Compétences municipales, Contrôle judiciaire

Laïcité, pêche au requin et apartheid : les limites des compétences municipales


Labrecque v. City of Toronto, 2023 ONSC 4616

Dans les dernières décennies, plusieurs arrêts ont confirmé l’interprétation large et libérale que nous devons avoir des compétences municipales, par exemple en matière de protection de l’environnement ou de santé.

Mais certains jugements viennent parfois rappeler à l’ordre certaines municipalités qui s’aventurent un peu trop loin.

Une fois n’est pas coutume, nous analysons ici un jugement de la Cour supérieure de l’Ontario, lequel s’intéresse à la Loi sur la laïcité de l’État adoptée en 2019 par l’Assemblée nationale du Québec (cette loi est souvent désignée comme la Loi 21).

En avril 2019, le Conseil municipal de la Ville de Toronto adopte des résolutions ayant notamment pour objet de condamner la Loi sur la laïcité de l’État et de réitérer l’importance de la liberté de religion. L’adoption de ces résolutions n’engendre cependant aucune dépense de fonds publics.

En décembre 2021, cependant, le Conseil municipal de Toronto adopte une nouvelle résolution afin de supporter la contestation judiciaire de la Loi sur la laïcité de l’État. Il vote en outre une contribution de 100,000$ en faveur de certains groupes impliqués dans cette contestation judiciaire.

L’affaire fait évidemment beaucoup de bruit. Louis Labrecque, un contribuable de Toronto, dépose un pourvoi en mars 2022 afin de demander à la Cour supérieure de l’Ontario d’annuler la contribution monétaire de 100,000$. Lors du débat, deux (2) affaires sont décortiquées :

Dans l’arrêt Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville) rendu en 1994, la Ville de Vancouver a adopté une résolution afin de cesser tout achat de produits auprès de l’appelante jusqu’à ce que celle-ci se retire complètement de l’Afrique du Sud, le tout dans le but de condamner le régime d’apartheid et de participer au boycottage international. La Cour suprême, dans un jugement majoritaire (5 contre 4), détermine que la résolution outrepasse les pouvoirs de la Ville de Vancouver et cherche à influencer une situation en dehors de ses limites territoriales.

Dans le jugement Eng v. Toronto (City) rendu en 2012, Toronto a interdit la possession, la vente et la consommation d’ailerons de requin dans les limites de la Ville de Toronto. Aucun risque pour la santé des Torontois n’ayant été démontré, l’objectif étant plutôt de lutter contre la pêche et la mutilation des requins. Évidemment, cette pêche au requin n’avait pas lieu sur le territoire torontois. La Cour supérieure annule la réglementation en litige, la cruauté à l’encontre des requins n’étant pas à l’intérieur des limites des compétences municipales.

Revenons maintenant à la Loi sur la laïcité de l’état. Évidemment, l’objet de cette loi ne dépasse pas la frontière ontarienne et encore moins les limites de la Ville de Toronto. Les Torontois ne sont donc pas directement affectés par la loi. Même en interprétant de façon large et libérale la Charte de la Ville de Toronto, laquelle lui confère certains pouvoirs spéciaux, la Cour supérieure annule la résolution et le paiement de 100,000 $ :

[42] The Respondent argues that the Shell Canada and Eng cases are distinguishable. The Respondent states that Shell Canada and Eng dealt with local governments taking action to affect practices taking place in other parts of the world. The Respondent argues that here, the legal challenge entails an examination of Canada’s constitution and the extent to which it can protect the freedoms of individuals in jurisdictions in Canada including Toronto. The consequences of the constitutional challenge are national in scope. This, the Respondent argues, creates the nexus between the challenge to Bill 21 and the City of Toronto and its residents.

[43] I am not satisfied that the Shell Canada and Eng decisions are distinguishable. Here, the By-Law provides funding to challenge legislation passed by the Quebec legislature. Bill 21 has no extra-territorial effect and does not apply to Torontonians. I am of the view that the dicta of the majority in Shell Canada and in Eng applies to the circumstances of this case. Like apartheid and shark finning, there is nothing to suggest that Bill 21 “affects the ability of Torontonians to live together as an urban community”.

(…)

[49] It is my view that it is beyond Toronto’s authority to fund a legal challenge to Bill 21 which was passed by the National Assembly of Quebec. The legislation applies only to citizens of Quebec and does not have an extra-territorial reach. It is subject to a constitutional challenge that is proceeding in the courts of Quebec. Toronto City Council may be of the view that the Quebec Law does not accord with the values of Torontonians however, in my view, the funding of a group that is legally challenging the Quebec legislation in the Quebec courts is not a valid municipal purpose.

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