Aménagement et urbanisme, Compétences municipales, Expropriation déguisée

Milieux humides, environnement et expropriation déguisée : est-ce que ce nouvel arrêt change la donne?

Ville de Saint-Rémi c. 9120-4883 Québec inc., 2021 QCCA 630

En 2018, la Cour supérieure avait condamné la Ville de Saint-Rémi à payer la somme de 500 000$ à des propriétaires après avoir déterminé que ceux-ci avaient fait l’objet d’une expropriation déguisée. La Cour d’appel, sous la plus du juge Sansfaçon, vient tout juste de réduire cette indemnité par plus de la moitié.

Comme nous le verrons, ce qui nous intéresse surtout est caché dans une note de bas de page. Mais d’abord, quelques faits.

Alors qu’elle cherche à agrandir son parc industriel, la Ville de Saint-Rémi réalise des études environnementales qui concluent qu’un milieu humide d’une grande qualité se trouve sur les lots visés par ledit agrandissement. Des discussions avec le Ministère de l’environnement (MEQ) confirment que le milieu humide ne pourra être remblayé.

Ainsi, en 2011, la Ville de Saint-Rémi adopte un zonage restrictif sur les lots des propriétaires qui a pour effet d’y empêcher tout développement et de protéger le milieu humide qui s’y trouve. Mécontents, les propriétaires poursuivent la Ville de Saint-Rémi en expropriation déguisée. Le juge de première instance leur donne gain de cause.

Effet des modifications législatives de 2017 à l’article 113(16) LAU

Dès le début de son arrêt, le juge Sansfaçon résume l’état du droit en matière d’expropriation déguisée et cite les récents arrêts de la Cour d’appel dont nous avons fait état sur notre blogue (voir la section expropriation déguisée). Pour ceux qui veulent aller plus loin, j’ai récemment signé un article sur le sujet avec mes collègues dans la dernière édition de Développements récents en droit municipal.

Nous remarquons que la grande majorité – si ce n’est la totalité – des jugements concluant à l’expropriation déguisée mettent en scène la volonté municipale de protéger l’environnement ou les espaces verts sur son territoire. Encore là, les exemples ne sont pas si nombreux : voir ici ou ici, par exemple. La protection de l’environnement rimerait donc avec expropriation déguisée?

Pas nécessairement, mentionnait la Cour d’appel en 2011 et en 2017. Mais tel que mentionné, c’était le cas dans une poignée de jugements récents.

Or, dans l’arrêt sous étude, je relève la remarque suivante dans une note de bas de page : « Cela dit, le règlement pourra validement prohiber tout usage d’un ou d’une partie d’un terrain sans obligation d’indemniser son propriétaire si la loi lui accorde spécifiquement ce pouvoir. » Ainsi, si la municipalité est valablement autorisée par la LAU, il ne pourra s’agir d’une expropriation déguisée.

Cette mention est importante puisque l’article 113(16) de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme a été modifié en 2017 afin d’ajouter des pouvoirs municipaux en matière de protection des milieux humides et de l’environnement :

16° régir ou prohiber tous les usages du sol, constructions ou ouvrages, ou certains d’entre eux, compte tenu, soit de la topographie du terrain, soit de la proximité de milieux humides et hydriques, soit des dangers d’inondation, d’éboulis, de glissement de terrain ou d’autres cataclysmes, soit de tout autre facteur propre à la nature des lieux qui peut être pris en considération pour des raisons de sécurité publique ou de protection de l’environnement; prévoir, à l’égard d’un immeuble qu’il décrit et qui est situé dans une zone d’inondation où s’applique une prohibition ou une règle édictée en vertu du présent paragraphe, une dérogation à cette prohibition ou règle pour un usage du sol, une construction ou un ouvrage qu’il précise;

Dans l’arrêt sous étude, la modification apportée à la LAU en 2017 n’a concrètement aucune importance puisque le règlement en litige a été adopté avant celle-ci, en 2011. À ce moment, l’alinéa 16 de l’article 113 LAU était beaucoup plus restrictif. Ceci étant, on comprend du raisonnement du juge Sansfaçon qu’aujourd’hui, l’adoption du même règlement par la Ville de Saint-Rémi ne constituerait pas une expropriation déguisée :

[37] Enfin, il semble bien que le législateur a réalisé l’importance de permettre aux municipalités d’étendre aux milieux humides la protection jusque-là limitée aux milieux hydriques, autre élément qui permet d’asseoir notre proposition de lecture de l’ancien texte de l’article 113(16) L.a.u. Le législateur a modifié cet article en 2017 et accorde dorénavant au conseil municipal le pouvoir réglementaire suivant : (…)

[39] Ainsi, bien que la Ville possédait en 2011 le pouvoir d’adopter un règlement de zonage, elle ne possédait pas celui de prohiber tout usage et toute construction sur l’immeuble des intimées. En l’espèce, l’effet du règlement et les restrictions qu’il impose privent les intimées de toute possibilité d’utilisation raisonnable de leur terrain, ce que l’appelante a d’ailleurs admis lors d’une séance de gestion préalable à l’audition en première instance. Elle a donc confisqué leur propriété sans les indemniser.

Cet arrêt pourrait donc changer la donne en matière de protection des milieux humides et de l’environnement. Comme les municipalités peuvent, depuis 2017, prohiber les usages et les constructions afin de protéger les milieux humides et l’environnement, il faudrait peut-être revoir une certaine jurisprudence qui concluait dans ces cas à l’expropriation déguisée…

Comment fixer l’indemnité d’expropriation en présence d’un milieu humide?

Même si la Cour d’appel a effectivement déterminé que la Ville de Saint-Rémi avait procédé à une expropriation déguisée, l’indemnité a néanmoins été réduite de moitié.

La raison est que malgré la conclusion en expropriation déguisée, il n’en demeure pas moins qu’un milieu humide était présent sur les terrains en litige et que le MEQ n’aurait pas entièrement autorisé son remblai en plus d’exiger une compensation. Cela affecte directement la valeur des terrains en litige et, conséquemment, l’indemnité que la Ville devait payer aux propriétaires :

[64] Ainsi (…), toutes les demandes présentées au Ministère étaient analysées au cas par cas et la hauteur de la compensation exigée variait en fonction des circonstances propres à chaque demande. En l’espèce, l’importance de la superficie et la grande qualité du milieu humide visé ont été considérées afin d’établir la superficie et la nature des terrains qui seraient acceptés à titre de compensation. Le Ministère n’était pas disposé à autoriser sa destruction vu l’absence d’autres terrains humides d’aussi grande superficie et qualité ailleurs sur le territoire de la municipalité. Il n’était alors disposé à accepter que le remblai de sa partie située en périphérie, laissant ainsi intact le cœur du milieu humide, là où se situait le terrain des intimées. C’est ce que la directrice générale Mme Corriveau avait compris de ses échanges avec M. Seh et c’est, comme elle en témoigne, ce qui l’a incité à offrir au Ministère de protéger la majeure partie de ce milieu humide.

Ainsi, même si la réglementation municipale est celle qui prohibe les usages ou les constructions, on ne peut faire abstraction de la loi provinciale (en l’espèce la Loi sur la qualité de l’environnement) qui réduit elle-même de façon substantielle la libre jouissance par propriétaire de son terrain. On ne peut donc faire porter l’entièreté du fardeau financier à la municipalité.

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