Compétences municipales, Droits et libertés, Règlement

Limites à la distribution des Publisacs: analyse de la victoire judiciaire de Mirabel

Médias Transcontinental c. Ville de Mirabel, 2022 QCCS 1350

Le 20 avril dernier, la victoire judiciaire de la Ville de Mirabel contre Médias Transcontinental, laquelle est propriétaire de Publisac, faisait grand bruit. La décision de 50 pages de la Cour supérieure confirmait la validité d’un règlement municipal qui empêche la distribution de Publisacs à tous les Mirabellois (c’est le bon gentilé, j’ai cherché!) qui n’ont pas explicitement demandé à recevoir le Publisac en apposant un autocollant vert à cet effet sur leur résidence (opt-in). Ce règlement écarte la pratique antérieure, laquelle était de distribuer un Publisac à tous les résidents, sauf ceux ayant apposé un autocollant rouge (opt-out).

On comprend de la lecture du jugement que les parties étaient représentées par des avocats chevronnés et qu’une preuve détaillée a été présentée au juge Lalonde, j.c.s. Alors que Médias Transcontinental mettait l’emphase sur les bénéfices économiques des Publisacs (création d’emplois, visibilité pour les commerçants locaux, etc.), les élus et employés de la Ville de Mirabel ont plutôt souligné les dommages pour l’environnement, notamment une quantité impressionnante de matières résiduelles qui doit être traitée, ainsi que les problèmes de salubrité en lien avec les imprimés publicitaires qui s’éparpillent au vent.

Je vais traiter dans ce billet de deux arguments soulevés par Médias Transcontinental pour contester le règlement en litige, soit que celui-ci est déraisonnable et qu’il contrevient à la liberté d’expression. Au cœur de cette décision se trouve l’enjeu de la protection de l’environnement, qui se taille une place de plus en plus centrale dans les activités municipales.

Le règlement de Mirabel est-il déraisonnable?

À bon droit, la Cour supérieure débute son analyse en soulignant qu’elle doit faire preuve de retenue puisque le règlement a été adopté par des élus municipaux qui sont les représentants légitimes des citoyens qu’ils représentent. Comme les compétences municipales pour intervenir en l’espèce ne font aucun doute (compétences municipales en matière d’environnement, de gestion des matières résiduelles, de distribution d’imprimés, etc.), le tribunal ne peut simplement substituer son opinion à celle des élus relativement à l’opportunité ou le contenu d’un règlement. Il n’agira que dans la mesure où le règlement est déraisonnable, ce qui n’est pas le cas du règlement en litige :

[208] Dans l’éventualité selon laquelle les citoyens qui choisissent de recevoir les imprimés publicitaires sont dispersés sur un territoire éclectique, il en découle que la tâche des distributeurs deviendra plus complexe et ardue. Cet inconvénient ne surpasse certainement pas l’avantage pour Mirabel de pouvoir amoindrir la gestion des matières résiduelles, de réduire le gaspillage de papier, d’améliorer la propreté en évitant que les citoyens(nes) reçoivent contre leur gré d’innombrables imprimés publicitaires qui se retrouvent fréquemment jetés directement au recyclage sans séparer le plastique du papier ou éparpillés dans la nature. En ce sens le règlement 2326, correctement appliqué, devient un projet collectif axé sur l’intérêt public.

[209] Mirabel a choisi d’ajouter une dimension plus moderne en accordant à sa population l’opportunité de choisir ce qu’elle veut véritablement recevoir comme imprimés publicitaires dans un contexte de sensibilisation à la protection de l’environnement. Le gaspillage des ressources, la propreté, la modernité des moyens alternatifs de communication et de publicité sont au cœur des préoccupations collectives contemporaines et actuelles, Mirabel n’y échappe pas et MTC devait y souscrire. Le règlement 2326 s’inspire de ces facteurs, impossible de conclure que les considérations de Mirabel seraient non pertinentes, de mauvaise foi ou qu’elles résultent de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire dans un but incorrect.

À ce stade, je ne peux m’empêcher de constater les similarités entre le présent jugement et un autre jugement que nous avions résumé sur notre blogue et qui mettait en cause la validité d’un règlement municipal empêchant l’utilisation de pesticides sur son territoire. Celui-ci avait également été jugé valide.

On notera que lors du procès, les représentants de Mirabel (autant les élus que les employés concernés) ont, dans les faits, été appelés à justifier l’opportunité et la portée du règlement en litige. Les représentants de la Ville de Mirabel ont dû témoigner sur plusieurs éléments comme les plaintes citoyennes, les consultations préalables, la quantité de matières résiduelles générée par les imprimés publicitaires, etc. Ainsi, même si les tribunaux ne doivent pas s’immiscer dans le travail réglementaire, on voit en pratique que les municipalités ont avantage à documenter et préparer leur dossier afin de faciliter un éventuel procès où leur travail sera scruté par la partie adverse.

Le règlement de Mirabel contrevient-il à la liberté d’expression?

Nous avons eu l’opportunité de discuter à quelques reprises sur ce blogue des limites au pouvoir réglementaire des municipalités qui sont dictées par la liberté d’expression, un droit protégé par les chartes (ici et ici). Il n’est pas en litige que la liberté d’expression commerciale existe en droit canadien, même si les tribunaux lui conféreront souvent une protection moindre que la liberté d’expression politique, par exemple.

