Compétences municipales, Contrôle judiciaire, Fiscalité municipale

La redevance touristique de Percé invalidée : quelles leçons?

Comité citoyens-commerçants de Percé c. Ville de Percé, 2023 QCCS 2178

(la Ville de Percé a annoncé qu’elle portera ce jugement en appel)

[8]         Percé est une municipalité d’environ 3 100 citoyens, connue comme une destination touristique particulièrement achalandée pendant la période estivale. Elle peut accueillir près de 500 000 touristes annuellement.

[9]         La Ville s’est donc dotée d’infrastructures afin d’accueillir les touristes. Le budget annuel de fonctionnement pour l’entretien, la gestion et l’exploitation de ces infrastructures est de plus de 700 000 $. Elle ne perçoit aucun revenu de ses infrastructures touristiques, lesquelles sont financées à même son budget de fonctionnement.

[10]        Cherchant une nouvelle source de financement pour permettre d’assurer l’entretien et le remplacement de ses infrastructures touristiques de même que l’ajout de nouvelles installations, il est décidé par le conseil municipal d’adopter un règlement imposant une redevance. Percé souhaite de cette façon diversifier ses revenus pour offrir de meilleurs services et réduire la pression fiscale exercée sur ses citoyens.

C’est ainsi que la Ville de Percé est devenue l’une des premières municipalités à utiliser le pouvoir d’imposer des redevances règlementaires, dont disposent les municipalités suite à l’adoption de la Loi visant principalement à reconnaître que les municipalités sont des gouvernements de proximité et à augmenter à ce titre leur autonomie et leurs pouvoirs (projet de loi 122) en 2017 et la première, à ma connaissance, dont le règlement a subi le test des tribunaux.

Dans un jugement rendu le 16 juin 2023, la Cour supérieure du Québec a invalidé le règlement qui impose à chaque commerçant de la ville de percevoir une redevance d’un dollar lors de chaque transaction de plus de 20 dollars avec un touriste, pour constituer un fonds pour l’entretien des infrastructures touristiques.

Taxe ou redevance, quelle différence?

Pour bien comprendre le jugement, il est essentiel de bien comprendre la distinction entre les deux outils fiscaux introduits par le projet de loi 122, soit le pouvoir de taxation général et le pouvoir d’imposer des redevances règlementaires.

La distinction entre ces deux outils a d’abord été reconnue en droit constitutionnel. En effet, puisque les provinces et leurs délégataires, dont les municipalités, n’ont que le pouvoir d’imposer des taxes directes (destinées à être payées ultimement par la personne à laquelle elles sont imposées, et non transférées à un tiers), la jurisprudence a développé la notion de redevance règlementaire pour caractériser certains prélèvements faits par les autorités de compétence provinciale de façon accessoire à domaine de compétence provinciale, notamment en matière de développement immobilier.

Ainsi, alors qu’une taxe est un prélèvement obligatoire à des fins générales d’intérêt public, une redevance règlementaire est un prélèvement qui est destiné à financer un régime de règlementation (i.e. un service public) spécifique, effectué auprès des personnes qui bénéficient de ce régime ou dont les activités en créent le besoin.

En matière municipale, un exemple bien connu est la redevance sur les carrières et sablières, destinée à alimenter un fonds destiné à l’entretien des routes municipales par lesquelles sont transportées les matières extraites ou à l’atténuation des inconvénients qui en découlent.

Selon les nouveaux articles 500.6 et suivants de la Loi sur les cités et villes et 1000.6 et suivants du Code municipal, la redevance peut être imposée à toute personne qui bénéficie du régime de règlementation ou dont les activités en créent le besoin. Elle peut avoir pour objectif de financer le fonctionnement du régime, mais aussi d’influence le comportement des personnes afin de favoriser l’atteinte de ses objectifs.

Pour en savoir plus sur le concept de redevance règlementaire, nous vous référons à l’article rédigé par notre Me Axel Fournier pour les Développements récents en droit municipal 2019 ou encore à l’étude détaillée faite par les professeures Marie-Claude Prémont et Fanny Tremblay-Racicot, de l’ÉNAP.

Le règlement de la Ville de Percé

Revenons à l’affaire de la Ville de Percé, pour examiner la séquence d’adoption et de modification du règlement attaqué :

[12]        Le Règlement 575-2021 est adopté par Percé dès le 28 septembre 2021. Dans cette première mouture du règlement, Percé identifie que ce sont les visiteurs qui bénéficient des infrastructures touristiques ou que leurs activités en créent le besoin. Les visiteurs sont donc les personnes visées par le régime de redevance et Percé estime justifié de leur imposer une redevance réglementaire puisqu’ils sont les utilisateurs des infrastructures.

[13]        Chaque commerçant de Percé est donc tenu de s’inscrire au registre des commerçants de la Ville au moyen du formulaire prévu, et ce, au plus tard le 31 mai 2022 ou dans les 30 jours à compter du moment où il effectue une première fourniture pour laquelle il est tenu de percevoir et verser à la défenderesse la redevance en vertu de l’article 11.

[…]

[15]        Le Règlement 575-2021 fait l’objet de premières modifications le 8 février 2022 et le 5 avril 2022.

[16]        Le 3 juin 2022, les demandeurs signifient leur recours à la défenderesse.

[17]        Une résolution est adoptée par le conseil municipal de Percé le 7 juin 2022 afin d’identifier les bâtiments à vocation touristique visés par le régime. Ce registre comprend le Centre touristique de la rue du Quai, le bâtiment d’accueil touristique, le pavillon des Grandes-Marées et les toilettes publiques.

