Aménagement et urbanisme, Droits et libertés

La liberté de religion ne confère pas le droit de séjourner à proximité d’une station de ski

Organisation de la jeunesse Chabad Loubavitch c. Ville de Mont-Tremblant, 2022 QCCA 1331

Les droits et libertés prévus dans les chartes peuvent constituer un puissant outil juridique pour contester les règlement municipaux. Nous avons déjà analysé sur ce blogue, par exemple, la contestation de règlements limitant l’affichage ou la distribution de matériels publicitaires sur la base de la liberté d’expression. Ici, la liberté de religion est opposée au règlement de zonage de la Ville de Mont-Tremblant, dans une affaire ayant eu un écho médiatique important.

Le règlement de zonage de la Ville de Mont-Tremblant

Le règlement de zonage de la Ville de Mont-Tremblant prévoit la zone TO 820, laquelle délimite essentiellement le centre de villégiature Tremblant. Ce dernier offre à sa clientèle de nombreuses activités de loisirs dont le ski et le golf, plusieurs hôtels, un grand nombre de copropriétés résidentielles, un casino, etc. Dans cette zone, l’usage « Bâtiment de culte » est prohibé.

L’usage « Bâtiment de culte » ne fait pas l’objet d’une prohibition totale sur le territoire de la Ville de Mont-Tremblant, étant autorisé à plusieurs autres endroits. Le nœud de l’affaire est cependant que les membres de la communauté juive orthodoxe ne peuvent se déplacer dans une automobile ou autre véhicule autopropulsé le jour du Sabbat. Ils ne peuvent donc séjourner au centre de villégiature sans qu’une synagogue ne soit aménagée dans le voisinage (où ils pourront s’y rendre en marchant).

Il n’est pas contestée qu’une synagogue a été aménagée dans la la zone TO 820 en contravention du règlement de zonage, sans faire les vérifications préalables. C’est lorsque l’appelante a reçu un constat d’infraction qu’elle a contesté l’opposabilité du règlement de zonage à son endroit, étant d’avis qu’il est discriminatoire (liberté de religion) et qu’il porte atteinte au droit à l’égalité. Cette synagogue est fréquentée à 80% par des touristes en vacances au centre de villégiature.

Une atteinte à la liberté de religion?

Il est utile de mentionner que les juges de la Cour municipale et de la Cour supérieure avaient déterminé que le règlement de zonage ne portait pas atteinte à la liberté de religion.

Selon le juge Sansfaçon, il s’agit cependant d’une atteinte à la liberté de religion qui n’est pas insignifiante ou non négligeable, ce qui constitue le test applicable en la matière :

[37] En l’espèce, rien ne permet de conclure que la Ville aurait tenté d’imposer par son Règlement de zonage des obstacles inutiles à l’exercice des libertés religieuses de l’appelante ou de ses membres et, comme nous le verrons plus loin, les limites imposées par le Règlement l’ont été dans un but légitime et spécifiquement permis par la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme. De plus, comme l’écrit le juge LeBel dans Congrégation des témoins de Jéhovah, reprenant en cela les remarques du juge Dickson dans Edwards Books : « les Églises et leurs membres ne sont pas dispensés de tout effort, voire de tout sacrifice, notamment pour l’exercice de la liberté de culte ». Malgré cela, l’effet pratique du Règlement est de limiter l’accès à certaines activités et à certains établissements hôteliers le jour du Sabbat puisque les membres de l’appelante ne peuvent alors accéder à une synagogue s’ils choisissent de respecter les préceptes de leur religion. Il s’agit là d’une atteinte qui menace une croyance religieuse que je ne peux qualifier de « non négligeable » ou « insignifiante », seuil que l’appelante devait franchir afin d’opérer le renversement du fardeau de la preuve.

Or, pour les juges Cotnam et Doyon de la Cour d’appel, l’appelante n’a pas démontré une atteinte à la liberté de religion, ce qui suffit donc à rejeter le pourvoi :

[102] J’estime que le fait de ne pas pouvoir profiter de toutes les options d’hébergement disponibles ou de devoir se déplacer à la Station ne constitue pas une entrave non négligeable à la liberté de religion. Il s’agit certes d’un désagrément ou d’une contrainte additionnelle pour les personnes souhaitant profiter des services offerts par l’appelante, mais le fait que cette contrainte rende possiblement moins agréable leur séjour ne suffit pas à établir que le Règlement est discriminatoire ou qu’il compromet, de façon non négligeable, l’exercice de leur liberté de religion.

L’atteinte à la liberté de religion est-elle justifiée?

Le juge Sansfaçon, ayant conclu à une atteinte à la liberté de religion, doit poursuivre son analyse afin de déterminer si cette atteinte peut être justifiée (selon le test de Oakes). La Ville de Mont-Tremblant doit alors prouver, selon la balance des probabilités, que la violation est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans le cadre d’une société juste et démocratique.

