Fiscalité municipale

Fiscalité municipale et immobilisation par attache: un nouvel arrêt de la Cour d’appel

Ville de Montréal c. Société en commandite Locoshop Angus, 2021 QCCA 1217

Le concept d’immobilisation par attache est au programme de l’étudiant en droit de première année. À première vue, ce concept est assez simple et on se surprendra que la Cour d’appel doive rendre un long jugement d’une grande complexité afin de mettre fin à une saga judiciaire ayant cheminée au préalable par le TAQ, la Cour du Québec et la Cour supérieure.

Les nouvelles technologies sont ici directement en cause : le déploiement de nouveaux équipements technologiques forcent les propriétaires et les municipalités à se questionner à savoir si ceux-ci doivent être portés au rôle d’évaluation foncière. En effet, l’arrêt sous étude porte sur des équipements situés dans des immeubles locatifs servant à héberger des serveurs informatiques d’Ubisoft et d’autres clients.

Pour héberger ces serveurs, des modifications ont été apportées aux locaux (planchers surélevés, climatisation performante, etc.) et des équipements ont dû être ajoutés.

La Cour d’appel doit précisément trancher à savoir si ces équipements servant à l’hébergement des serveurs informatiques, tels que des génératrices, des systèmes de refroidissement particulièrement performants et des unités ATS (inverseurs de source automatiques) et UPS (ondulateurs), doivent être portés au rôle d’évaluation foncière compte tenu de leur immobilisation par attache.

On serait tenté d’y voir un arrêt tellement factuel et spécifique que son impact sera limité. Or, cet arrêt sera vraisemblablement très utile dans un contexte où l’économie numérique est en forte croissance. Par ailleurs, notons également les procédures judiciaires opposant plusieurs villes à Vidéotron qui impliquent des questions identiques (il est ici question d’antennes disséminées sur plusieurs immeubles au Québec).

L’immobilisation par attache

Notons qu’il est ici question de la définition d’immeuble à l’article 1 de la Loi sur la fiscalité municipale. Après avoir révisé la trilogie la Laurentienne (1995), où il était question d’allées de quilles modulaires, et la trilogie Coimac (2001), où il était question de comptoirs réfrigérés, la Cour d’appel accueille les appels de la Ville de Montréal et détermine que les équipements susmentionnés doivent être portés au rôle d’évaluation.

Sans reprendre le raisonnement de la Cour d’appel au complet, on retiendra que l’absence d’attache physique et le fait que les équipements soient amovibles ne sont pas des conditions qui empêchent à elles seule d’être face à une immobilisation par attache, tout comme le fait que l’immeuble en cause n’ait pas comme vocation spécifique d’héberger les équipements en litige :

[138] On comprend que, pour le TAQ, les éléments suivants permettent de renverser la présomption d’attache à demeure :

• La mobilité des équipements (l’absence d’attache physique);

• La vocation générale des immeubles compris dans l’unité d’évaluation;

• La présence de plusieurs locataires;

• Le fait que les équipements ne servent qu’à l’exploitation de l’entreprise d’Ubisoft et ne desservent pas les immeubles.

[139] Or, il n’en est rien.

[140] Premièrement, dans la mesure où les équipements sont placés de façon à être immobilisés, l’absence d’attache physique n’est pas déterminante. Pour paraphraser le juge Brossard dans la Laurentienne, c’est très simplement leur immobilisation qui établit le fait qu’ils sont attachés.

[141] Deuxièmement, la vocation générale des immeubles compris dans l’unité d’évaluation ne résout pas la question de la qualification des meubles qui leur sont attachés. L’immobilisation par attache d’un bien meuble selon l’article 1 L.f.m. n’est pas l’apanage des bâtiments à vocation spécifique.

[142] Troisièmement, la présence de plusieurs locataires n’est pas non plus un obstacle à l’immobilisation par attache d’un bien meuble.

[143] Quatrièmement, le lien intellectuel ou le rapport de destination vise l’immeuble ou ses composantes. On parle ici de tout un réseau d’alimentation et de distribution en électricité et en climatisation, lui-même intégré au bâtiment selon une conception qui répond aux besoins spécifiques d’un site d’hébergement de serveurs informatiques. Le plancher surélevé et le plafond suspendu perdent leur raison d’être en l’absence de ce réseau. Il en va de même de la passerelle extérieure conçue pour recevoir les refroidisseurs. Il n’est pas nécessaire que les équipements aient un lien intellectuel avec l’immeuble en entier. Incidemment, le fait que le système de refroidissement dépasse les besoins usuels en climatisation de l’immeuble ne change rien au lien intellectuel qui existe entre ce système et la partie de l’immeuble louée par Ubisoft.

(…)

[145] Dans Locoshop, le juge de la Cour du Québec commet la même erreur que dans IMSO en concentrant son analyse sur la notion de bâtiment à vocation spécifique. Il se base sur le caractère polyvalent des immeubles pour conclure que les lieux loués par Ubisoft ne deviendraient pas incomplets en l’absence des équipements. Si l’on suit ce raisonnement, un meuble attaché à un immeuble à vocation générale ne pourrait jamais être considéré comme attaché « à demeure ». En effet, puisqu’un tel immeuble, par définition, peut servir à plusieurs usages, il ne deviendrait jamais incomplet en l’absence de ce bien.

[146] J’ai déjà expliqué pourquoi ce raisonnement ne tient pas. La vocation spécifique de l’immeuble n’est pas une condition essentielle à l’immobilisation par attache d’un bien meuble. Il suffit que le bien soit nécessaire pour compléter l’immeuble ou ses composantes, en l’occurrence le plancher surélevé, le plafond suspendu et toutes les installations qui, selon le TAQ, « ont été faites pour aussi longtemps qu’une nouvelle vocation ne sera pas assignée à ces locaux ». À l’instar du « trou béant » qu’aurait laissé l’enlèvement du guichet automatique dans la Laurentienne, l’inutilité de ces composantes qui résulterait de l’enlèvement des équipements suffit à établir qu’ils sont attachés à demeure à l’immeuble.

Ici, les équipements en litige étaient complémentaires aux aménagements réalisés dans les locaux afin de pouvoir y héberger des serveurs informatiques. Ils y sont placés de façon à être immobilisés. Le fait que les équipements puissent éventuellement être déplacés et que les locaux puissent être réaménagés et reloués à des tiers pour d’autres fins que d’héberger des serveurs informatiques ne change pas leur statut d’immeuble par attache.

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