Aménagement et urbanisme, Injonction, Procédure civile

L’injonction est le recours approprié pour inspecter un immeuble en cas de refus du propriétaire

Ville de Montréal c. Constructions Fédérales inc., 2020 QCCA 650

Dans un billet précédent au titre coloré, nous avions soulevé la question des recours disponibles pour la municipalité qui souhaite faire procéder à l’inspection d’un immeuble pour vérifier l’application des règlements d’urbanisme, lorsque le propriétaire s’y oppose.

Il s’agissait alors d’une affaire où les inspecteurs de la Ville avaient pénétré dans l’immeuble en question, avec l’aide d’un serrurier, pour mettre à jour la preuve en vue de l’audition d’une demande de démolition d’immeubles vétustes. La Cour d’appel avait alors conclu que le règlement de la Ville de Sainte-Agathe-des-Monts n’autorisait pas les inspecteurs à entrer de force, sans autorisation judiciaire, dans un immeuble dont on leur refusait l’accès. Se posait donc la question de savoir par quel véhicule procédural cette autorisation pouvait être obtenue.

Un arrêt récent, par lequel la Cour d’appel permet à la Ville de Montréal de creuser des tranchées pour récolter des échantillons de sol, nous permet de conclure que l’injonction est le recours approprié, et que celle-ci pourra la plupart du temps être obtenue sur une base interlocutoire.

En septembre 2017, le service d’urbanisme de l’arrondissement Rivière-des-Prairies / Pointe-aux-Trembles constate que des camions déversent de la terre contenant des débris de démolition sur un terrain vague, dans une zone où l’usage consistant en la disposition de déchets de construction, de rénovation ou de démolition n’est pas permis. Cette activité se poursuit malgré la lettre de mise en demeure de l’avocate de la Ville.

En février 2018, la Ville informe le propriétaire de son intention d’accéder au terrain pour y récolter des échantillons du remblai afin de déterminer la composition du sol. Après plusieurs échanges, le propriétaire s’oppose catégoriquement à la récolte de tels échantillons, bien qu’il reconnaisse le droit des inspecteurs d’accéder au terrain, sans plus.

En avril 2018, la Ville intente donc un recours intitulé « Demande pour examiner un immeuble (art. 25 et 49 du C.p.c., art. 95 de la LCM et art. 1 du Règlement sur les inspections 6678) ».

Le juge de première instance rejette le recours de la Ville, jugeant que le Règlement sur les inspections 6678 n’est pas assez large pour permettre aux inspecteurs de creuser des tranchés afin de récolter des échantillons du sol.

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Le droit d’inspecter inclut celui de récolter des échantillons

La Cour d’appel conclut, dans un premier temps, que le règlement sur les inspections doit être interprété de façon à permettre la réalisation de son objectif, soit de vérifier l’application du règlement de zonage, qui interdit l’enfouissement de déchets sur le terrain :

[35]        On l’a dit, l’article 411 LCV[12]  habilite les municipalités qui sont assujetties à cette loi à adopter des règlements qui autorisent leurs officiers à visiter et examiner tout lieu pour constater si les règlements y sont exécutés. Ces règlements permettent donc à ces officiers de vérifier que l’activité assujettie à une norme ou à une règle adoptée par elle est accomplie en conformité avec cette règle ou norme. Sans ce pouvoir d’inspection, les règlements municipaux perdraient grandement de leur efficacité.

[36]        La lecture que le juge fait de ce pouvoir habilitant amène comme résultat que les officiers municipaux chargés des inspections ne pourraient se rendre sur le terrain qu’aux seules fins de regarder ce qui y est visible à l’œil nu et le prendre en photo. Or, une telle lecture rend l’examen des lieux vide de sens et ainsi s’écarte de l’intention du législateur. Les normes et règles adoptées par les municipalités portent sur un nombre sans cesse croissant d’activités, et ce, dans l’intérêt public. On peut sans difficulté imaginer des situations où la vérification du respect d’une norme municipale implique que l’inspecteur doive poser des gestes plus intrusifs que le simple coup d’œil, tels, par exemple, lors de la construction d’un bâtiment, l’ouverture de murs afin de vérifier la conformité aux normes de résistance contre le feu, ou encore la conformité de la pose des matériaux d’isolation des murs et plafonds, de la plomberie ou des installations électriques, sans que de tels gestes soient qualifiés d’intrusions illégales de la vie privée.

