Procédure civile, Responsabilité civile

La municipalité qui réclame des frais extrajudiciaires au demandeur


Légaré c. Ville de Longueuil, 2023 QCCS 2391

L’affaire se présente comme tant d’autres en litige municipal. Une femme descend un escalier de bois menant à une plage aménagée par la Ville de Longueuil. Alors qu’elle quitte la dernière marche pour poser son pied sur le sable, elle chute et se blesse. Elle réclame 900 000 $ à la ville ainsi qu’à l’entreprise en charge de l’entretien des lieux.

La Cour supérieure rejette la réclamation de la demanderesse, qu’elle juge peu crédible. La demanderesse ne parvient pas à convaincre que l’escalier était dangereux ou mal entretenu, au contraire. Il a notamment été mis en preuve qu’aucun autre accident n’était survenu à cet endroit et qu’aucune autre plainte citoyenne concernant la potentielle dangerosité du site n’a été formulée.

La réclamation pour frais extrajudiciaires (art. 51 et ss. C.p.c.)

L’abus de procédure est prévu aux article 51 et suivants C.p.c. Il peut résulter de la procédure elle-même ou encore de la façon dont une partie se comporte pendant le déroulement des procédures (notamment un comportement quérulent).

La réclamation de la demanderesse, bien qu’elle soit rejetée au terme du procès, ne constitue pas pour autant un abus de procédure. C’est plutôt son comportement pendant l’instance qui est critiqué :

[158] Madame se représente seule, bien que certains avocats aient agi pour elle à certains moments dans le dossier. Ses nombreuses procédures et écrits dont elle inonde le dossier sont longs, touffus et souvent incompréhensibles. Ses demandes peuvent aisément se qualifier d’ampliatives, malgré les échecs répétés. À titre d’exemple, le Tribunal cite les diverses démarches concernant l’expertise. Ce dossier, somme toute assez simple, nécessite neuf audiences de gestion, dont celle du 20 mai 2022 qui traite de cinq avis de gestion présentés par Madame.

[159] Elle présente définitivement des arguments inventifs et incongrus, à la limite du rationnel. Il suffit de penser à plusieurs des postes de dommages réclamés qui « sont tellement exagérés et/ou reposent sur des prémisses de droit inexistantes qu’ils font perdre toute crédibilité à la demande. »

[160] Madame fait preuve d’opiniâtreté. Elle s’acharne à défendre des positions que rien ne démontre, comme sa prétention que sa chute lui cause une fracture et ses demandes répétées d’être opérée. Son utilisation des ressources médicales et judiciaires démontre un individualisme qui s’apparente à du narcissisme. Elle écrit à sa député madame Roy pour l’informer qu’elle considère rencontrer des orthopédistes en Ontario. Elle entame également des démarches aux États-Unis pour y rencontrer chirurgien et orthopédiste.

[161] Elle écrit à plusieurs reprises de longues lettres sur son cas dans lesquelles elle tient des propos souvent décousus et présente des demandes parfois étonnantes. Elle tente de soulever à nouveau dans cette affaire les questions en lien avec son litige qui l’oppose à l’Ordre des ergothérapeutes, ce que refuse le tribunal dans le cadre d’un des nombreux avis de gestion.

[162] Elle porte plainte contre le Dr Godin devant le Collège des médecins. L’expert témoigne que cette plainte n’est pas retenue. Une plainte policière est également déposée. Les avocats des défenderesses doivent obtenir une ordonnance pour qu’elle ne communique plus avec l’expert Godin et cesse de leur écrire pendant une certaine période. Elle ne tombe cependant pas dans les insultes et attaques et injures.

[163] Dans ce contexte, le Tribunal déclare sa procédure abusive en raison de son comportement quérulent.

La responsabilité des municipalités face aux abus de procédure

Comme les municipalités sont un gouvernement de proximité, elles sont quotidiennement en relation avec les citoyens (police, voirie, collecte des ordures, loisirs, etc.) et des frictions peuvent naturellement survenir.

Or, face à certaines personnes, les contentieux prendront des proportions inacceptables, au détriment de tous.

Plusieurs récents jugements ont accueilli des recours municipaux afin de protéger les élus ou les fonctionnaires, ou encore de déclarer des justiciables comme étant quérulents, limitant ainsi leur accès à la justice.

Les municipalités ont une responsabilité face aux abus de procédures, qui accaparent les deniers publics ainsi que les ressources judiciaires.

Dans le présent dossier, La Ville de Longueuil a fait preuve de fermeté et de souplesse à la fois, en cherchant non pas à obtenir un remboursement de ses frais d’avocats mais plutôt à s’assurer que la demanderesse ne récidive pas :

[165] Considérant l’impécuniosité de Madame, les défenderesses renoncent à réclamer leurs honoraires extrajudiciaires qui sont certainement substantiels considérant les efforts requis pour répondre aux nombreux arguments et à l’importante réclamation. Elles réclament l’attribution de dommages-intérêts punitifs et laissent à la discrétion du Tribunal le soin de déterminer le montant approprié. (…)

[167] L’importance et la gravité du comportement quérulent dont fait preuve Madame nécessitent une sanction qui soit préventive tout en tenant compte de sa situation patrimoniale. Considérant l’ensemble des circonstances, le Tribunal conclut qu’il est raisonnable d’ordonner le paiement d’une somme de 2,000$ à chacune des défenderesses.

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