En l’espèce, Médias Transcontinental plaide que la distribution du Publisac est une mise en œuvre de la liberté d’expression commerciale, permettant aux consommateurs de faire des choix économiques éclairés. Ceci étant dit, le fait qu’un règlement municipal porte atteinte à un droit protégé par les chartes n’est pas fatal à sa validité. Cette atteinte peut être jugée comme étant raisonnable et justifiable, en application d’un test développé par la Cour suprême :

[237] La liberté d’expression n’est pas un droit absolu, elle n’est pas à l’abri de toute forme d’entrave et comporte des limites intrinsèques qui tiennent en compte des enjeux plus généraux d’ordre social, économique, environnemental et politique. Médias Transcontinental n’est pas à l’abri de tout sacrifice ou de tout compromis dans l’exercice de son droit à la libre expression si dans la balance d’autres enjeux sociétaux l’exigent.

Aux paragraphes 223 à 287 de la décision, la Cour supérieure analyse la question à savoir si le règlement en litige porte atteinte de façon injustifiable à la liberté d’expression commerciale. Sans entrer dans le détail de chacune des étapes du test juridique en cause, soulignons les passages suivants de la décision qui sont particulièrement éclairant :

[252] Cela a été dit, le mode restrictif du « opt-in » instaure une présomption à l’effet que la majorité des citoyens de Mirabel ne veulent pas recevoir les imprimés publicitaires, notamment ceux inclus dans le Publisac. Mirabel est convaincue que la portée de son règlement 2326 aura un lien causal sur la réduction à la source de sa gestion des matières résiduelles et singulièrement sur la quantité de papier à recycler. Le Tribunal est d’avis que la préoccupation environnementale de Mirabel ne relève pas d’un caprice ou d’une dérive idéologique, elle s’avère réelle et bien appuyée sur l’opinion citoyenne et l’information disponible.

(…)

[256] Il est logique de penser que l’effet de la méthode « opt-in » aura un impact plus que probable de diminuer la quantité de papier utilisée si seulement ceux qui le désirent vraiment reçoivent les imprimés publicitaires. Mirabel n’avait pas à administrer une preuve scientifique à cet égard. Les objectifs environnementaux de Mirabel s’harmonisent favorablement avec le « principe de précaution » tel que défini par le droit international. Ici, nul doute que les mesures adoptées cherchent à anticiper, prévenir et combattre les causes de la détérioration de l’environnement.

(…)

[269] En ce qui a trait aux annonceurs commerciaux, les bénéficiaires de première ligne de la liberté d’expression commerciale, ils ne sont pas privés de moyens pour rejoindre leur clientèle cible. Ils pourront continuer à le faire par le Publisac ou autrement par l’internet, les réseaux sociaux, la poste ou en remettant les imprimés publicitaires aux clients à la porte de leurs commerces. Il demeure possible que la restriction réglementaire puisse avoir un effet concret sur la diffusion de leur discours commercial, mais il s’agit là d’un sacrifice raisonnable qu’on exige d’eux. Dans la foulée de cette logique, l’atteinte minimale à leur liberté d’expression doit être acceptée par les commerçants annonceurs au nom des intérêts environnementaux collectifs de premier plan des citoyens de Mirabel. C’est un juste et raisonnable compromis à faire. Rares sont les facettes de la vie commerciale qui échappent à la réglementation.

Notons ici l’argument qui avait également été formulé dans les affaires mettant en cause les panneaux d’affichage : à notre époque, les façons de diffuser de la publicité sont multiples, particulièrement avec Internet. La réglementation de Mirabel n’empêche pas toute forme de publicité; elle aura vraisemblablement pour effet de déplacer celle-ci sous une autre forme. D’ailleurs, il a été mis en preuve lors du procès qu’une proportion importante des Mirabellois ont accès à Internet haute vitesse.

Il n’en demeure pas moins que pour Médias Transcontinental, il s’agit selon elle d’une forme d’expropriation déguisée de son activité économique, qui est attaquée à sa source (comme l’avait d’ailleurs plaidé sans succès Astral lorsque les panneaux d’affichage ont été interdits). Or, selon la Cour supérieure, cette argument doit céder le pas aux impératifs environnementaux, lesquels sont réels et urgents :

[283] Le sacrifice économique exigé de Publisac et des annonceurs commerciaux sera largement compensé par les avantages qui découleront de la réduction des matières résiduelles, du transport de celles-ci, des émanations des véhicules les transportant, de la manutention, du tri et de la disposition des matières recyclables.

[284] Mirabel ne s’en sortira que plus propre en tout respect du libre choix des citoyens.

[285] La protection de l’environnement est devenue une valeur fondamentale au sein de la société canadienne qui se veut libre et démocratique. L’examen de la proportionnalité exige une analyse à la fois normative et contextuelle, ce qui oblige les tribunaux à soupeser les intérêts de la société et ceux des particuliers et de groupes.

[286] En l’espèce, les effets bénéfiques du règlement 2326 surpassent largement les effets préjudiciables encore inconnus qui pourraient découler de l’atteinte minimale à la liberté d’expression commerciale de MTC. Le critère de la proportionnalité est respecté. Ici, les intérêts particuliers de MTC doivent céder le pas aux intérêts collectifs des citoyens(nes) de Mirabel.

***

2 réflexions au sujet de “Limites à la distribution des Publisacs: analyse de la victoire judiciaire de Mirabel”

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