170304 Canada inc. (Weed Man) c. Municipalité de la Paroisse de Sainte-Anne-des-Lacs, 2020 QCCS 150
Cela fait quelques jours que je voulais écrire sur ce jugement ayant fait les manchettes. Le Covid-19 m’en aura donné la possibilité…
Près de vingt (20) ans après l’arrêt Spraytech de la Cour suprême du Canada, une petite municipalité des Laurentides de moins de 5000 habitants vient d’obtenir gain de cause dans le cadre d’une demande en contrôle judiciaire visant à faire déclarer nul son nouveau règlement restreignant l’utilisation de pesticides et de fertilisants sur son territoire.
Il est intéressant de constater que le texte du règlement en cause est reproduit au long dans le jugement, nous permettant ainsi de mieux comprendre le dossier (et peut-être d’inspirer d’autres municipalités?).
La partie demanderesse détient une franchise Weed Man et se spécialise dans l’entretien des pelouses. Cette dernière prétend que le nouveau règlement l’empêche de faire affaire sur le territoire de la municipalité, étant maintenant incapable de faire usage de pesticides et de fertilisants.
Notons que la demanderesse aura pris environ neuf (9) mois après l’adoption du règlement avant de contester la validité de celui-ci, ainsi qu’environ cinq (5) mois après en avoir appris l’existence. Selon la Cour supérieure, ce délai déraisonnable suffit à lui-seul pour rejeter la demande en contrôle judiciaire :
[29] En présence d’un manque de diligence apparent à signifier sa demande de pourvoi en contrôle judiciaire et à défaut d’une explication de 170304 pour justifier qu’elle n’agit pas plus tôt, le Tribunal ne peut simplement ignorer le délai, qu’il soit de cinq ou de sept mois. Un règlement municipal étant ciblé, c’est le principe de la stabilité des lois qui est en jeu.
Quoiqu’il en soit, la Cour supérieure examine également la validité du règlement. Elle souligne d’entrée de jeu que c’est la demanderesse qui détient le fardeau de démontrer que ce règlement est invalide.
Un pouvoir municipal?
La Cour supérieure évacue facilement un première question : réglementer les pesticides et les fertilisants est une compétence des municipalités qu’elles partagent avec le provincial et le fédéral, le tout en vertu de leur compétence en matière d’environnement :
[43] D’ailleurs, 170304 le reconnaît, à tout le moins pour ce qui est du domaine des pesticides, lorsqu’elle écrit, dans sa demande de pourvoi en contrôle judiciaire, que « le domaine des pesticides est une compétence partagée entre le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les instances municipales », que « les municipalités se sont vues reconnaître le pouvoir de réglementer dans le domaine environnemental, principalement quant à l’utilisation des pesticides en milieu urbain, en tenant compte de leurs particularités locales », et que la Cour suprême a reconnu la complémentarité des pouvoirs fédéral, provincial et municipal en matière de contrôle des pesticides.
[44] Effectivement, la Loi sur les compétences municipales (la Loi sur les compétences municipales) confère aux municipalités locales compétence notamment dans le domaine de l’environnement et leur donne le pouvoir d’adopter des règlements en cette matière.
[45] Or, le Règlement concerne clairement une question d’environnement, incluant le volet de la santé de ses citoyens. Cela est reflété distinctement à son préambule.
[46] Ainsi, par le moyen du Règlement, la Municipalité exerce sa compétence en matière d’environnement.
La seule ambiguïté qui demeurait est que l’arrêt Spraytech s’était penché sur les pesticides et non sur les fertilisants. Or, la Cour supérieure affirme qu’il n’y a pas de distinction à faire en l’espèce : elle a autant la compétence de réglementer les pesticides que les fertilisants.

Un règlement en conflit avec les lois fédérales et provinciales?
La Cour supérieure rappelle d’abord le droit applicable à cet effet : dans la mesure où le règlement municipal est en contradiction ou irréconciliable avec une loi fédérale ou provinciale, il ne peut trouver application :
[60] Même si la Municipalité a compétence pour réglementer l’utilisation des pesticides ou des fertilisants, 170304 fait valoir à juste titre que sa réglementation ne doit pas entrer en contradiction ou être inconciliable avec la législation ou la réglementation fédérale ou provinciale en la matière.
[61] Lorsque des lois fédérales et provinciales entrent en conflit, qu’il existe une incompatibilité véritable entre une loi fédérale et une loi provinciale, que les effets d’une législation provinciale sont incompatibles avec une législation fédérale, la loi fédérale doit prévaloir. Il s’agit-là de la doctrine de la prépondérance fédérale.
Le fardeau de démonstration appartient ici à celui qui invoque le conflit ou l’entrave, donc la demanderesse.
