Prescription, Responsabilité civile, Responsabilité policière

Manifestations étudiantes : la courte prescription municipale tient en échec une action collective contre les policiers

Saint-Laurent c. Ville de Québec, 2023 QCCS 1010

Rare profession de foi en faveur de la courte prescription municipale (six (6) mois), particulièrement en matière de responsabilité civile des policiers. Une action collective des manifestants ayant reçu des constats d’infraction lors du Printemps érable a été déboutée, notamment en motif que celle-ci est prescrite. Notons que la Ville de Montréal – dans un contexte factuel différent cependant – vient de régler à l’amiable pour la somme de 6M$ les différente actions collectives en lien avec les manifestations étudiantes.

L’action collective devant le district judiciaire de Québec visait trois (3) manifestations survenues au printemps 2012. Les manifestations avaient été déclarées illégales en vertu de l’article 500.1 du Code de la sécurité routière. Les manifestants ont été arrêtés et détenus puis avaient reçu un constat d’infraction par la poste. Il n’y aura jamais de procès puisque les constats seront retirés. Il faut savoir qu’en 2015, l’article 500.1 CSR est invalidé par la Cour supérieure puisqu’il contrevient à la liberté d’expression et la liberté de réunion pacifique.

L’action collective est déposée en mai 2015, soit un peu moins de trois (3) ans après les manifestations en litige. Les demandeurs allèguent que le délai de prescription de trois (3) ans prévu à l’article 2925 du Code civil du Québec s’applique en l’espèce. La Ville de Québec prétend plutôt que l’action collective devait être déposée dans un délai de six (6) mois suite aux manifestations, le tout en vertu de l’article 586 de la Loi sur les cités et villes. Or, deux obstacles se dressent devant ce moyen de défense de la Ville de Québec.

D’abord, comme nous l’avons évoqué sur ce blogue, la courte prescription de six (6) mois ne s’applique pas face à des dommages physiques. Il arrive fréquemment que les tribunaux considèrent qu’un dommage moral (ex: une dépression) peut également être considéré comme un dommage physique, ayant un impact sur l’intégrité de la personne. Ainsi, la prescription de six (6) mois est écartée pour faire place à la prescription de trois (3) ans. Ici, rien de tel : les demandeurs allèguent uniquement des dommages moraux.

Ensuite, il a souvent été déterminé en matière de responsabilité policière que le délai de prescription est suspendu jusqu’au moment du dénouement des procédures pénales. Ainsi, ce n’est qu’au moment de l’acquittement (ou encore de l’arrêt ou du retrait des procédures pénales) que le délai de prescription commence à courir. Le cas échéant, les demandeurs ne seraient pas prescrits puisque les constats d’infraction ont uniquement été retirés en 2015. Or, la Cour supérieure rejette cet argument :

[184] Ainsi pour qu’il y ait suspension de la prescription, il doit y avoir un lien entre «l’arrestation abusive» et l’issu des poursuites devant la Cour municipale.

[185] Ce lien doit être mis en évidence par les demandeurs.

(…)

[187] Le sort des Recours ne dépend pas du sort des constats d’infraction. Dans le cadre des Recours, on reproche au SPVQ d’avoir violé les droits constitutionnels dans l’exercice de leurs fonctions. La Cour municipale n’a pas le pouvoir de se prononcer sur les mesures réparatrices prévues à l’article 24(1) de la Charte.

[188] Ce n’est pas par la décision sur le constat d’infraction que se cristallise le préjudice encouru par les membres des groupes. Si tel avait été le cas, alors les parties demanderesses auraient raison.

[189] Mais la nature des allégations et la preuve administrée lors de l’instruction des présentes affaires ne permettent pas de lier les fautes reprochées au SPVQ au sort des constats d’infraction.

[190] La décision de poursuivre la partie défenderesse, au moment où elle est prise, est donc tardive puisque les Recours sont prescrits depuis des années vu l’article 586 LCV.

Les demandeurs ont, à titre subsidiaire, plaidé que l’article 586 LCV devait être inopposable en l’espèce compte tenu de la nature de l’action collective et le fait qu’elle soulevait des moyens constitutionnels. Encore ici, la Cour supérieure rejette cet argument qui avait déjà été plaidé devant la Cour suprême dans le cadre d’un dossier de responsabilité civile qui émanait de la Colombie-Britannique :

[192] Les parties demanderesses allèguent que ce sont les faits à l’origine des Recours qui rendent cet article inopérant. Ils ne demandent pas que le Tribunal prononce l’invalidité de cet article de loi, contrairement au titre de la procédure qui soutient ce moyen.

[193] Outre l’allégation présente dans leur avis, les parties demanderesses n’allèguent ni ne prouvent que l’article 586 LCV porte atteinte à un droit garanti par la Charte.

[194] Quant au sort de la demande, il faut d’abord bien situer l’article 586 LCV par rapport à la Charte.

[195] La Cour suprême a déjà affirmé que l’exercice des droits et libertés que la Charte protège s’insère dans le système de droit en vigueur au Québec :

263 […] L’absence dans la Charte de dispositions et de directives touchant la compétence confirme le point de vue selon lequel celle-ci n’était pas censée provoquer le bouleversement du système judiciaire canadien. Au contraire, elle doit s’insérer dans le système actuel de la procédure judiciaire canadienne. Point n’est besoin de procédures et de règles particulières pour lui donner son plein et entier effet.

[196] Ainsi, les règles de la prescription présentent dans notre système de droit s’appliquent aux Recours.

[197] Les parties demanderesses ne sont pas nécessairement contre cette dernière affirmation. Elles sont d’accord avec la prescription extinctive de trois ans, prévue au C.c.Q., mais elles allèguent que le régime de la courte prescription de six mois, prévue à l’article 586 de la LCV, devrait être déclaré inopposable dans le contexte des Recours.

[198] Un tel argument a été rejeté par la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l’affaire Coffey c. Fraser Valley. Dans cette affaire où le demandeur exerce un recours fondé sur l’article 24(1) de la Charte, la cour applique la courte prescription de six mois qui est prévue à une loi intitulée Local Governement Act.

La «courte» prescription municipale continue d’être l’objet de critiques. Alors que les recours judiciaires à son encontre sont rejetés, les appels au législateur pour abroger celle-ci sont restés lettre morte, du moins pour l’instant…

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