Pour y arriver, la Ville de Mont-Tremblant doit satisfaire à deux exigences : (1) l’objectif législatif poursuivi doit être suffisamment important pour justifier la restriction de la liberté de religion et (2) les moyens choisis doivent être proportionnels à l’objectif en question. En l’espèce, le test de Oakes amène le juge Sansfaçon à émettre des commentaires éclairants sur les objectifs d’un règlement de zonage :

[47] Dans Congrégation des témoins de Jéhovah, le juge LeBel précise que les limites édictées par un règlement de zonage sont nécessaires « à la préservation de la sécurité et de l’ordre au sein de la municipalité et au bon usage de son territoire ». De façon similaire, notre Cour écrivait dans Mascouche (Ville de) c. Thiffault :

À l’époque du libéralisme économique du 19e siècle, le droit de propriété était conçu comme un droit absolu. Les choses ont bien évolué depuis: les notions d’intérêt commun, de développement harmonieux, de qualité de la vie et d’environnement – alors inconnues – sont maintenant au centre des préoccupations des citoyens et font l’objet d’une abondante législation et réglementation publique.

[…]

Les tenants de l’interprétation restrictive semblent opposer le droit de propriété d’un individu à celui d’un organisme désincarné et lointain, alors que le zonage est édicté au profit de tous, et chacun des divers propriétaires d’une zone et l’usage illégal par l’un s’exerce généralement au détriment du droit des autres.

[48] On comprend donc que l’ensemble de cette réglementation, tant locale que régionale, a pour but d’encadrer et de contrôler les usages sur le territoire de la municipalité, le tout dans l’intérêt public.

(…)

[56] La particularité de l’espèce découle du fait que la croyance à laquelle le Règlement porte atteinte est en porte-à-faux avec l’objet même du Règlement, le zonage. Le zonage est un outil de contrôle du territoire par la répartition géographique, c’est-à-dire par zone ou secteur de zone, des usages. En l’espèce, le Règlement identifie les secteurs où l’usage Bâtiment de culte pourra être exercé. Le choix de tels emplacements implique l’analyse de plusieurs facteurs, dont le fait qu’un tel usage entraîne généralement un certain achalandage qui requiert l’aménagement d’un nombre suffisant de cases de stationnement et des espaces pour circuler, un certain niveau de nuisance pour le voisinage, etc. L’intimée est un gouvernement de proximité. Connaissant le mieux les particularités de son territoire et les enjeux de son développement, les membres de son conseil, appuyés par le comité consultatif d’urbanisme et par les membres du département d’urbanisme, sont les mieux placés, et le sont certainement mieux que le tribunal, afin d’évaluer l’opportunité d’autoriser un usage à un endroit plutôt qu’à un autre et sa compatibilité avec les autres usages de la zone. En l’espèce, le Règlement ne permet pas l’usage dans la zone où l’appelante a aménagé sa synagogue. Sa demande de modifier le Règlement afin de l’autoriser a été analysée par l’intimée et a été refusée.

Pour l’appelante, il n’est pas justifié d’interdire une synagogue dans la zone en litige alors que d’autres usages qui sont autorisés peuvent avoir des impacts similaires (ex : un casino). Or, selon le juge Sansfaçon, cet argument s’accommode mal avec la nature même d’un règlement de zonage :

[53] Le deuxième argument de l’appelante, qui est qu’il n’existe aucun objectif légitime à interdire sa synagogue étant donné que l’intimée permet des usages tout aussi nuisibles dans la zone, est sans fondement. D’abord, l’argument minimise au point d’ignorer la raison d’être de toute réglementation d’urbanisme, qui est la planification des usages actuels et de ceux susceptibles d’être exercés sur l’ensemble du territoire municipal afin d’en assurer le développement harmonieux. Accepter l’argument de l’appelante reviendrait à dire que dès qu’un usage attentatoire à la tranquillité des lieux est permis dans une zone, alors la municipalité devrait y autoriser tous les autres usages aussi attentatoires, ce qui reviendrait à réduire à néant les efforts de planification déployés par la municipalité et y substituer une réglementation fondée uniquement sur la catégorisation des usages en fonction de leur niveau de nuisance.

Soulignons en terminant que cette affaire s’inscrit dans un contexte particulier. Tel que mentionné, 80% des fidèles qui fréquentent cette synagogue sont des vacanciers. Le résultat serait peut-être différent si une réglementation municipale restreignait la possibilité à des membres de la communauté juive orthodoxe d’accéder à une synagogue à proximité de leur domicile :

[69] Il est important de souligner que cette question, qui vise à déterminer si le Règlement aurait pu être rédigé de façon à atteindre son objectif tout en étant moins attentatoire aux droits religieux de l’appelante, doit être tranchée dans son contexte particulier. Ce contexte prouvé veut que les fidèles qui fréquentent la synagogue en litige choisissent de séjourner à Tremblant de façon temporaire et à des fins de loisirs, ce qui les distingue de celui où des personnes de confession juive orthodoxe ou hassidique revendiquent le droit de construire ou aménager une synagogue à distance de marche de leur domicile. En l’espèce, tous les fidèles qui fréquentent la synagogue en litige ont accès à une synagogue située près de leur domicile. Ce qu’ils revendiquent aujourd’hui, c’est de faire déclarer le Règlement inopposable à leur égard de façon à ce qu’ils puissent avoir accès à une synagogue là où ils ont choisi de séjourner pendant le Sabbat à des fins de loisirs ou autres fins similaires.

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