Évidemment, il ne suffit pas de simplement démontrer que le règlement municipal n’a pas le même objet ou la même portée que la législation fédérale ou provinciale. Il faut plutôt démontrer qu’un citoyen ne peut respecter une norme sans enfreindre l’autre ou que la réglementation municipale aura pour effet d’entraver l’application de la législation fédérale ou provinciale. Sinon, le règlement municipal devra être pleinement être appliqué :
[68] Pour qu’il y ait conflit d’application – le premier volet de l’analyse –, il doit y avoir conflit «véritable» : il est demandé aux mêmes citoyens d’accomplir des actes incompatibles, de sorte que l’observation d’un ensemble de règles entraîne l’inobservation de l’autre. La démonstration d’un conflit d’application n’est pas faite si les deux peuvent coexister, peuvent agir concurremment, que les citoyens peuvent les respecter toutes les deux, sans violer l’une ou l’autre.
[69] Sur le second volet de l’analyse, s’il n’y a pas conflit selon le premier volet, il s’agit de savoir si l’application du règlement municipal est compatible avec l’objet de la loi, fédérale ou provinciale, ou, dit autrement, si au contraire, malgré l’absence d’une violation directe de la législation applicable, l’effet du règlement est d’empêcher la réalisation de l’objet de cette législation.
Qu’en est-il de l’entrave à la législation fédérale ou provinciale? La Cour supérieure détermine que le règlement municipal est beaucoup plus contraignant que les lois fédérales et provinciales, mais que cela n’empêche pas la réalisation des objectifs de ces dernières, bien au contraire. Rien n’empêche un règlement municipal d’être plus sévère qu’une loi fédérale ou provinciale :
[77] La Cour ajoute qu’un règlement municipal n’entre pas directement en conflit avec le régime législatif du simple fait qu’il impose des normes de contrôle plus sévères, une municipalité pouvant être plus exigeante que la province ou le gouvernement fédéral.
(…)
[93] Il est vrai que le Règlement est plus restrictif que la Loi sur les antiparasitaires et que la Loi sur les pesticides et le Code de gestion. Mais il partage les mêmes objectifs, comme le démontre son préambule. Et non seulement ne nuit-il pas à la réalisation de l’objet de cette législation, au contraire il rehausse les normes de contrôle et de protection. Il le fait de manière à protéger la population de la Municipalité, en tenant compte notamment de ce que celle-ci identifie comme particularités locales.
[94] Le fait que le Règlement restreigne, même considérablement, l’utilisation des pesticides n’empêche aucunement la réalisation ni de l’objet de la Loi sur les antiparasitaires ni de celui de la Loi sur les pesticides, et ce, même en présence d’un cadre législatif provincial déjà très complet et contraignant, « très strict ». La Municipalité peut ajouter à ce cadre, en le restreignant encore plus, sans pour autant empêcher la législation en place – une législation permissive, ne conférant pas un droit positif, comme exposé précédemment – d’accomplir son objet.

Une prohibition absolue?
La demanderesse plaide finalement que le règlement devrait être annulé puisqu’il s’agit d’une prohibition absolue, qu’il est imprécis et qu’il est discriminatoire. Contentons-nous du premier argument, celui qui est le plus sérieux.
Mais soulignons d’abord que dans son analyse, la Cour supérieure devra faire preuve de déférence envers le Conseil municipal et n’interviendra que si le règlement en l’espèce est déraisonnable. Voici pourquoi :
[123] La Cour suprême y souligne que les conseillers municipaux qui adoptent des règlements sont des représentants élus par leurs concitoyens, à qui il incombe de servir ces derniers, devant qui ils sont ultimement responsables. Ce faisant, ils accomplissent une tâche qui a des répercussions sur l’ensemble de leur collectivité, qui fait intervenir « toute une gamme de considérations non juridiques, notamment sur les plans social, économique et politique », et pour laquelle ils peuvent légitimement tenir compte d’une grande variété de facteurs. La révision des règlements doit refléter ce large pouvoir discrétionnaire.
Concernant l’argument de la prohibition absolue (une municipalité ne peut généralement totalement prohiber une activité licite sur son territoire), la Cour supérieure affirme qu’en matière de protection de l’environnement, ce principe doit être modulé. En effet, la Loi sur les compétences municipales donne expressément aux municipalités le pouvoir de prohiber.
Au surplus, en l’espèce, le règlement ne prohibe pas totalement bien qu’il soit sévère :
[135] Or, dans le cas présent, dans les faits et malgré l’objectif annoncé en conclusion du préambule, lorsque l’on considère l’ensemble du Règlement, on ne peut conclure à une prohibition absolue de traiter les pelouses – pour revenir à l’activité commerciale de 170304 – ni de le faire avec des pesticides ou avec une forme de fertilisant ou un substitut aux fertilisants, en l’occurrence des amendements organiques.
(…)
[138] En somme, la Municipalité entend proscrire l’usage de tout produit, substance ou matière autre que ceux qui sont d’origine naturelle et n’impliquent pas de transformation chimique ni, pour ce qui est des pesticides, de méthode de préparation industrielle, sauf dans les cas d’infestation et alors à certaines conditions, et elle entend limiter l’usage des amendements organiques aux plates-bandes, jardins et potagers, dans ces deux derniers cas en n’approchant pas à moins de 15 mètres de la présence d’eau.
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