Évaluation foncière, Fiscalité municipale

Fiscalité municipale : l’évaluateur doit tenir compte du changement de zonage qui est prévisible à la date d’évaluation

D. I. I. c Québec (Ville), 2018 CanLII 103153 (QC TAQ)

(suivi: le 31 janvier 2019, la Cour du Québec a accordé la permission d’appeler de cette décision et aucune décision sur le fond de l’appel n’a été rendue à ce jour)

Cette semaine, ce blogue fait une première incursion dans le domaine de la fiscalité municipale et de l’évaluation foncière. Il s’agit d’un domaine très important du droit municipal, puisqu’il conditionne le niveau et la répartition de la charge fiscale imposée aux contribuables. Toutefois, la complexité de la Loi sur la fiscalité municipale et de la science de l’évaluation foncière sur laquelle elle repose en font un domaine un peu rébarbatif.

Pour cette première, nous revenons un peu en arrière pour traiter de la décision rendue en juillet dernier par le Tribunal administratif du Québec dans l’affaire Dallaire Immobilier inc. c. Ville de Québec. Le TAQ y décide que la valeur d’un immeuble au rôle d’évaluation peut être influencée par un développement impliquant un changement de zonage qui n’est pas encore réalisé à la date d’évaluation, mais qui est raisonnablement prévisible et dont les acteurs du marché immobilier tiennent compte lors des transactions.

Fiscalité municipale : les principes de base

Tout d’abord, rappelons quelques notions de base de la fiscalité municipale. La Loi sur la fiscalité municipale prévoit que l’évaluateur de chaque municipalité dresse à chaque trois ans un rôle d’évaluation auquel il porte chacun des immeubles situés sur le territoire de la municipalité. La valeur indiquée à ce rôle pour chacun des immeubles est sa valeur réelle évaluée au 1er juillet de la deuxième année qui précède celle de l’entrée en vigueur du rôle (la « date de référence » ou « date d’évaluation »). Par exemple, le rôle d’évaluation actuel de la Ville de Montréal est en vigueur pour les années 2017, 2018 et 2019 et la date de référence est le 1er juillet 2015.

La valeur réelle de l’immeuble est celle à laquelle l’immeuble aurait le plus probablement été vendu, dans un marché libre, à la date de référence, entre des parties non liées et bien informées de l’état de l’immeuble et du marché immobilier. L’immeuble est évalué dans l’état physique, économique et juridique où il est à la date de référence. Une fois cette valeur fixée, elle demeure la même pour toute la durée du rôle, sauf dans certains cas exceptionnels. Par exemple, si on évalue un centre commercial et que, après la date de référence, la vitalité économique du quartier où il se situe décline, la valeur au rôle ne sera pas diminuée avant le prochain rôle d’évaluation, trois ans plus tard.

La notion de valeur réelle correspond au concept économique de valeur d’échange, c’est-à-dire celle qui provient de la vente éventuelle du bien, qui s’oppose à la valeur d’usage, liée uniquement à l’utilisation qui peut en être faite. Par exemple, un lingot d’or a une grande valeur d’échange, mais aucune valeur d’usage.

L’affaire Dallaire Immobilier inc. c. Ville de Québec

Les demanderesses sont des sociétés oeuvrant dans le développement immobilier, propriétaires de grands terrains dans la partie ouest de la Ville de Québec. Ces terrains sont situés en zone agricole au sens de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles et de la planification urbanistique régionale et municipale, mais à la limite du périmètre d’urbanisation. Les demanderesses contestent la valeur inscrite pour leurs terrains aux rôles d’évaluation 2013-2014-2015 et 2016-2017-2018 (par des recours distincts qui ont été joints).

Les évaluateurs des deux parties s’entendent pour dire que ce zonage provincial, régional et municipal sera éventuellement modifié pour y permettre le développement résidentiel, commercial et institutionnel. La seule inconnue est le moment où ces changements réglementaires auront lieu.

L’expert (évaluateur) de la Ville évalue l’immeuble en se basant sur des transactions d’immeubles comparables, dont certaines concernent des immeubles visés par les recours. Il constate que la plupart de ces transactions sont faites dans un objectif d’investissement, c’est-à-dire que les acheteurs spéculent sur un un éventuel changement de zonage permettant le développement des terrains. Il en arrive donc à une valeur de 27 000 $ / hectare pour chacun des terrains.

L’expert des demanderesses, lui, exclut les transactions réalisées dans un objectif d’investissement et ne considère que celles faites dans le but de maintenir un usage agricole. La position des demanderesses est que cet usage correspond au meilleur usage possible des terrains à la date d’évaluation et qu’on ne peut pas évaluer les terrains en fonction d’un usage futur qui n’est pas permis à cette date, ce qui reviendrait à leur attribuer une valeur hypothétique ou d’anticipation. L’expert des demanderesses arrive donc à une valeur de 11 000 $ / hectare.

La décision du TAQ

Le TAQ retient la position de l’expert de la Ville :

[89]        La preuve révèle que DALLAIRE INC. n’a fait en temps et lieu aucune représentations dans le cadre légal prévu pour ce faire auprès des autorités compétentes en vue de la modification d’une ou l’autre des règlementations d’urbanisme (y compris la modification du périmètre d’urbanisation et/ou le changement de la zone agricole), sauf pour une section où on voulait et obtenu un usage de récréation en plein air intensive.

