition législative est identique à l’article 1000.1 du Code municipal et elle a été adoptée pour les mêmes motifs, soit notamment dans l’objectif de doter les villes et les municipalités d’une nouvelle source de revenus généraux afin de leur permettre de diversifier leurs revenus et de renforcer leur autonomie.
[37] Dans ces circonstances, comme le confirme la Cour d’appel, il n’y a pas lieu de recourir aux règles de la LFM en matière de tarification dans le but d’analyser la validité des règlements attaqués, puisqu’il s’agit d’un régime de taxation spécifique, indépendant des autres grandes familles de taxation traditionnelles, dont fait notamment partie la LFM.
[38] Qui plus est, les règlements attaqués ne visent pas à taxer les terrains vagues sur la base de la valeur imposable de l’unité d’évaluation, comme le prévoit la LFM, mais bien sur la base de la superficie des immeubles visés. Les nouvelles taxes dont s’est dotée la municipalité sont ainsi distinctes de celles que lui octroie la LFM.
La taxe est conforme aux conditions imposées par la loi habilitante
Le juge analyse ensuite la conformité de la taxe attaqués aux conditions de validité prévue par la loi, notamment le fait qu’il doit s’agir d’une taxe directe (par opposition à une taxe indirecte, qui est imposée à une personne dans l’expectative qu’elle soit transférée à une autre) :
[45] Dans le dossier à l’étude, il ne fait aucun doute que les prélèvements exigés par la Municipalité sur les immeubles vacants de plus de 10 acres satisfont à tous les critères pour être considérés comme une taxe. En effet, ces prélèvements sont :
1) Exigés par la loi (Règlement 19-04 et Règlement 2021-005) ;
2) Imposés sous l’autorité de la législature (art. 1000.1 du Code municipal) ;
3) Perçus par un organisme public (la Municipalité de L’Ange-Gardien) ;
4) Adoptés pour une fin d’intérêt public (financer le fonds général de la Municipalité).
[46] Au surplus, les prélèvements découlant des deux règlements en litige se qualifient comme une taxe directe. « La taxe directe est celle que l’on exige de la personne même qui doit l’assumer », par opposition avec une taxe indirecte « qu’on exige d’une personne dans l’expectative et l’intention que celle-ci se fasse indemniser par une autre ».
[47] La jurisprudence confirme également qu’une taxe sur la propriété constitue une taxe directe, et ce, même si un contribuable peut tenter de la transférer à une tierce partie. C’est l’objectif général d’une taxe qui la définit et non pas son incidence dans le cadre de circonstances particulières.
[48] En résumé, les règlements 2019-04 et 2021-005 satisfont à tous les critères de validité fixés par l’article 1000.1 du Code municipal, en ce qu’ils identifient l’objet des taxes, leur taux ainsi que leur moyen de perception.
[49] Les taxes en litige ne portent par ailleurs sur aucune des exclusions mentionnées à l’article 1000.1 du Code municipal.
Les exemptions ne rendent pas la taxe discriminatoire
Finalement, le juge se penche sur le caractère discriminatoire ou non des règlements attaqués, découlent des limitations et exemptions qui y sont prévus. Rappelons qu’on parle ici de discrimination au sens du droit administratif (et non des chartes des droits et libertés), c’est-à-dire qu’un règlement doit traiter de la même façon des personnes ou des situations identiques, à moins que la loi habilitante autorise, explicitement ou implicitement, à faire des distinctions (par exemple en matière de zonage).
Dans notre affaire, la loi autorise explicitement la municipalité à créer des exemptions, qui doivent être raisonnablement justifiées à l’aulne des objectifs visés par la taxe :
[64] Comme le souligne à juste titre Lauzon, un règlement municipal doit être général et uniforme d’application sur son territoire. En revanche, il lui est possible d’effectuer des distinctions entre les différentes catégories, lorsque la loi habilitante l’y autorise.
[65] Or, le pouvoir d’exempter les taxes attaquées à certains immeubles est expressément prévu par l’article 1000.1 al. 5 (° 1) du Code municipal.
[…]
[67] Encore faut-il que la municipalité puisse justifier raisonnablement l’exonération de la taxe. C’est ce que la preuve retenue par le Tribunal confirme, comme il appert des motifs qui suivent.
[68] Quant à la limitation de la taxe aux immeubles de plus de 10 acres, la preuve administrée par la défenderesse, laquelle n’est pas contestée, démontre que l’application des règlements aux terrains de moins de 10 acres viendrait à percevoir une taxe de moins de 50 $ par terrain. Le conseil municipal a déterminé que la saine administration des deniers publics municipaux justifie amplement cette distinction. Cela est loin de représenter une décision déraisonnable.
[69] Quant à l’exemption de la taxe à certains secteurs de la Municipalité, il appert que les seules zones où des immeubles vacants de plus de 10 acres existent se trouvent i) dans les zones agricoles (AG) et ii) d’extraction prioritaire (EXA).
i) Zones agricoles (AG)
[70] Quant aux zones agricoles, Lauzon plaide que certains terrains situés dans des zones agricoles sont majoritairement constitués de terres forestières, comme les siennes. Elle prétend ainsi que l’exemption pour ces terres agricoles est discriminatoire.
[71] Il se peut en effet qu’à première vue cette exemption paraisse inéquitable, puisqu’elle touche des terres de nature similaire. Toutefois, la décision d’exclure les zones agricoles de l’application des règlements attaqués s’appuie sur un raisonnement adéquat. La Municipalité a décidé de les exempter de la taxe afin de ne pas accroître le fardeau fiscal des agriculteurs, et ce, afin de favoriser la redynamisation de ce secteur de l’économie.
[72] Ainsi, bien que la comparaison directe entre les deux zones cause une certaine iniquité, celle-ci doit s’apprécier « de manière horizontale entre les contribuables visés », c’est-à-dire que tous les propriétaires de terrains vacants de 10 acres et plus « possédant les mêmes caractéristiques et situés dans le secteur spécifié aux Règlements sont traités de la même façon ».
[73] En conséquence, la décision du conseil municipal d’exclure de l’application de ses règlements les terres agricoles, même si celles-ci peuvent inclure des secteurs forestiers, satisfait au critère de la décision raisonnable.
ii) Zones d’extraction prioritaire (EXA)
[74] Quant aux zones d’extraction prioritaire, elles sont déjà taxées en vertu du fonds pour les carrières et sablières établi en vertu de la Loi sur les compétences municipales.
[75] Les exclusions semblent donc ainsi dûment justifiées et ne sont pas déraisonnables. En effet, le fait de vouloir éviter une hausse importante de l’impôt foncier de l’ensemble des résidents de la Municipalité constitue une considération raisonnable pour un conseil municipal.
En conclusion
Cette décision confirme l’importante marge de manœuvre dont disposent les municipalités dans l’exercice des nouveaux pouvoirs de taxation, qui ne sont limités que par les conditions prévues par la loi habilitante et les principes généraux du droit administratif (absence de caractère arbitraire, discriminatoire ou déraisonnable). Ces principes seront appliqués avec la déférence habituellement accordée aux conseils municipaux à l’égard de leurs décisions politiques.
Sous réserve du respect des conditions prévues par la loi et d’une justification raisonnable des exemptions accordées, les municipalités pourront donc se prévaloir de ce nouveau pouvoir en toute confiance.