[18]        Le 14 juin 2022, le Règlement 575-2021 est à nouveau modifié par le Règlement 600-2022, lequel prévoit désormais que ce sont non plus les visiteurs, mais plutôt les commerçants qui bénéficient et créent le besoin des infrastructures touristiques. Les commerçants sont maintenant identifiés comme les débiteurs de la redevance.

[19]        La demande introductive d’instance en nullité est par la suite modifiée afin que soit également déclaré nul le Règlement 600-2022.

Le talon d’Achille : la perception de la redevance par les commerçants

La juge Isabelle Germain conclut que, si la ville est habilité à percevoir une redevance auprès des touristes, elle n’a pas le pouvoir d’imposer aux commerçants l’obligation de la percevoir, en l’absence d’une entente avec eux à cet effet :

[47]        La perception de la redevance initialement prévue à l’article 11 du Règlement 575‑2021 relevait des commerçants :

Tout commerçant qui effectue une fourniture à un visiteur doit, à titre de mandataire de la Ville, percevoir et verser à la Ville la redevance réglementaire exigible en vertu de l’article 6. 

[Le Tribunal souligne]

[48]        Cet article est complètement supprimé par Percé au Règlement 600-2022. De l’avis du Tribunal cet article constituait une délégation illégale du pouvoir de percevoir la redevance. Tel que vu précédemment, l’article 500.10 de la LCV établit clairement que la Ville peut déléguer la perception, le recouvrement de même que l’application et l’exécution du règlement à un tiers, mais ce pouvoir s’exerce par entente avec celui-ci et non par règlement. 

[…]

[65]        En l’espèce, l’objet principal et véritable des règlements vise à faire financer le coût des infrastructures touristiques par les visiteurs.

[66]        De fait, le règlement initial visait expressément les visiteurs à titre de bénéficiaires des infrastructures touristiques et, incidemment, en tant que débiteurs de la redevance. Ce faisant, les commerçants étaient institués percepteurs de la redevance pour la Ville.

[67]        Or, la Ville n’a conclu aucune entente avec eux prévoyant la perception et le recouvrement de la redevance, contrairement à l’article 500.10 de la LCV. De l’avis du Tribunal, l’article 500.10 suggère qu’à défaut par la municipalité de percevoir elle-même la redevance, elle peut prendre une entente avec un tiers ou l’État pour la perception de celle-ci.

[68]        Avec le Règlement 600-2022, certes la Ville fait des commerçants les bénéficiaires des infrastructures touristiques et, par le fait même, les débiteurs de la redevance.

[69]        Or, ces modifications entrent en contradiction avec plusieurs autres dispositions du règlement (dont les articles 7, 8, 12 et 13) qui démontrent que l’objet véritable de la redevance est demeuré, malgré les modifications réglementaires, celui de faire financer les infrastructures touristiques par les visiteurs. Incidemment, les redevances sont imposées sur les achats faits par les visiteurs.

[70]        La suppression de l’article 11 du règlement initial pour ne plus faire des commerçants des percepteurs, mais plutôt des bénéficiaires/débiteurs ne s’est pas traduite dans le reste du Règlement 600-2022 et la réalité.

[71]        Il est vrai qu’il appartient aux élus municipaux d’adopter des règlements dans le cadre des pouvoirs qui leur sont dévolus. Ici, les règlements adoptés par Percé, de l’avis du Tribunal, ne respectent pas le cadre législatif donné.

[72]        La Ville doit décrire le mode de perception de la redevance. Le législateur a pris soin d’indiquer que la Ville peut prévoir la perception de la redevance par un tiers, mais que dans ce cas, cela doit faire l’objet d’une entente. En aucun temps n’est-il prévu qu’une ville ou une municipalité peut mandater un tiers, en l’occurrence les commerçants, sans entente avec eux, afin qu’ils perçoivent la redevance. En cela, les Règlements ne reposent pas sur une interprétation raisonnable par la Ville des articles pertinents de la LCV.

En conclusion

Le régime de redevances règlementaires est un outil nouveau pour les municipalités et il est à prévoir que plusieurs essais-erreurs seront nécessaires afin d’en saisir précisément les contours. Par ailleurs, la Ville de Percé a annoncé son intention de porter ce jugement en appel.

Ce jugement démontre toutefois une difficulté d’application pratique du pouvoir de redevance règlementaire : à moins d’être en mesure de prélever directement la redevance auprès de la personne visée (comme le fait la Ville de Prévost avec son éco-contribution imposée directement aux commerçants), la municipalité doit s’en remettre à la bonne volonté de l’intermédiaire pour conclure une entente visant la perception.

Seule critique de la décision : la juge, en se référant à la définition de « redevance » du Larousse, assimile la notion de « bénéfice » à l’utilisation directe du bien ou du service :

[64]        La redevance est définie au Larousse comme une « Somme due en contrepartie de l’utilisation d’un service public ». Or, il apparait clair que ce ne sont pas les commerçants qui utilisent les services publics visés, mais bien les visiteurs.

Or, il semble que, dans certains cas comme celui de Percé, une personne (le commerçant) pourra bénéficier indirectement du bien ou du service sans en être l’utilisateur direct. Le législateur ayant choisi de faire référence à la notion de bénéfice, et non à l’utilisation directe (comme dans le cas d’un frais d’utilisation ou d’un abonnement), la notion de bénéfice devra être interprétée de façon plus large.

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