[90]        Toutefois, cela ne peut pas empêcher la valeur d’immeubles très bien localisés, à l’instar de ceux en litige situés à Ste-Foy, de voir augmenter leur valeur au-delà d’une simple valeur agricole par application du principe d’évolution.

[91]        En outre, au même titre qu’un terrain au cœur de Ste-Foy ne peut être comparé à un terrain dans Limoilou, et ce, peu importe que ces deux terrains présentent le même UMEPP, la localisation des terrains à Ste-Foy créé une valeur ajoutée à ces derniers (par rapport à certains retenus par l’évaluateur de la partie requérante situés à plus ou moins 9 km du périmètre d’urbanisation) et ce fait n’est pas du tout contestable.

[92]        D’autre part, il existe un dicton bien connu en évaluation à l’effet que les trois principaux éléments dont il faut tenir compte en ce qui a trait à la détermination de la valeur économique d’un immeuble sont sa localisation, sa localisation et… sa localisation.

[93]        L’article 46 L.F.M. dicte qu’il faut considérer l’état de l’unité d’évaluation en fonction de son état physique, juridique, économique et de son environnement.

[94]        Certes, aux dates de référence ici en cause, l’état juridique des unités d’évaluation fait consensus : il est agricole.

[95]        L’article 46 LFM indique toutefois, tel que relaté précédemment, d’autres facteurs dont il faut tenir compte et qui ont un poids juridique tout aussi important. Ceux-ci doivent être pondérés par le Tribunal suivant leurs influences respectives sur la valeur eu égard au cas qui est présenté devant lui.

[96]        Ainsi, en l’espèce, il appert que :

a)           Rien dans la preuve administrée au présent dossier indique que les unités d’évaluation souffrent d’une défaillance physique susceptible d’engendrer chez-elles une moins-value (ex : sols contaminés, instabilité des sols, etc.)

b)           Tel que décrit dans la présente décision, le secteur où sont situées les unités d’évaluation ici en cause fait partie d’un marché haussier par rapport aux terres agricoles sises plus loin du périmètre d’urbanisation de la Ville de Québec.

c)           Force est aussi d’admettre que les terrains sujets, bien que situés en zone agricole, sont en grande partie non seulement situés dans le voisinage immédiat du périmètre urbain de la Ville de Québec, mais que de leurs côtés nord et sud ils sont d’ores et déjà bornés par des quartiers résidentiels déjà très développés. À l’est des sujets, on retrouve le boulevard Henri IV qui est l’une des principales voies de pénétration qui relie les quartiers Nord et Sud de la Ville de Québec.

[97]        Le Tribunal estime donc ici opportun de reprendre ce qu’il écrivait lui-même dans la décision, Les Immeubles Place Hochelaga, décision confirmée sur cet aspect de la décision par la Cour du Québec :

[70]      Lorsqu’on considère globalement la preuve sur la description du voisinage et du zonage, on constate que les opinions de valeur qui découlent des ventes retenues par l’expert mandaté par la Ville, doivent être confirmées parce qu’elles concernent des immeubles plus comparables géographiquement et économiquement aux unités d’évaluation en cause que ceux que retient celui de la requérante.

[98]        Ici, les unités d’évaluation, bien que zonées agricole, bénéficient d’une excellente localisation. Il ne s’agit pas de rechercher la valeur future du bien évalué mais bien la valeur présente des bénéfices futurs. Procéder autrement c’est amputer la valeur. Cette dernière s’établit en fonction d’une utilisation future à laquelle le bien répond. Il ne s’agit pas de ce que le bien vaudra dans le futur, mais de la valeur actuelle des bénéfices futurs incluant ceux qui découlent de l’utilisation future et probable du bien. Elle est incluse à l’intérieur de la valeur réelle. Elle convient au propriétaire actuel et à tout acquéreur qui agit dans ce marché spécifique.

[99]        Le fait qu’un propriétaire désire ou refuse d’agir de sa propre initiative en matière de changement ou d’évolution du développement de son terrain ne modifie en rien la valeur réelle de celui-ci telle que décrite au paragraphe précédent de la présente décision.

Le TAQ considère donc que la prise en considération du développement de l’immeuble qui nécessite un changement de zonage à venir ne revient pas à lui attribuer une valeur hypothétique ou d’anticipation, mais tout simplement à constater l’effet sur sa valeur actuelle du développement envisagé.

Ici, tout est dans les nuances. Si, par exemple, quelques semaines après la date d’évaluation, on assiste à un revirement politique qui entraîne un changement complètement imprévisible du zonage qui entraîne à la hausse la valeur de l’immeuble, on ne devrait probablement pas tenir compte de ce changement puisqu’il n’était pas prévisible et ne pouvait pas être considéré par les acteurs du marché à la date de référence.

Par contre, lorsqu’un changement de zonage éventuel est prévisible à la date de référence et que les acteurs du marché en tiennent compte dans leurs transactions, le TAQ nous enseigne que les indications de valeur provenant de ces transactions ne doivent pas être écartées.

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