Aménagement et urbanisme, Pouvoirs municipaux

Construction sans permis : oui, votre nouvelle maison devra être détruite

Ville de Saint-Sauveur c. Bibeau, 2019 QCCS 44

Les faits

Un promoteur obtient l’approbation d’un plan de lotissement pour un nouveau développement. L’un des lots est vendu à M. Bibeau, le défendeur dans le présent dossier. La résidence projetée sur ce lot devait être construite sur une pente naturelle de 24,5%, en conformité avec la réglementation municipale.

Or, le promoteur et M. Bibeau conviennent que la résidence sera plutôt construite sur une autre partie du lot, cette fois sur une pente de 44%. La construction débute sans qu’aucune démarche auprès de la Ville ne soit effectuée pour obtenir le permis de construction, ni par le promoteur ni par M. Bibeau.

Quatre (4) mois après le début de la construction de la résidence, le promoteur dépose une demande de permis auprès de la Ville. Celle-ci est incomplète et plusieurs démarches subséquentes sont nécessaires. La Ville, ayant eu vent que la construction a tout de même débutée, ordonne la cessation immédiate des travaux.

Malgré la demande de la Ville de cesser les travaux, M. Bibeau et le promoteur continuent la construction.

Alors que les démarches du Promoteur et de M. Bibeau pour obtenir le permis de construction se poursuivent, la Ville apprend que la résidence est construite sur une pente de 44%, malgré que le maximum autorisé en vertu de la réglementation est de 25%. La Ville intente donc ses procédures pour obtenir la démolition de la résidence.

La réglementation municipale

Lors du procès, la Ville explique l’objectif de sa réglementation et de son recours, de même que les raisons pour lesquelles elle ne peut octroyer de dérogation mineure à M. Bibeau :

[56] La Municipalité régionale de comté des Pays-d’en-Haut (« MRC ») englobe 10 municipalités, dont la Ville. Un de ses urbanistes a témoigné. Il dépose le schéma d’amé­nagement que les municipalités doivent intégrer dans leurs règlements. Ce schéma est dicté selon les lignes directrices émises par le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation. La préservation du paysage est une préoccupation omniprésente pour la MRC. Les municipalités soumises à la MRC n’ont pas la latitude d’adopter un règlement permettant la construction dans un milieu où il y a une pente supérieure à 30 %. Le règlement adopté par la Ville respecte ces paramètres. Toute construction sur un terrain dont la pente naturelle est de 25 % ou plus est interdite.

[57] La Ville est vigilante face aux constructions en flanc de montagne, d’où l’adoption du Règlement relatif aux plans d’implantation et d’intégration architecturale.

[58] La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme ne permet pas à la Ville d’accorder une dérogation, notamment parce que M. Bibeau n’a pas obtenu de permis de construction au préalable, parce que la dérogation n’est pas en lien avec un règlement de zonage ou de lotissement, mais avec les conditions de délivrance du permis et surtout, parce qu’il s’agit d’un cas de dérogation majeure, contrevenant au schéma d’aménagement de la MRC et au plan d’urbanisme de la Ville.

La Cour supérieure devait-elle exercer sa discrétion?

La Ville demande ici l’application de l’article 227 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme. Or, tel qu’établi dans l’arrêt Ville de Montréal c. Chapdelaine, la Cour supérieure a discrétion pour refuser d’octroyer le remède recherché par une municipalité (la démolition de la maison), notamment en considérant les agissements des parties.

Dans un premier temps, M. Bibeau tente de plaider que cette situation malheureuse est le fait du promoteur, lequel avait la responsabilité d’obtenir le permis de la construction. Ainsi, la discrétion du Tribunal devrait s’exercer en sa faveur. Or, la Cour supérieure détermine que M. Bibeau devait être proactif et ne peut plaider l’aveuglement volontaire :

[53] Il avance que le Tribunal devrait néanmoins l’absoudre, puisque tout serait de la faute du Promoteur. Certes, le témoignage de ce dernier n’est pas impressionnant. Il a agi de manière négligente, en ne s’assurant pas de l’approbation de la Ville avant de proposer à M. Bibeau un changement par rapport au plan de lotissement auquel la Ville avait donné son aval. Il a agi dans un mépris total de la réglementation municipale. Toutefois, cela ne peut servir d’excuse. Pour autant qu’il s’agisse d’erreurs de son mandataire, le mandant, en l’occurrence M. Bibeau, doit en répondre face aux tiers.

[54] Dans une affaire impliquant aussi un mandataire, qui était de surcroît le mari et le père des appelantes, la Cour d’appel confirme le jugement du tribunal de première instance où la discrétion judiciaire a été refusée. La Cour exprime que celui qui réclame une réparation en équité doit avoir les mains propres, ce qui n’est pas le cas de la personne qui poursuit des travaux à l’encontre d’un avis de cessation de travaux : (…)

[55] Ces enseignements doivent recevoir application en l’espèce. D’une part, M. Bibeau a fait fi des ordres de cesser les travaux qui lui ont été personnellement remis par la Ville. Il a choisi de poursuivre la construction à ses risques et périls. D’autre part, le fait que le Promoteur soit fautif ne le dégage en rien envers la Ville. Il est le signataire de la demande de permis et est autoconstructeur. L’ignorance de ses respon­sabilités à cet égard ne peut servir à l’exonérer d’avoir respecté la régle­mentation. C’est lui le premier répondant de la conformité de son bâtiment face à la régle­mentation municipale.

Dans un second temps, M. Bibeau plaide que la démolition de sa résidence est une mesure trop drastique. La Cour supérieure rétorque qu’il n’a que lui-même à blâmer…

[59] L’intérêt de la justice ne milite pas en faveur du maintien de la situation qui constitue un mépris de la loi. Dans Denholm (Municipalité de) c. Gagnon, le juge Pierre Dallaire expose que la discrétion judiciaire ne peut être exercée si elle a pour effet d’accorder un passe-droit que la loi interdit : (…)

[62] M. Bibeau avance que la démolition ne servirait qu’à le punir. Malheureusement, on se doit de constater qu’il n’a que lui-même à blâmer pour l’ampleur de ses dommages. Nul doute que cette affaire lui cause un stress considérable et qu’elle est à l’origine de bien des insomnies. Cependant, de façon objective, force est de constater qu’en début de novembre 2015, lorsque M. Bibeau reçoit le premier ordre d’arrêt des travaux, le bâtiment est loin d’être complété. Les divisions intérieures ne sont pas faites. Il est encore temps de mettre un frein au projet et de limiter les dégâts. M. Bibeau choisit délibérément de continuer.

[63] À la fin novembre, le revêtement extérieur n’est pas débuté. La cuisine et les salles de bain ne sont pas installées.

[64] Si M. Bibeau avait respecté les mises en garde de la Ville, il n’aurait pas à démolir ce qu’il a réalisé à l’encontre de ces ordres d’arrêt des travaux et même après que les procédures eurent été intentées. Il est difficile de comprendre pourquoi il a pris la décision de désobéir aux demandes impératives de la Ville, ce qui lui vaut un constat d’infraction de nature pénale.

La Cour supérieure ordonne donc à M. Bibeau de terminer la démolition de la résidence dans un délai de huit (8) mois…

***