[37]        Vu l’objectif et la nécessité de telles inspections, on ne peut interpréter aussi restrictivement que le fait le juge la généralité des termes employés par le législateur à l’article 411 LCV, lequel autorise les officiers municipaux à examiner « toute propriété mobilière et immobilière […] pour constater si les règlements y sont exécutés ». Il convient de lui appliquer l’article 57 de la Loi d’interprétation[13] voulant que l’autorisation de faire une chose comporte tous les pouvoirs nécessaires à cette fin, de sorte que ce pouvoir d’inspecter inclut celui de poser les gestes utiles à cette fin. L’examen peut donc, selon les circonstances, nécessiter un examen des lieux plus étendu que le simple coup d’œil.

[38]        En l’espèce, vu l’importance du remblai, tant en termes de surface recouverte que de volume, et vu la teneur du règlement de zonage qui interdit l’entreposage, l’enfouissement ou l’élimination de déchets de construction, de rénovation et de démolition dans la zone où est situé le terrain de l’intimée, l’examen du contenu du remblai de même que l’emploi d’un équipement lourd afin de le réaliser se justifient pleinement, d’autant plus qu’aucune démonstration n’a été faite que son emploi serait démesuré ou que celui d’un autre outil ou qu’une autre méthode moins intrusive permettrait d’atteindre le même résultat.

La Cour conclut donc que le creusage de tranchées et la récolte d’échantillons sont autorisés par le règlement sur les inspections.

La demande en injonction est le recours approprié

La Ville de Montréal avait fondé sa demande sur les articles 25 et 49 du Code de procédure civile, qui permettent de faire valoir un droit lorsque la loi ne prévoit pas de moyens pour le faire. Or, le recours à ces dispositions n’est pas nécessaire, puisque le recours en injonction est disponible :

[48]        L’appelante soutient que le juge a erré puisque son recours en est un qui prend assise sur les articles 25 et 49 C.p.c. Elle plaide que la demande d’injonction n’est pas le recours approprié puisque sa demande afin d’examiner un immeuble, lorsque le propriétaire ou l’occupant s’y oppose, deviendrait inefficace s’il fallait que les parties attendent le jugement sur le fond de la demande en injonction, procédure qui peut prendre quelques années avant d’aboutir. Elle souligne que l’inspection est l’étape qui précède habituellement le recours de fond, lequel recherche alors le respect de la règle à caractère général rendue obligatoire par un de ses règlements qu’aurait possiblement enfreint le justiciable. Le cumul des délais associés aux deux recours rendrait inefficace, et dans certains cas illusoire, sa tentative de faire respecter ses règlements.

[49]        Je suis d’avis que le juge a raison lorsqu’il écrit que l’appelante ne peut faire appel aux pouvoirs des tribunaux prévus aux articles 25 et 49 C.p.c. lorsqu’elle souhaite obtenir une ordonnance visant à forcer un contribuable à subir une inspection d’une activité réglementée. Une telle demande prend plutôt appui sur les articles 510 et s. C.p.c., lesquels permettent qu’elle soit présentée sans besoin de recourir aux dispositions supplétives de l’article 25 C.p.c. qui ne s’appliquent qu’en « l’absence de moyen pour exercer un droit » ou de l’article 49 C.p.c., qui ne s’appliquent que lorsque le tribunal est déjà saisi d’une demande en justice et que « la loi n’a pas prévu de solution ». Ce dernier article pourrait sans doute s’appliquer à une demande visant à inspecter un immeuble une fois les procédures en cessation d’usage ou en démolition déposées, par exemple, en conjonction avec l’article 251 C.p.c. Tel n’est pas ici le cas étant donné que l’appelante souhaite inspecter l’immeuble, non pas afin de parfaire la preuve de l’infraction alléguée dans le cadre d’une procédure judiciaire entamée, mais afin de vérifier s’il y a survenance d’une telle infraction[16].

[50]        Par ailleurs, les craintes formulées par l’appelante voulant que le recours à l’injonction interlocutoire entraîne des délais trop grands sont exagérées, et ce, pour plusieurs raisons.

[51]        D’abord, s’il y a urgence, l’injonction interlocutoire peut être rendue provisoirement (art. 510 al. 3 C.p.c.) lorsqu’il y a allégation voulant que la santé ou la sécurité de citoyens soit mise en péril, par exemple lorsqu’il y a lieu de faire expertiser un animal afin d’en vérifier la dangerosité ou dans les cas de bâtiments dangereux ou insalubres. Dans les autres cas, la demande d’injonction interlocutoire procède habituellement à la Cour supérieure avec célérité, et puisque la preuve alors présentée peut l’être par voie de déclaration sous serment (art. 106 C.p.c.) et que les questions à débattre sont somme toute restreintes[17], rien ne s’oppose à ce qu’elle puisse procéder rapidement, d’autant plus qu’une telle demande, qui est une étape préalable à la demande en justice qui est susceptible de découler de l’inspection, devrait être traitée prioritairement au même titre que cette dernière[18].

Les conditions nécessaires à l’injonction interlocutoire sont rencontrées

La Cour conclut finalement que la demande de la Ville respecte les conditions nécessaires pour qu’une injonction interlocutoire soit prononcée, puisque son droit est clair et que sa demande est fondée sur l’intérêt public à ce que les règlements d’urbanisme soient respectés :

[54]        Les demandes de la nature de celle de l’espèce recherchent une ordonnance permettant de faire quelque chose (ici, une inspection) à laquelle l’autre partie s’oppose, ou encore une ordonnance de ne rien faire qui empêcherait sa réalisation. Le recours à la procédure d’injonction est donc approprié afin de saisir la Cour supérieure. La municipalité qui la demande peut alors présenter une demande en injonction interlocutoire, laquelle sera accordée si ses critères sont satisfaits, c’est-à-dire, d’abord, si la municipalité paraît y avoir droit et si elle est jugée nécessaire pour empêcher qu’un préjudice sérieux ou irréparable ne lui soit causé ou qu’un état de fait ou de droit de nature à rendre le jugement au fond inefficace ne soit créé[20].

[55]        Le premier critère, l’apparence de droit, découle des pouvoirs habilitant ses officiers à faire l’inspection. Comme le mentionne la juge Savard au nom de la Cour dans Amzallag c. Ville de Sainte-Agathe-des-Monts[21], en cas de refus injustifié du propriétaire, de l’occupant ou du locataire de laisser faire une telle inspection afin de vérifier la conformité de l’activité aux règlements municipaux, le rôle du juge de la Cour supérieure saisi d’une demande d’injonction se limitera généralement à constater le pouvoir de l’inspecteur et le refus illégal de le laisser y accéder. Puisque dans un tel cas l’injonction interlocutoire équivaudra pratiquement à une disposition définitive du litige, l’examen du bien-fondé de la demande devra être fait avec plus d’attention qu’autrement.

[56]        En l’espèce, tel qu’établi plus haut, l’appelante a le droit de poser les gestes qu’elle demande et l’intimée ne peut l’en empêcher comme elle le fait. Ainsi, l’apparence de droit est démontrée.

[57]        La municipalité a aussi le fardeau de démontrer que l’injonction est nécessaire pour empêcher qu’un préjudice sérieux ou irréparable ne lui soit causé ou qu’un état de fait ou de droit de nature à rendre le jugement au fond inefficace ne soit créé. Le préjudice irréparable est un préjudice auquel il ne pourra être remédié par des dommages-intérêts ou qui peut difficilement l’être, et le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue[22] 

[58]        La municipalité doit finalement démontrer qu’elle satisfait à la troisième condition, c’est-à-dire que la balance des inconvénients penche en sa faveur. La Cour a établi, dans Groupe CRH Canada inc. c. Beauregard[23], que, généralement, même lorsque le droit invoqué est « clair » parce qu’il prend assise sur une norme législative ou réglementaire objective d’ordre public, le critère de la prépondérance des inconvénients n’est pas nécessairement escamoté, mais est plutôt décidé en fonction de l’intérêt public que cette norme vise à protéger.

[59]        En l’espèce, la disposition de « déchets de construction, de rénovation et de démolition » n’est autorisée qu’à des endroits désignés à cette fin, et non dans la zone où se situe le terrain de l’intimée. Les règlements municipaux d’urbanisme ayant en outre comme objectifs d’assurer la compatibilité entre eux des usages, des activités et des constructions sur l’ensemble du territoire couvert, et ce, dans le meilleur intérêt de tous[24], cela fait de la vérification des activités qui ont lieu sur le terrain de l’intimée une question d’intérêt public[25].

La Cour prononce donc, à titre d’injonction interlocutoire, les conclusions demandées par la Ville de Montréal. Nous concluons donc que l’injonction est le recours approprié pour permettre l’inspection d’un immeuble lorsque le propriétaire s’y oppose. En présence d’un règlement municipal autorisant les inspections, les critères applicables à l’injonction interlocutoire seront habituellement rencontrés, bien que la municipalité ait quand même intérêt à en faire la preuve.

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